Le président polonais, Lech Kaczynski, vient de décéder dans un accident d’avion, près de Smolensk. Il se rendait à Katyn, où il devait assister, avec Vladimir Poutine et le Premier Ministre polonais Donald Tusk, à la commémoration du 70ème anniversaire du massacre commis par le NKVD en ce lieu. Pour l’instant, on n’y voit qu’un accident. Demain, sans doute, on cherchera à pointer du doigt la responsabilité de tel ou tel service secret. Pour ma part, j’y vois surtout un symbole.
Lech Kaczynski était un agent américain. Il est difficile de dire si c’était un agent rémunéré, encadré, cornaqué par la CIA, ou tout simplement un politicien polonais qui, comme n’importe quel politicien dans n’importe quel pays, avait besoin d’appuis extérieurs pour s’imposer en interne. Mais en tout cas, c’était un agent américain. A ce titre, il avait reçu, c’est évident, un cahier des charges de son employeur et/ou protecteur. Ce cahier des charges n’est pas connu dans les détails, bien sûr, mais ses grandes lignes se laissaient facilement dessiner : il suffisait d’observer les prises de position de Kaczynski pour savoir ce que ses amis étatsuniens attendaient de lui. Et ce qu’ils attendaient de lui, c’était tout simplement de faire, de la Pologne, un obstacle sur la route qui va de Moscou à Berlin.
Toute la stratégie américaine est là : encercler la Russie, de Varsovie au Kirghizstan en passant la Tchétchénie. Pour les Américains, il est vital que Moscou ne puisse pas nouer de relations fortes avec ses voisins. Z. Brzezinski l’a écrit, en toutes lettres, dès 1997, dans son livre « Le Grand Echiquier ». Et Kaczynski jouait un rôle dans ce « grand jeu » : il promouvait l’engagement polonais dans la « guerre contre le terrorisme » des Américains, il s’opposait de toutes ses forces au projet de gazoduc baltique, il défendait l’implantation du bouclier antimissile US en Pologne.
Kaczynski voulait, pour poursuivre son travail d’obstruction, absolument être présent à Katyn. Il n’y avait pas été invité, au départ. Seul Donald Tusk devait s’y rendre – le Premier Ministre polonais. Vladimir Poutine avait décidé de venir, lui aussi – le Premier Ministre Russe. Dmitri Medvedev, le Président russe, n’y serait pas. Kaczynski non plus, a priori. C’est lui qui avait insisté pour venir – une venue qui ne fut confirmée que trois jours avant la date fatidique.
Le Président polonais voulait qu’on le voie à Katyn. Pourquoi ? Probablement parce qu’il s’agissait de montrer à ses « amis » américains qu’il ne lâchait pas l’affaire, qu’il « marquait » Poutine « à la culotte », et que Tusk (un opposant de Kaczynski) n’avait pas toutes les cartes en main. Sur la route de Moscou à Berlin, il y a Katyn. Et Kaczynski serait là, pour faire symboliquement le travail attendu par ses protecteurs : faire barrage, être un obstacle sur la route de Moscou à Berlin.
C’est qu’il s’en passe, des choses, sur cette route, en ce moment. Au-delà du geste de Poutine à Katyn, appel à réconciliation russo-polonaise, il y a les réalités économiques. Le tronçon sous-marin du gazoduc baltique vient d’être inauguré. Pendant ce temps, avec une aptitude au retournement de veste tout à fait remarquable, le « président-dictateur » biélorusse, Alexander « Moustache » Loukachenko, vient soudainement de se convertir à l’économie de marché – alors que depuis dix ans, il était le seul en Europe à résister à la tentation libérale. Stupéfiant ? Pas tant que ça, quand on sait que Minsk ne fait rien sans l’aval de Moscou, et que l’Ost-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft (Comité Est de l’économie allemande, lobby patronal pour le développement des relations économiques vers l’est) s’est récemment félicité de l’intensité des investissements allemands en Biélorussie – un article du « Spiegel » soulignait d’ailleurs en décembre 2009 que Minsk allait devenir une des capitales de l’économie à forte densité technologique, grâce aux investissements et au savoir-faire allemands. 360 entreprises d’Outre-Rhin sont maintenant présentes en Biélorussie, et le mouvement se poursuit. Entre 2006 et 2008, le taux de croissance biélorusse a dépassé régulièrement les 10 % par an. La crise de 2009 s’est soldée par une baisse à peine perceptible du PIB, qui retrouvera la croissance dès 2010, sauf mauvaise surprise. Minsk est en train de tirer les bénéfices de son rôle historique d’avant-poste de la Russie. Mais cette fois, ce n’est plus comme marche militaire. C’est comme laboratoire de la future économie germano-russe. Et, peut-être, comme modèle exportable vers une Pologne intégrée à cette économie.
En arrivant à Smolensk, Kaczynski a dû constater avec dépit que son avion ne pouvait pas se poser. Trop dangereux. Deux fois, le pilote tente d’atterrir. Deux fois, il échoue. Apparemment, c’est Kaczynski lui-même qui ordonne au pilote d’insister – au mépris de toute prudence. Décidément, le Président polonais veut absolument être présent à Katyn…
Il n’y sera pas. Son avion s’écrase.
Attentat ? Probablement pas.
Accident.
Et symbole.
Le symbole d’un échec : les Etats-Unis n’ont pour l’instant pas réussi à encercler la Russie.
Le siège est brisé. Moscou tient la route de Berlin. Les petits soldats de l’assiégeant n’ont plus qu’un recours : l’attaque-suicide.