Ernest Pignon-Ernest a été élu à l’Académie des beaux-arts le 24 novembre 2021 au fauteuil précédemment occupé par Vladimir Veličković (1935-2019). Nous l’avons rencontré quelques jours après son installation, le 8 novembre, par son confrère Adrien Goetz, membre de la section des membres libres. Entretien avec un artiste qui croit à une forme de sacré… et à l’importance des rituels.
Il y a quasiment deux ans jour pour jour, le plasticien Ernest Pignon-Ernest a succédé au peintre Vladimir Veličković, disparu en 2019, à l’Académie des beaux-arts. Quelques jours après son installation le 8 novembre 2023, l’artiste considéré comme l’un des précurseurs de l’art urbain en France, revient sur son parcours, ses projets en cours et sa vision de la place de l’art dans le monde. Il revient également sur son souhait de rentrer à l’Académie des beaux-arts et son regard sur l’évolution de l’institution ces dernières décennies.
Vos proches ont sans doute été amusés de vous voir, lors de votre cérémonie d’installation, affublé d’une épée et d’un habit vert empesé.
En effet, j’ai réalisé que je n’avais jamais mis de cravate ces soixante dernières années. (Rires). J’étais très copain avec Wolinski et Cabu (assassinés lors de l’attaque du siège de Charlie-hebdo en janvier 2015 NDLR). J’ai pensé qu’ils auraient sûrement été présents, le 8 novembre, et qu’ils ne m’auraient pas loupé.
Pourquoi avez-vous souhaité entrer à l’Académie des beaux-arts ?
On m’avait suggéré, il y a vingt ans déjà, d’être candidat. Mais, cette sollicitation reposait sur un malentendu : le caractère apparemment classique de mon dessin : ça témoignait d’une incompréhension, du rôle singulier du dessin dans mes interventions. Nombre d’artistes qui y siégeaient alors et qui m’avaient écrit m’avaient semblé tournés vers le passé. Dans les mois qui ont suivi la disparition de Veličković, dont j’étais très ami, plusieurs de ses proches m’ont appelé pour me dire que c’était à moi, désormais, d’occuper le siège qui était le sien. Plusieurs artistes déjà présents à l’Académie des beaux-arts dont Fabrice Hyber, Sebastião Salgado et Gérard Garouste m’ont appelé ou écrit, eux aussi, pour me dire qu’il fallait que je les rejoigne.
- Ernest Pignon-Ernest, Pasolini assassiné
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Cette assemblée a aussi pour rôle de réfléchir à la situation des beaux-arts. En préparant son hommage, j’ai fait ce constat que Veličković avait eu des expositions importantes dans les plus grands musées du monde, mais pas en France – en France, pays qu’il avait choisi. Ici, seules des institutions privées ont présenté des expositions à l’aulne de son œuvre, mais aucune au sein d’une institution publique. Le 8 novembre, j’ai terminé mon discours en disant qu’il était important que l’Académie, qui réunit de riches expériences, s’interroge sur les raisons pour lesquelles les institutions culturelles ont complètement failli à leurs missions dans le champ des arts plastiques.
Pourquoi Germaine Richier n’a-t-elle eu droit à une exposition que soixante ans après sa disparition ? Pourquoi cette ignorance, cette mise à l’écart d’artistes comme Rebeyrolle ou Jacques Monory, des pans entiers de la création plastiques ont été ostracisés ? Les personnes qui ont été en charge des arts plastiques depuis quarante ans ont complètement failli. Mentalité de colonisés, de suiveurs alignés sur les propositions de l’art international alternant avec arrogance, mépris ou incompréhension pour tout ce qui se faisait en France. (…) Ils savaient ce que devait être l’art ! À propos d’académisme, le Bouguereau d’aujourd’hui ne serait-il pas Jeff Koons ?
Quel symbole avez-vous choisi de faire figurer sur votre épée d’académicien ?
Une référence au nom de ma ville de Nice, à Nike, nom d’une déesse de la mythologie grecque liée à la mer. J’ai réalisé, à Nice, il y a quelques années, une grande sculpture, une Victoire de Samothrace, installée sur la ligne du tram, à la station Garibaldi. Station qui se trouve à 50 mètres de la maison de ma mère. Ce monument figure la Samothrace sur les épaules de laquelle repose, provocateur, avec un pied posé sur ses seins, un Garibaldi sale gosse, une espèce de loulou car au fond il a toujours été un chef de bande. La poignée de mon épée reprend ces motifs avec des références à la Grèce, à Nice, à la mer et aux mythologies. J’ai fait graver, sur la garde une phrase de Romain Gary : « L’homme sans mythologie de l’homme, c’est de la barbaque ». Je tenais à cette référence à Gary, à La promesse de l’aube et c’est symboliquement Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps des poètes qui m’a remis mon épée.
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Pourquoi aviez-vous choisi Haïti ?
J’aime les écrivains et les poètes haïtiens. Il y a quelque chose de très méditerranéen que soulignait Alejo Carpentier avec son « réalisme merveilleux ». C’est un peu bordélique, comme Naples. Il y a une intensité de la vie, une sensualité et une jeunesse très présente. J’aurais voulu faire, à Haïti, un travail du même ordre que celui que j’ai réalisé à Naples. Interroger une autre culture, la ville à partir de la rue, de son histoire, de ses croyances, de sa poésie. Mes premiers collages sont nés de l’œuvre de Jacques Stephen Alexis …. Il y a chez lui comme chez Pasolini, Mahmoud Darwich, ou Neruda cette conjonction de l’œuvre et du destin qui fait qu’ils incarnent leur temps, leur pays leur peuple, leurs aspirations. Qu’ils incarnent des valeurs.
Vous êtes proche d’Elias Sanbar, écrivain, ancien négociateur aux pourparlers de paix israélo-palestiniens et ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco. En quoi a consisté votre contribution à l’exposition « Ce que la Palestine apporte au Monde » dont il est le commissaire général ?
Disons que j’ai un rôle de conseiller auprès d’Elias Sanbar, c’est un ami. J’avais été invité, il y a dix ans, à l’exposition de lancement de la collection de ce futur Musée national d’art moderne et contemporain de Palestine qui sera installé à Jérusalem Est, je lui avais exprimé mes réserves : trop d’œuvres explicitement politiques, premier degré… Je lui avais conseillé de penser un vrai musée en sélectionnant les œuvres pour leurs qualités et le talent des artistes, plutôt que les thèmes et j’avais contribué à établir les premiers contacts avec des artistes comme Jean Le Gac, Hervé Télémaque et Vladimir Velickovic, Julio Le Parc, puis Christian Boltanski, et Jean-Michel Alberola notamment… et mis en route la collection qui s’enrichie beaucoup, notamment en photos, dessins et aussi d’artistes plus jeunes.
J’avais eu l’expérience, en 1980, de constituer le musée Artistes du Monde contre l’Apartheid avec Jacques Derrida et Antonio Saura, alors que Nelson Mandela était en prison … L’histoire ayant tourné, pour une fois, dans le bon sens, nous avons pu lui remettre les œuvres, une fois qu’il est devenu président… C’était un signe positif. J’espère pouvoir, un jour, accompagner ces œuvres du Musée Palestine à Jérusalem Est capitale de l’État Palestinien.
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