L’Allemagne a répondu aux propositions de la France pour une réforme radicale de l’Union européenne. Le point clé est que les Allemands ne laisseront pas les Français mettre la main dans leurs poches et ne veulent pas que l’Union européenne devienne un super-État centralisé.
Le 4 mars, le Président français E. Macron a adressé aux Européens une lettre ouverte de nature très émotionnelle, publiée à grande échelle dans les médias des 28 pays de l’UE au même moment. Elle proposait de partager une ambitieuse vision de Paris sur les réformes cardinales de l’UE à mener dans les domaines des politiques étrangère, économique et sociale.
Six jours après, Berlin a pris la parole sur le même sujet à son tour. L’article-programme dans le journal Welt am Sonntag était une réponse adressée au chef de l’État français par la présidente de la CDU (Union démocratique chrétienne), Annegret Krump-Karrenbauer, dont la Chancelière allemande, Angela Merkel, a fait son successeur officiel. Comme le nom de cette personne est difficile à écrire et à prononcer, même pour les Allemands, on la désigne en Allemagne par l’acronyme AKK.
Blague à part, l’Allemagne et la France sont les deux piliers et le « moteur » d’une Europe unie, c’est-à-dire les pays qui décidèrent principalement de son devenir dans les décennies passées, déterminent le cours et le rythme de l’intégration européenne. C’est pourquoi il vaut la peine d’observer de près le dialogue de Macron avec AKK.
Le niveau et la forme de la réponse choisis par Berlin ont semé la confusion dans les cercles dirigeants français, qui se sont trouvés symboliquement dépréciés. Les explications données par les Allemands tiennent en trois points. D’abord, A. Merkel approuve le contenu de cet article. Ensuite, AKK est désignée pour lui succéder. Troisièmement, la lettre ouverte d’E. Macron est en fait son programme pour les élections du parlement européen en mai prochain, alors qu’en Allemagne, la campagne n’est pas dirigée par des membres du gouvernement, mais par les partis et leurs dirigeants. C’est pourquoi la réponse à Paris est adressée par AKK, dirigeante de la CDU, et par conséquent, elle doit être considérée comme officielle.
Ce qui réunit Berlin et Paris
Comparons la lettre de Macron et l’article d’AKK, et alors il devient évident qu’il y a en même temps des convergences et des divergences de vue entre Paris et Berlin sur la manière de réformer l’UE.
Commençons par le début. AKK soutient les propositions du président français visant à renforcer l’efficacité de la politique étrangère de l’UE, son influence dans l’arène internationale, la défense de ses frontières extérieures. Selon Annegret Kramp-Karrenbauer, « il faut commencer par vérifier aux frontières extérieures de la zone Schengen si un migrant a des raisons valables d’y demander l’asile, s’il a le statut de réfugié ou une autre raison d’y rentrer. »
À partir de la réponse faite à Macron, il est clair qu’à Berlin on a réalisé qu’il n’est pas possible d’obliger, par la grâce de contraintes et de menaces, d’autres pays européens à accueillir des immigrants illégaux, surtout ceux qui arrivent de pays musulmans. Par conséquent, AKK propose une autre manière de prouver la « solidarité » : contribuer à une solution réaliste pour résoudre le problème autrement, par exemple en allouant des gardes-frontières chargés de surveiller les frontières extérieures de l’EU, ou de l’argent pour maintenir les migrants potentiels chez eux.
En fait, c’est ce que font déjà la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie. C’est à cause d’une telle politique qu’elles ont été récemment critiquées ; certains autres pays de l’UE, au départ la France et l’Allemagne, avaient menacé de les sanctionner. On peut donc dire que le groupe de Visegrad a remporté la partie.
Par ailleurs, AKK a très chaudement approuvé l’initiative de Macron dans les domaines de la politique militaire et de la défense. Elle en a profité pour inviter d’autres pays de l’UE à rejoindre le développement franco-allemand d’un nouvel avion de combat. Elle a aussi plaidé pour la co-construction d’un « porte-avion européen » que Merkel avait déjà proposée pour « renforcer le rôle global de de l’UE comme force de soutien à la paix et la sécurité ».
Ce qui divise Berlin et Paris
Dans le même temps, AKK a désigné comme une fausse route « le centralisme européen, l’étatisme européen, la mise en commun des dettes, la mise à l’échelle européenne des systèmes sociaux et le salaire minimum » que Macron défend, plaidant démagogiquement pour une « relance européenne ». Pour cela, on prétend avoir besoin du côté français d’un « système de sécurité sociale pan-européen de base » et d’un « salaire égal à travail égal, à l’échelle européenne », ainsi que d’un salaire minimum ajusté aux conditions de chaque pays. De son côté, AKK reste convaincue que chaque État membre de l’UE doit traiter ces questions de son côté, en fonction de ses capacités et de ses ressources.
Elle a aussi dénoncé la proposition de Macron de créer un budget européen et de poste de ministre des finances de l’Eurozone, car ce que le président français propose implicitement aux Allemands, c’est de devenir un « donateur » de l’UE.
AKK a proposé la notion de « responsabilité indépendante » des États nationaux, s’opposant ainsi explicitement à l’émergence d’un « super-État européen ».
Bien sûr, la raison de cette position n’est pas seulement la ladrerie allemande, mais aussi la prise en compte des autres pays européens, particulièrement aux frontières occidentales de l’Allemagne, qui craignent de perdre leur identité, de se dissoudre dans un super-État et donc de perdre leur droit de vote. Puisque le leader informel de l’UE est toujours l’Allemagne, et non la France, Berlin est tout simplement obligée d’intégrer d’autres opinions à la sienne.
Pour résumer
La réponse est donc loin de ce que Paris souhaitait, qui proposait seulement aux Allemands d’accepter puis de remplir le canevas d’un super-État européen avec leur substance, de partager leur prospérité avec tout le monde, de manière à ce qu’ensuite des politiciens interventionnistes comme Macron puissent diriger l’ensemble par-dessus la tête des Allemands et des autres Européens.
Il est ainsi devenu clair que, si Berlin est favorable au renforcement de l’intégration européenne, c’est en commençant par les politiques étrangères et de défense alors que de son côté, Paris insiste sur les domaines financier et social. Et même si les deux souhaitent réformer l’UE, ils voient cette réforme d’une manière entièrement différente, notamment pour ce qui concerne l’addition finale du banquet. La France, généreuse aux dépens des autres, pense que les Allemands la paieront. Les Allemands, que chacun paiera pour soi.
Bien sûr, on a été agacé à Paris, alors que c’est exactement la réponse qu’on pouvait attendre de Berlin. C’est pourquoi Macron a fait mine de trahir Merkel au sujet de la construction du pipe-line North Stream 2, en se positionnant soudain du côté des critiques envers l’Allemagne, avant de reprendre le cours de son soutien habituel à Berlin au dernier moment.
Certes, fin janvier, des dirigeants français et allemands ont signé à Aix-la-Chapelle un accord global sur une extension de la coopération bilatérale, dans le but de parler d’une seule voix et d’agir de conserve en Europe et dans le monde. La réalité, cependant, c’est que la création d’une nouvel « empire de Charlemagne » par les deux pays n’est pas une perspective si proche, et s’avèrera peut-être irréalisable, se résumant à des efforts isolés, menés à des vitesses et des cadences différentes. Et pour cause : les signataires n’ont pas trouvé de consensus sur l’ordre des priorités.
En complément : l’analyse de Michel Drac