Jeudi 10 décembre 2020, sur le plateau de C8 dans l’émission Balance ton post !, l’animateur Éric Naulleau invite Selim, le fils de Michel Fourniret, Alix, la fille d’Émile Louis, et Oli Porro Santoro, l’auteur du livre Le Fils de l’ogre, l’ogre étant Michel Fourniret.
Commençons par ces échanges, riches en informations inédites ou en pistes.
Selim Fourniret : Il parlait souvent, quand il était à la maison, de la franc-maçonnerie. Dans ses lettres il faisait référence à un maître qu’il avait, et des commandes spéciales, ce qui laisse supposer…
Oli Porro Santoro : C’est vrai que nous avons reçu une lettre datée du 5 janvier 2015 dans laquelle Michel Fourniret évoque un homme qu’il appelle son maître, voilà c’est cette lettre qui passe là, un homme qu’il appelle son vénérable maître, Paul-Louis Deschamps, qu’il côtoyait à l’époque. Il faut savoir que Selim insiste sur un point, c’est ce que son père n’était absolument pas un loup solitaire, il y avait du passage à la maison, c’est ce qu’il répète sans cesse. En fait il évoque ce monsieur Deschamps, qui lui faisait des commandes de « machines spéciales » pour son laboratoire, son client et concurrent. Qu’est-ce que ça veut dire, est-ce qu’il s’agit d’un message codé ?
Nous on a été auditionnés à plusieurs reprises, suite à notre visite en prison on en a parlé aux enquêteurs, mais le problème est que cette personne n’a jamais, jamais été auditionnée. Aucune suite, ils sont tous au courant de la lettre, on a saisi la police des polices récemment, la police a lancé récemment des appels à témoins alors que peut-être cet homme sait quelque chose étant donné qu’il côtoyait Fourniret durant ses longues années d’impunité, un type quand même qui du jour au lendemain s’achète un château avec de l’argent liquide, Selim m’a dit d’ailleurs qu’ils allaient beaucoup à Bruxelles à l’époque, pour changer l’or en argent liquide, c’est ça, tu te souviens ? Cet homme n’a jamais été entendu, c’est vrai que ça, c’est quelque chose, une zone d’ombre de ce que nous, nous avons trouvé durant notre enquête, qui nous laisse un peu cois, on comprend pas pourquoi cet homme n’a pas été auditionné.
Éric Naulleau : Selim, indépendamment de ce qui est encore un peu mystérieux, est-ce que vous redoutez qu’il y ait la révélation d’autres crimes commis non seulement par votre père, mais par vos parents ?
Selim Fourniret : C’est pas une crainte, je sais que y en a d’autres. C’est pas je sais, je suppose qu’il y en a d’autres.
Karl Zéro : Il y a quelque dix ans où il ne fait rien et ce que semble suggérer Selim, c’est que Fourniret est considéré comme un prédateur uniquement isolé, mais qu’il est tout à fait possible qu’il ait parfois enlevé aussi des petites filles pour les livrer à d’autres personnes et ainsi de suite, donc un fonctionnement en réseau. Parce que comme chacun sait, on peut avoir un cancer et un bureau de tabac, donc on peut être à la fois soi-même prédateur, soi-même consommateur de ce qu’ils appellent « chair fraîche », et aussi malheureusement fournir des personnes contre de l’argent. On a vu précédemment que Fourniret était intéressé puisqu’il n’hésite pas à tuer pour avoir le trésor du gang des postiches. Donc ça pose en fait le problème de tout un système pédocriminel en réseau, auquel il serait étonnant qu’il n’ait pas, d’une façon ou d’une autre, adhéré. Un peu à l’instar d’un Dutroux, d’ailleurs.
Oli Porro Santoro : Oui, d’ailleurs il racontait qu’il était pire que Dutroux, il faut le savoir. Dutroux qui a récemment avoué qu’il se pliait à des commandes.
Karl Zéro : Dutroux avait d’abord expliqué qu’il était un simple prédateur accompagné de sa femme et d’un copain vaguement SDF, et il a eu 20 ans parce qu’on lui a expliqué que s’il disait la vérité, c’était le retour de la marche blanche, la Belgique en colère, tout le monde en colère, « protégeons les enfants » et personne n’avait envie de ça.
Oli Porro Santoro : Selim a été auditionné récemment, encore une fois par la police, et d’après les enquêteurs, y aurait pas que le butin du gang des postiches, il avait encore plus d’argent que ça. C’est vrai que moi j’ai rencontré André Bellaïche, l’ami de monsieur Naulleau, je l’ai questionné sur son film Le Dernier Gang d’Ariel Zeitoun, avec Vincent Elbaz, c’est vrai que le film se termine, on voit Vincent Elbaz qui joue, supposé jouer son rôle, parce que monsieur Bellaïche évidemment n’a jamais été condamné pour ces faits, et le film se termine sur cette phrase : « quand on est sortis, le butin avait disparu ». Y avait plus rien et moi j’ai été lui poser la question : « pourquoi vous avez pas parlé de Fourniret ? » Il est rentré dans une colère terrible, c’est ce que je raconte dans le livre, et selon lui y avait pas tant que ça d’argent, y avait une autre source. C’est vrai que l’argent, il était très intéressé, c’est comme ça qu’il faisait chanter Selim, en lui envoyant des mandats cash, en lui disant « si tu continues à mal me parler » – c’est vrai que parfois on lui rentrait dans le lard – « je t’envoie pas d’argent ».
Puis vient le témoignage de la fille d’Émile Louis, victime de son père, comme les enfants gardés par la famille et issus de la DDASS. Elle explique que son père « rendait des services ».
Alix Louis : Il y a quand même eu des faillites à tous les niveaux de l’État. Faut quand même bien l’avouer. que ce soit la DDASS, déjà les personnes qui avaient en charge ces jeunes filles, la DDASS, les instances judiciaires, bon qu’est-ce que c’est, ce sont des pauvres gamines qui ne sont pas mentalement aidées, qu’est-ce qu’elles vont faire, être à la charge de la société ? Voilà, je pense que malheureusement bon nombre de personnes pensaient.
Pour info, et pour ceux qui veulent aller plus loin, nous avons proposé un sujet dans le Financement participatif de la Rédaction qui touche à l’affaire Émile Louis, sujet qui remonte assez haut, voire très haut.
L’hypothèse du réseau criminel Fourniret
Passons à l’hypothèse du réseau pédocriminel qui aurait passé des commandes à Michel Fourniret. Ceux qui connaissent l’affaire Dutroux dans le détail savent que Dutroux n’a jamais travaillé seul, qu’il était à la fois le fournisseur et le nettoyeur pour Nihoul, cet organisateur de soirées spéciales pour les élites du pays. Dutroux bénéficiait pour cette raison d’une protection, puisqu’il était « surveillé » par la gendarmerie qui connaissait très bien son pedigree, de trafiquant de voitures mais aussi de ravisseur d’enfants. Il était donc probablement informateur pour la gendarmerie.
Car Dutroux a commencé à rafler des enfants, ou à les acheter, dans les pays de l’Est au cours des années 80. Ensuite, il est passé à des enfants de Belgique, et c’est ce qui a secoué l’opinion. L’hypothèse du réseau, si elle n’a pas été admise par le juge lors du procès Dutroux, a été largement démontrée par les enquêteurs sérieux (par exemple Les Égouts du Royaume, d’André Rogge) qui se sont penchés sur les soi-disant failles du système judiciaire.
Ce sont justement ces « failles » qui sont pointées du doigt par toute la presse aujourd’hui dans les enquêtes sur les tueurs en série français. Or, s’il y a bien eu des « failles » (le mot de la fin des deux commissions d’enquête sur les attentats de 2015 en France...), des manquements et des « défaillances », comme l’écrit Le Monde, il y a aussi eu de l’aveuglement volontaire, de la lâcheté, voire de la complicité.
Émile Louis est mort en emportant ses secrets, mais il reste toute une organisation pédocriminelle qui a profité de ses enlèvements de jeunes filles fragiles. Tout a été décrit dans les articles bien sourcés, à commencer par ceux de Détective et de Minute, qui ont levé le lièvre dans les années 80-90 en rendant compte du travail puis du suicide du gendarme Jambert.
Christian Jambert adresse au parquet d’Auxerre un rapport qui met en cause Émile Louis et des réseaux proxénètes sadomasochistes de l’Yonne qui exploitent les filles de la DDASS. Le procureur de la République René Meyer n’ouvre pas d’information pour manque de preuves, mais demande informellement au gendarme de poursuivre l’enquête. Le rapport est égaré. Mais il sera finalement retrouvé en 1996. [...]
En 1989, Pierre Charrier, ex-directeur et fondateur de l’APAJH de l’Yonne à Auxerre est pris en flagrant délit à l’arrière d’une voiture en compagnie d’une handicapée de 22 ans dont il abuse sexuellement. Il explique qu’il aurait ainsi permis à la jeune femme de « s’épanouir affectivement ». Charrier est un proche d’Émile Louis. Il est condamné à six ans de prison ferme. De manière générale toute la vie d’Émile Louis est liée à la DDASS, devenue ASE : enfant de la DDASS, famille d’accueil de la DDASS, employé par des établissements sous tutelle de la DDASS, il aura fait de la protection de l’enfance son terrain de chasse. (Wikipédia)
Réseau, pas réseau ?
Du côté de Francis Heaulme, qui purge actuellement une peine de prison à vie pour 11 meurtres prouvés, il n’y a pas de réseau, même s’il a pu y avoir des meurtres à deux (selon le livre de Corinne Hermann Un Tueur peut en cacher un autre) : le routard du crime a tué indifféremment, sur son chemin, ceux qui ont eu le malheur de le croiser quand il était en crise, cet état « d’instabilité et d’impulsivité » qui a été étudié par les experts. Lorsqu’il a assassiné un enfant de 9 ans, Heaulme dit avoir vu rouge. Hommes, femmes, vieux, jeunes, Heaulme a tué des innocents de 9 à 65 ans, et encore, on lui impute au mieux 30 meurtres, au pire 70. « Partout où je passe, il y a des meurtres », confiera-t-il au gendarme Jean-François Abgrall, l’enquêteur qui a réussi à le faire coffrer.
Les réseaux « Marc Dutroux » et « Émile Louis », les pistes de Selim Fourniret et de l’auteur du Fils de l’ogre, font écho à l’affaire plus récente des enlèvements et des meurtres de Nordhal Lelandais, le client d’Alain Jakubowicz, l’avocat qui quittera la tête de la LICRA pour aller défendre un assassin d’enfant. Entre le moment où Lelandais a été appréhendé et celui où il a désigné l’endroit où se trouvait la dépouille de l’enfant, de longs mois se sont écoulés qui ont posé questions : pourquoi avoir avoué si tard, alors que tous les faits parlaient contre lui ? Pourquoi avoir tourmenté les parents de la petite Maëlys ? La défense de Me Jakubowicz interroge encore aujourd’hui, surtout que l’avocat communautaire s’est appuyé sur un droit de mentir : « Le mensonge, en droit français, n’est pas un délit ».
Les failles de ces dossiers, qu’ils concernent les affaires de terrorisme ou de faits divers, finissent par se ressembler : des témoignages sont oubliés, des pièces à conviction détruites ou égarées, des pistes fertiles abandonnées, laissant les familles dans le noir et le deuil impossible.
Le concept de « failles », sur lequel Le Monde s’appuie, est pratique. Il exonère en quelque sorte le coupable, mais élimine surtout l’hypothèse du réseau pédocriminel ou terroriste (voir le procès Charlie, qui s’est arrêté à une poignée de lampistes qui ont transporté les armes de Coulibaly et des Kouachi), dans lequel le ravisseur-violeur-assassin n’est qu’un rouage, celui qui prend tous les risques mais qui se « paye » sur les victimes.
Pour prendre la mesure de ces failles, il faut se lancer dans une entreprise de spéléologie judiciaire, plonger dans les tréfonds d’un dossier de cent vingt tomes, relire ces procès-verbaux tapés autrefois à la machine à écrire, s’épuiser les yeux sur de vieilles lettres à l’écriture tarabiscotée du meurtrier, essayer d’analyser les chiffres des tableaux de prélèvement ADN ou des données téléphoniques, se demander pourquoi, un jour de mars 2003, il a acheté 750 kg de sel de déneigement, ou baptisé sa pelleteuse « Dino » et son fourgon blanc « Jojo ».
Il est bien sûr facile de critiquer certaines décisions à la lumière de 2020 et des progrès de l’instruction, de relever ces « points de bascule » de l’enquête, ces moments où il aurait peut-être été possible d’arrêter le couple et de limiter le nombre de victimes. Mais force est de constater que des signaux d’alerte ont bien été négligés. À commencer par le premier d’entre eux, le 11 décembre 1987, à Auxerre… (Le Monde)
Les journalistes spécialisés savent la liste incroyable des ratés des enquêtes sur ces tueurs spéciaux, mais dès qu’on aborde la question du réseau, plus grand-monde ne se bouscule au portillon. À un niveau plus important encore, c’est le cas de l’affaire Epstein, qui est présentée comme celle d’un couple diabolique, Ghislaine (Maxwell) & Jeffrey (Epstein), comme on a eu Michel (Fourniret) & Monique (Olivier). C’est vendeur, mais pas forcément explicatif.
- Des années 1960 à 2003 : 40 ans de chasse
et seulement 5 de prison (Source : La Nouvelle République)
Oli Porro Santoro évoque le lien de Fourniret avec la franc-maçonnerie, mais ce n’est pas une preuve : seulement une piste. Fourniret, qui a parlé à l’auteur et à son propre fils, a très bien pu de la sorte s’exonérer en partie des horreurs qu’il a commises. En se présentant comme un rouage, il dégage sa responsabilité vers un commanditaire plus ou moins nébuleux.
Mais on a vu, avec l’affaire Dutroux, que même quand on connaissait toute la chaîne de commandement, la justice était capable de reculer, et de se voiler la face. De Michel Lelièvre, le complice (roué de coups dès qu’il est reconnu dans la rue), à l’épouse Michelle Martin (planquée dans un couvent), en passant par l’organisateur de partouzes Michel Nihoul (qui a bénéficié d’un non-lieu pour l’enlèvement et la mort des quatre fillettes et qui est mort tranquillement fin 2019) et les hauts consommateurs de « chair fraîche », pour reprendre l’expression de Karl Zéro, on comprend que la vérité, même évidente, a du mal à être acceptée par le Système quand elle touche au Système.
Pour cela, il a une défense toute trouvée : le complotisme. Et il paye des gardiens – les anti-complotistes ou chasseurs de complots – pour le dénoncer, à chaque fois que ça chauffe.
Après Cohn-Bendit, Jakubowicz défenseur de la pédophilie ?
(Extrait de SAPTR#5)