Les manifestations de ces deux dernières semaines à travers le Brésil posent non seulement la question du futur politique et même géopolitique du Brésil mais de notre attitude face à ces mobilisations de masse par les réseaux sociaux et la manière dont ils sont relayés par le mainstream.
Ces manifestations posent aussi la question de la volatilité de pouvoirs que rien ne semble a priori ébranler, la question de la prévisibilité de ces mouvements c’est-à-dire de notre intelligence politique de l’instant présent. Si de nombreux « experts » font des analyses fort savantes post mortem de ces évènements, beaucoup de ces doctes penseurs étaient silencieux il y a seulement moins d’un mois. Ne voulant pas jouer aux pythies ni aux médecins légistes, je m’attarderai dans cet article juste à dissiper quelques malentendus véhiculés par les médias Français et internationaux à propos de ces manifestations qui continuent au Brésil.
Tout a commencé par une revendication début juin 2013 concernant l’augmentation du prix des transports urbains, plus particulièrement dans la ville de São Paulo. Cette revendication était portée par un mouvement né dans la foulée du Forum altermondialiste de Porto Alegre de 2005, le mouvement Passe Livre ou Mouvement pour la gratuité des transports. La base sociologique de ce mouvement était la fraction la moins riche de la classe moyenne que les deux administrations Lula da Silva ont sorti de la pauvreté ces dix dernières années. Il s’agissait aussi principalement d’étudiants issus de familles habitant des banlieues, la spéculation immobilière de ces dix dernières années ayant contribué à la boboïsation – la gentrification – des centres urbains. Une réponse maladroite et disproportionné de la Policia Militar le 13 juin a vite contribué à la radicalisation du mouvement.
Mais celui-ci a vite perdu de sa virginité politique pour devenir l’objet de récupérations par une classe – la classe moyenne (supérieure ) – et par l’opposition parlementaire et même extra-parlementaire à la coalition gouvernementale. C’est uniquement à partir de cet instant qu’il fut relayé et encouragé par ce que l’on appelle au Brésil la PiG – Partido da Imprensa Golpista ou le Parti de la presse de coup d’État. Celle-ci regroupe des médias télévisuels comme Rede Globo et des journaux comme Veja. C’est à travers de leurs regards que le mainstream global a focalisé son attention sur les manifestations brésiliennes et a ensuite propagé cette image réductrice des manifestations brésiliennes en évitant soigneusement toute étude sociologique.
Si le mouvement Passe Livre était « sincère » dans ses revendications pour la suppression de l’augmentation des transports urbains, comme le reconnaissent des agents de la Policia Militar de São Paulo infiltrés dans les comités d’organisation, il n’en reste pas moins que la nature même de ce mouvement qui n’a pas de hiérarchie a favorisé sa récupération et redirection par des organisations beaucoup moins « pures ».
Ce sont d’abord les partis de l’opposition à la coalition gouvernementale qui ont déversé leur électorat dans les manifestations : la classe moyenne supérieure blanche et urbaine des grandes capitales comme São Paulo, Belo Horizonte, Porto Alegre... Ce sont les médias de la PiG qui, après avoir dénigré le mouvement, ont appelé les Brésiliens de cette classe moyenne à descendre dans la rue. Ce sont ces médias qui relayé les nouveaux mots d’ordre des manifestants quand ils ne les ont pas forgés !
Cette classe moyenne supérieure est essentiellement constituée de professions libérales, de « communicants », de « créatifs »... Elle n’utilise pas les transports en commun, se soigne dans le secteur privé et envoie ses enfants dans des institutions privées du jardin d’enfance au secondaire. Cette classe moyenne supérieure n’a jamais accepté les changements politiques et socio-économiques survenus au Brésil depuis l’accession au pouvoir du PT – le Parti des travailleurs – et considère chaque avancé sociale comme une spoliation qu’elle est obligée de financer par l’impôt. Une loi votée début avril 2013 a ainsi accordé des droits sans précédent à près de 8 % de la population active brésilienne, soit 7 millions de personnes : les employé(e)s domestiques. Les objectifs politiques de ce groupe social sont clairs : il s’agit ni plus ni moins que de créer les conditions pour que la présidente Dilma Rousseff renonce à terminer son mandat ou qu’une procédure d’empêchement soit mise en place contre elle par les parlementaires.
Cette récupération de « droite » a eu aussi son pendant de « gauche ». Des rapports de la Policia Militar ont montré que des militants du PSOL – Partido Socialismo e Liberdade – agissant en « électrons libres » ont recruté des éléments marginaux comme des punks pour provoquer des incidents violents avec les forces de maintien de l’ordre et les engager dans la répression. Le PSOL est une dissidence « Front de gauche » du Parti des travailleurs, qui se distingue par un activisme antigouvernemental compulsif. Il s’est ainsi associé au mouvement contre la construction de l’usine hydroélectrique de Belo Monte. Dans ce mouvement les services de renseignement brésiliens – ABIN pour Agência Brasileira de Inteligência – ont montré la présence dans le financement des organisations qui s’opposent à la construction du barrage d’entités financées par des puissances étrangères. Le PSOL est aussi le principal vecteur politique du lobby LGBT au Brésil , allant jusqu’à réclamer la prise en charge par l’État des opérations de changement de sexe et la reconnaissance de la transsexualité. Ce lobby a manifesté ces derniers jours pour réclamer la suppression du projet de loi de « cura gay » – traitement gay. Il s’agit d’un projet mettant en place un traitements psychologiques en vue de soigner l’homosexualité.
Il faut signaler aussi ici la militante, la passionaria hystérique, écologiste Marina Silva. Cette ex-ministre de l’environnement PT en rupture de banc parcourt le Brésil, rencontre les oligarchies financières régionales pour financer sa candidature aux élections présidentielles de 2014 tout en surfant sur la vague de contestation qu’elle appuie de manière régulière dans des interviews.
Dans cette « foire à l’indignation » que sont devenues les manifestations au Brésil, on rencontre des revendications aussi variées que la lutte contre la corruption, la mise en place d’une commission d’enquête sur les conditions d’attribution des marchés des infrastructures sportives de la Coupe des Confédérations et de la Coupe du Monde , l’amélioration des services publics mais aussi la suppression de la « cura gay », l’arrêt de projets infrastructurels comme le barrage de Belo Monte, la reconnaissance de droits pour les Amérindiens... Ce mouvement qui dénonce les partis politiques de l’établissement provoque immédiatement un élan de sympathie.
Cependant, comme le souligne le chercheur brésilien Emile Sader, ce mouvement est multiforme et complexe et ne peut être exalté de manière acritique. Il faut ainsi éviter le réflexe pavlovien, vertébro-rachidien même, d’une partie de la gauche française, qui s’extasie pour tout ce qui est un peu exotique (maghrébin, arabe, turc, russe, brésilien...), qui descend dans la rue pour crier mais aussi pour casser.
Au-delà de la question « Quo vadis Brasil ? » – Où vas-tu, Brésil ? –, la question qu’il faut immédiatement se poser est « Cui bono ? » : à qui profite ce mouvement ?
Daniel Besson