Le paradoxe de la situation économique mondiale actuelle, c’est que le déclenchement d’une crise de très grande ampleur, probablement comparable à celle de 1929, est à la fois totalement certain, et totalement imprévisible. Donc, ce petit article sans prétention pour essayer d’expliquer aux lecteurs peu au fait des théories économiques pourquoi, si vous voulez bien me passer l’expression, ça va chier.
Et aussi pourquoi, s’il est certain que ça va chier, il en revanche très difficile de dire exactement quand et comment…
TOTALE CERTITUDE
Un krach boursier est, sur le plan mathématique, une catastrophe, c’est-à-dire une rupture d’équilibre dans un environnement dynamique. Un système donné est parvenu au point où ses contradictions internes ne peuvent plus être surmontées dans le cadre du système, aussi le système explose-t-il, pour se recomposer au prix du « solde » brutal d’un certain nombre de contradictions – et, parfois, de contradicteurs.
En général, un krach se déroule en cinq temps.
Premier temps : une spirale haussière est enclenchée. La raison apparente est toujours que de petits malins, quelque part, ont trouvé une recette miracle pour se faire de l’argent. Exemple : prétendre que la « nouvelle économie » engendrerait mécaniquement un taux de rendement de 15 %, aspirer des investissements disproportionnés et vivre dessus joyeusement (cas de la bulle Internet). Exemple : prétendre qu’on peut prêter aux pauvres en gageant leurs crédits sur la hausse supposée indéfinie des prix de l’immobilier, leur facturer des taux surdimensionnés et noyer le risque dans des produits de placement de plus en plus complexes (cas de la bulle des subprimes).
Cependant, cette raison apparente n’est pas la raison réelle. La raison réelle tient à ce que l’on appelle la dérive inégalitaire du capitalisme.
Pendant la première phase du cycle de krach, le marché est nourri par un phénomène de concentration morbide des richesses. Pour qu’une spirale haussière soit enclenchée, en effet, il faut qu’il existe des capitaux en surcroît, qui ne trouvent pas à s’investir dans l’économie réelle, dans la croissance effective de l’outil productif. C’est pourquoi la phase de spirale haussière est souvent couplée à une période de dérive inégalitaire.
Cette dérive inégalitaire est spontanée, elle résulte de la nature même de l’économie capitaliste. Sans entrer dans les détails, le mécanisme est le suivant : quand un smicard gagne 5 % de plus, le smicard dépense 5 % de plus. Quand un riche gagne 5 % de plus, le riche économise 5 % de plus (il n’a rien à acheter qu’il n’ait déjà). Donc peu à peu, le riche s’enrichit alors que le smicard reste toujours aussi pauvre. Donc peu à peu, le capital s’accumule à un bout du spectre social et l’inégalité se creuse, mécaniquement.
Or, comme le capital est de plus en plus accumulé, il lui faut, pour maintenir son taux de rendement, ponctionner de plus en plus les salaires. Ainsi, on a eu, entre 1980 et 2008, une très belle phase de dérive spontanée du capitalisme, avec une part des profits dans le PIB qui est passée en Occident de 20 % à 33 % environ (la part des revenus du travail et sociaux, entretemps, est donc passée de 80 % à 67 %).
Pendant cette première phase d’un cycle de krach, le discours des autorités oscille bien entendu entre l’euphorie (« nous vivons une période de croissance sans précédent ») et le rappel au bon sens (ainsi Greenspan mettant en garde périodiquement, en son temps, contre « l’exubérance irrationnelle des marchés »). Pour le reste, c’est une période de laisser-faire : les autorités capitalistes, n’ayant pas à faire face à des crises ouvertes, se contentent d’observer la dérive sans intervenir, ou si peu. C’est ce que nous avons observé régulièrement ces dernières décennies, pendant les périodes de spirale haussière (1995-1999, 2003-2007).
Cependant, pendant que les marchés festoient, le mécanisme générateur du krach est déjà en train de se mettre en branle…
Comme la concentration des richesses entraîne une rétraction mécanique du marché, puisque les riches épargnent de plus en plus alors que les pauvres se serrent la ceinture de plus en plus, il faut, pour continuer à générer de la croissance, prêter aux pauvres pour qu’ils continuent à consommer. C’est ce que nous avons vu aux Etats-Unis depuis 30 ans, avec une progression régulière de la dette privée, jusqu’au chiffre de 170 % environ du PIB officiel.
Chiffre d’autant plus inquiétant que, suivant les estimations, 75 % environ du PIB américain est constitué par le secteur tertiaire pur, dont une forte proportion renvoie à des activités artificielles. Par conséquent, si l’on ramène la dette privée américaine à la production effective de biens primaires et secondaires, les Américains sont endettés à hauteur d’environ 6 années de leur production agricole et industrielle.
Un tel niveau d’endettement implique qu’en pratique, le système n’a plus aucune signification. Ce n’est plus qu’un empilement de conventions adossées les unes aux autres, qui peut s’effondrer à tout moment comme un château de cartes.
Depuis des décennies, l’Amérique fabrique donc une fausse croissance, qui engendre une augmentation régulière des indices boursiers tout simplement parce que l’argent s’accumule dans les portefeuilles d’investissement, mais qui ne renvoie plus au développement économique réel en termes de production. La machine tourne en générant une dette qui croît mécaniquement, jusqu’à atteindre, si on ajoute dette privée, dette publique et dette financière (les dettes des institutions financières entre elles) le total hallucinant de 340 % du PIB (12 ans de production !).
En Europe, on a assisté au même mécanisme, quoiqu’à un degré moindre. La Grande-Bretagne et la Hollande, caractérisées par des taux d’endettement privé important, ressemblent aux USA sous cet angle. L’Allemagne aussi a un taux d’endettement privé élevé, mais moindre tout de même que la Grande-Bretagne et surtout resté relativement plus stable qu’en Angleterre. La France et l’Italie ont un taux d’endettement privé plus bas, mais ce faible endettement privé s’accompagne d’un très fort endettement public (65 % du PIB en France si l’on se limite à la dette comptable stricto sensu, probablement plus de 150 % si l’on comptabilise les retraites des fonctionnaires comme une dette).
Il n’est pas absurde de voir dans la quasi-faillite de l’Etat français le prix à payer pour limiter l’endettement privé, les allocations sociales n’étant en somme qu’une manière de continuer à faire consommer les pauvres autrement qu’en leur prêtant à taux élevé – ce qui reporte le problème de la dette sur la collectivité. De ce constat, on peut déduire qu’une certaine gauche utopiste a bien tort de nier la réalité du problème de l’endettement public, mais aussi qu’une certaine droite libérale ferait mieux de la boucler, puisqu’en réalité, ce problème n’est que la traduction dans l’espace français d’un déséquilibre général créé au niveau mondial par le néolibéralisme.
Enfin, signalons que l’Espagne, entrée plus tard dans le capitalisme international et caractérisée par un boom immobilier irrationnel, constitue un cas particulier : l’endettement privé y est parti de très bas, pour grimper à toute vitesse ces dernières années. Les Espagnols auront réussi l’exploit improbable de devenir de véritables champions de l’irrationnel libéral en une seule génération post-Franco.
Deuxième temps : la spirale haussière finit par exploser, ce qui déclenche une spirale baissière. Exemple : certaines startups peinent à afficher la moindre rentabilité, du coup les investisseurs prennent conscience du risque, et les actions de ces startups commencent à dégringoler du sommet absurde où elles s’étaient hissées (explosion de la bulle Internet). Exemple : les prix de l’immobilier ont atteint le seuil où même avec des prêts bidon, la classe moyenne inférieure ne peut plus acheter. Du coup, les prix plafonnent. Les emprunteurs de subprimes obligés de déménager se retrouvent alors dans l’impossibilité de vendre leur maison pour rembourser leurs prêts, et les prêteurs commencent à vaciller. Des doutes surviennent sur leur solidité financière, et leurs actions chutent par à coups brutaux et successifs.
L’explosion de la bulle des subprimes, à l’été 2007, a illustré ce processus de retournement de manière particulièrement nette. A partir de 2004, la réserve fédérale a progressivement remonté ses taux d’intérêt, qui étaient tombés historiquement bas après la crise des années 2001-2002. Ce choc a suffi pour faire exploser progressivement, de 2005 à 2007, tout un système d’endettement à taux variable et sans caution solide. A la mi-2007, le taux de non-remboursement sur les subprimes était monté à 15 %. Résultat : en août 2007, plusieurs institutions financières spécialisées dans les subprimes se sont trouvées en situation de quasi-faillite, faute de pouvoir récupérer leurs créances.
Il en est résulté une crise de défiance envers toutes les créances titrisées, c’est-à-dire les créances « paquet » regroupant, sur un titre boursier donné, un ensemble d’actifs divers en proportion variable. Il est devenu soudain très important de savoir quels véhicules étaient porteurs de créances subprimes, et on s’est alors rendu compte qu’une grande partie du système financier était potentiellement exposé au risque subprimes. Pour donner une image : vous achetez une obligation, et cette obligation est émise par une institution qui va utiliser votre argent pour le prêter en subprime : si les prêts subprimes ne sont plus remboursés, cette institution ne pourra plus vous rémunérer correctement, et la valeur de votre obligation va donc en souffrir.
Depuis un an, progressivement, le système financier mondial implose. Cela se fait par une succession de convulsions, dont l’épicentre se trouve dans le secteur subprimes, mais les secousses secondaires sont ressenties pratiquement partout. Le 11 juillet 2008, tout récemment donc, la banque californienne Indymac, l’un des plus gros prêteurs hypothécaires américains, a été mise sous tutelle par les autorités fédérales. C’est la plus grosse faillite bancaire aux USA depuis 24 ans. Cette faillite est la conséquence directe du retrait en quelques jours de plus d’un milliard de dollars par des clients affolés, à la suite de rumeur sur la solvabilité du groupe. En langage clair : c’est la panique. En un an, l’action Indymac a perdu 99 % de sa valeur.
Or, et voilà le fait essentiel, nous n’en sommes qu’au tout début du processus.
Si la bulle des subprimes a constitué un cas d’école, elle n’est en réalité qu’un signe avant-coureur. Les subprimes représentaient, en tout, moins de 4 % de l’endettement des ménages américains. Cela veut dire que si le système saute dans sa globalité, on assistera à une crise vingt fois plus grosse que celle des subprimes.
Or, le bâteau USA tangue quand il encaisse une vague ordinaire d’un mètre de haut… mais quand il prendra par le travers une déferlante de vingt mètres, il chavirera.
Troisième temps : la contagion à l’économie réelle. Cette troisième phase du cycle de krach commence lorsque du fait de la baisse des actifs, certains acteurs économiques extérieurs au secteur bancaire se trouvent à leur tour en difficultés de trésorerie. C’est le cas par exemple quand vous, ami lecteur, espériez revendre vos actions Société Générale à un prix X pour financer la réfection de votre toiture, et découvrez soudain que vous ne vendrez ces actions qu’à un prix X/2, la SG ayant dû encaisser les pertes liées aux subprimes (entre autres choses) – d’où votre décision de ne rénover que la moitié de votre toiture…
Ce qui est vrai pour vous l’est aussi pour les PME, et même, avec quelques nuances, pour les grandes entreprises industrielles. La baisse des actifs engendre mécaniquement une contraction des disponibilités monétaires, et cette contraction est ressentie progressivement par l’économie réelle.
Le mécanisme est lent. Dans un premier temps, l’implosion des actifs boursiers a peu d’impact sur l’économie réelle, parce qu’en réalité, cette implosion ne détruit au départ que de la valeur fictive. Au fond, l’argent qui disparaît n’a jamais existé. Seulement, et c’est là que ça coince, dans un second temps, on s’aperçoit qu’une fois disparu l’argent imaginaire, le système est bloqué par la concentration des richesses.
En effet, la conséquence de l’implosion de la spirale haussière, c’est qu’il n’est plus possible de financer une croissance artificielle par un endettement sans caution. Qui va, aujourd’hui, placer des subprimes sur le marché américain ? Personne, évidemment. Résultat : le capitalisme est renvoyé à sa contradiction interne, les pauvres sont toujours aussi pauvres, et comme il n’y a plus personne pour leur prêter de l’argent, ils ne consomment plus. Résultat du résultat : crise de la demande.
C’est à ce moment-là, en général, qu’un gouvernement avisé prend des mesures drastiques pour empêcher la crise de gagner l’économie réelle. Ces mesures sont connues sous le terme générique de keynésianisme. En gros, il s’agit de faire tourner la planche à billets pour créer de la monnaie (ce qui impose de dévaluer), puis de distribuer cette monnaie aux consommateurs via des allocations ou, encore mieux, de lancer des grands chantiers publics ou parapublics, d’où activité, d’où salaires, d’où relance – et en plus, amélioration des infrastructures. Il en découle un effet de déconcentration de la richesse, donc une relance du système : à nouveau, les pauvres se sont un peu enrichis, donc ils peuvent consommer. Grâce à un New Deal (nouvelle distribution des cartes), les joueurs peuvent relancer la partie.
Il est très important pour la suite des évènements de noter que ce n’est pas là ce que la FED, et à un degré moindre la BCE, ont fait pendant l’année écoulée. La FED a certes baissé ses taux et « fabriqué » la bagatelle de 400 milliards de dollars pour éviter l’implosion complète du système financier américain, mais cette considérable manne monétaire n’a pas été injectée dans l’économie réelle, ce qu’il aurait fallu faire dans une optique keynésienne. Cet argent a été utilisé pour renflouer les institutions financières mises à mal par la crise des subprimes, ce qui revient à dire que pour masquer la disparition d’un argent imaginaire, on s’est contenté de fabriquer encore plus d’argent imaginaire.
En conséquence, non seulement la politique de la FED ne résout pas le problème, mais elle va au contraire l’aggraver. En offrant la manne monétaire à la sphère financière, la FED ne lutte pas contre la concentration morbide des richesses qui est la cause première de la crise, elle va au contraire renforcer cette concentration morbide. Ainsi, on risque de s’acheminer vers une phase de stagflation, c’est-à-dire un combiné entre inflation (du fait de l’émission monétaire incontrôlée destinée à couvrir les défaillances d’institutions financières) et la stagnation (du fait de l’absence de croissance, faute de relance possible par l’augmentation de la demande de biens et de produits).
Cet effet semble toléré par les autorités. Mieux : il semble qu’elles l’encouragent. Il n’est pas possible que la FED ne sache pas qu’elle offre aux spéculateurs les moyens de spéculer toujours davantage, et donc d’enclencher de nouvelles bulles spéculatives. Après l’immobilier, en phase d’implosion maintenant que la bulle des crédits immobiliers se dégonfle, c’est au tour des matières premières de subir l’afflux irrationnels de capitaux qui n’ont plus de contrepartie dans l’économie réelle. Il en découle une catastrophe latente dans les pays pauvres (émeutes de la faim) et une situation de grande tension pour les classes populaires des pays riches (évolution des modes de consommation des Français).
Force est de constater que lorsque la FED accorde 400 milliards de dollars en ligne de crédit aux grandes banques d’affaire pour écarter temporairement tout risque de cessation de paiement au niveau des grands acteurs de l’économie financiarisée, elle débloque des moyens qui, ne pouvant s’investir dans l’économie réelle, vont relancer la machine spéculative – et force est de constater que les autorités monétaires le savent très bien, et force est de constater en contre partie que lorsque le FMI ne débloque que 400 millions de dollars pour aider les pays pauvres à nourrir leur population, le message est : nous vous accordons mille fois moins d’importance qu’à notre économie de casino, nous vous foutons de votre gueule, vous pouvez crever.
Force est donc de constater que la crise est programmée, qu’elle est manifestement volontaire, ou en tout cas acceptée, et qu’elle correspond à une stratégie délibérée. Et force est donc de constater qu’il n’y a aucune raison pour que les évènements n’aillent pas jusqu’à leur terme, c’est-à-dire jusqu’au cinquième temps du cycle de krach.
Quatrième temps : la contagion à l’économie réelle produit une révision à la baisse de l’activité, donc des profits des sociétés. Il en résulte un effet d’emballement que certains observateurs superficiels croient irrationnels, mais qui est au contraire tout à fait rationnel. L’apparent mimétisme des boursiers traduit en période de hausse un comportement irrationnel dans l’absolu (calcul cynique de très court terme), mais en période de krach, il ne fait que rendre compte d’un calcul économiquement très sain : les actifs ne sont plus rentables, donc on les vend. Il en résulte un cercle vicieux : la baisse des actifs entraîne une chute de l’activité qui induit en retour une nouvelle baisse des actifs, et ainsi de suite.
Où en sommes-nous de ce mécanisme ?
Nous nous trouvons pour l’instant à la fin du troisième temps en ce qui concerne la vague annonciatrice de la crise, c’est-à-dire l’explosion de la bulle des subprimes. Nous sommes encore, en revanche, au début du deuxième temps en ce qui concerne la vague principale, c’est-à-dire l’explosion du système de crédit dans son ensemble.
Pour l’instant, la crise des subprimes a fini de diffuser dans l’économie réelle, et elle entraîne un ralentissement significatif de la croissance aux USA. Par contrecoup, elle a considérablement dégradé le ratio de solvabilité de certains établissements européens fortement engagés sur les marchés américains – UBS, la Société Générale et même, ô surprise, le très prudent Crédit Agricole (les caisses régionales sont au bord de la révolte, il n’est pas impossible qu’un phénomène intéressant se déroule de ce côté, qui annoncerait le soulèvement des acteurs de l’économie réelle). La crise des subprimes a aussi plombé significativement les capacités de consommation des Américains, et il est certain maintenant que la croissance américaine va souffrir d’un ralentissement durable.
Cependant, tout cela n’est encore que broutilles, par rapport à :
* ce qui risque fort d’arriver à brève échéance,
* et qui, si la politique actuelle est poursuivie indéfiniment, finira forcément par survenir…
à savoir la répétition de la crise des subprimes, mais cette fois à l’échelle de l’ensemble du système financier.
Un facteur exogène peut ici venir accélérer l’évolution du système d’ensemble : le prix du pétrole. Sous l’effet de la spéculation principalement, mais pas seulement, l’or noir ne cesse de grimper. Or, on sait qu’un pétrole à 200 $, c’est de la croissance en moins, et un pétrole à 500 $, c’est la récession assurée. Une brusque envolée du baril aurait pour conséquence de révéler brutalement la très grande fragilité de l’économie américaine, et à un degré moindre de certaines économies européennes :
Des « bulles » latentes, dans l’économie occidentale, il y en a tellement qu’on ne les compte plus. Une grande partie des crédits au particulier, aux USA, sont rattachés à des catégories à peine moins malsaines que les subprimes. En cas de ralentissement brutal de l’économie américaine, une bulle trois ou quatre fois plus grosse que celle des subprimes peut éclater sans crier gare. On citera aussi, à titre de figure emblématique, le problème des crédits par carte bancaire, véritable pousse à consommer destiné aux ménages modestes. C’est une frénésie de crédit qui a fait tourner la machine ces cinq dernières années, aux USA et, à un degré moindre, en Europe…
L’explosion du taux d’endettement, dans une période comme celle que nous vivons, ne concerne plus seulement les particuliers. Du fait de la masse incroyable de capitaux que la dérive inégalitaire du capitalisme a fait s’amasser sans contrepartie matérielle, l’économie spéculative a progressivement envahi l’économie réelle, surtout depuis la fin des années 90. Le véhicule le plus important de cet envahissement est le LBO, « Leveraged buyout », ou financement d’ acquisition par emprunt, technique qui entraîne, au fur et à mesure des fusions-acquisitions, une augmentation exponentielle du taux d’endettement des entreprises concernées (en gros : on rachète des entreprises en se finançant par de la dette à court terme, on dépèce et on se paye sur la bête pour rembourser la dette et faire un bénéfice, en négligeant l’entretien de l’outil industriel et les problématiques métier). Il y a là une sacrée bulle, qui risque en explosant de faire plus de bruit que les subprimes. Combien d’entreprises, si elles n’atteignent pas leurs objectifs de court terme du fait d’une récession, vont planter des créanciers qui espéraient un rendement rapide, à défaut d’être sain ?
La dette américaine extérieure avoisine 12.000 milliards de dollars. Une grande partie est détenue par la Chine, qui pour l’instant finance l’Amérique en lui réinjectant une grande partie des excédents commerciaux qu’elle accumule avec autant de frénésie que l’Amérique, de son côté, cumule les déficits. Cette situation délirante impliquera à terme une crise gravissime en Chine, ce pays présentant la particularité absurde d’avoir une énorme capacité industrielle et un marché intérieur encore très limité (les usines chinoises ne fonctionneraient d’ores et déjà qu’à 50 % de leur capacité).
Mais surtout, cette situation peut créer à terme une crise gravissime aux USA. Imaginons que demain les Chinois cessent de réinjecter leurs excédents commerciaux dans l’économie américaine, et qu’en rétorsion les Occidentaux retirent leurs investissements de Chine. Que répondre aux Chinois s’ils nous disent : « très bien, gardez les dollars, nous gardons les usines » ? – Cette boutade n’en est pas une : au-delà des jeux complexes de l’économie financiarisée, le phénomène de fond qui se déroule sous nos yeux est le basculement latent du centre de gravité de l’économie productive à l’échelle mondiale. Et la Chine des années 2000 n’est pas le Japon des années 90. En 1989, pour éviter de gros ennuis à une Amérique qui, rappelons-le, possède des bases militaires au Japon, le pays du soleil levant avait accepté une réévaluation de sa monnaie, et donc un réajustement progressif du déficit commercial américain et des créances japonaises sur les USA. Rien ne dit que la Chine sera aussi accommodante, vingt ans plus tard. Il n’y pas de bases américaines en Chine.
Cinquième temps : la Grande Dépression. La spirale baissière des actifs boursiers a donc contaminé l’économie réelle qui, en calant, a à son tour révélé la fragilité des entreprises surendettées. Ne dégageant plus assez de cash pour rembourser leurs créanciers eux-mêmes aux abois, les entreprises industrielles et commerciales font faillite.
Cette fois, ça y est : l’ensemble du système économique est par terre. Désormais, c’est l’économie matérielle qui est désorganisée. Des sous-traitants se retrouvent en chômage technique à cause de la faillite de leur client principal, des grandes entreprises sont désorganisées par les faillites en chaîne de leurs sous-traitants.
La baisse des actifs atteint un tel niveau que la capitalisation boursière (nombre d’actions émises par cours de l’action) de nombreuses entreprises pas encore en faillite devient inférieure à leur actif net comptable (biens inscrits à l’actif moins les dettes), et cela même en évaluant l’actif net dans une logique de liquidation. On arrive donc à une « sous-valeur » des entreprises, ce qui est absurde. Dès lors, la chute des cours ne peut plus se poursuivre, parce que de toute façon, la simple revente des actifs suffirait à dégager un profit, sans même faire fonctionner l’outil de production. A partir de ce moment-là, le krach boursier ne peut plus se poursuivre, parce qu’il a en quelque sorte ramené les valeurs boursières à un « plancher » infranchissable. Historiquement, au XX° siècle, un seul krach a atteint cette phase extrême : celui de 1929 – et encore : pas partout dans le monde, ni dans tous les secteurs.
Cependant, cette stabilisation des indices boursiers à un niveau très bas n’entraîne pas mécaniquement la relance de l’activité économique réelle. Certes, la « purge » a effacé une grande partie des dettes. Mais les pauvres restent toujours aussi pauvres, et la consommation ne repart pas vraiment. Historiquement, la sortie de crise fut obtenue, après la grande dépression des années 30, en partie par le New Deal (en partie seulement), et surtout… par la guerre.
La guerre résout le problème principal, celui qui est à la racine de la crise : la concentration des richesses. Par la guerre, il devient possible de faire fonctionner l’outil de production sans remettre en cause directement le caractère inégalitaire marqué dans la répartition des richesses. La guerre justifie que les fabricants d’armes encaissent de fabuleux bénéfices, et les usines tournent même s’il n’y a plus que des pauvres incapables d’acheter leur production : de toute façon, ce qu’on produit, ce sont des armes, des munitions, des objets détruits par la guerre, qui remplace la consommation comme appel à la production. Et puis, à la fin de la guerre, de deux choses l’une : ou l’on a perdu, et il ne reste plus qu’à servir le conquérant. Ou l’on a gagné, et alors il est possible de relancer la machine économique en finançant un nouveau boom de la consommation par le pillage des pays conquis – ou, variante, par la conquête de leur marché intérieur, offert à l’industrie du conquérant. L’impérialisme est le seul moyen pour le capitalisme de surmonter sa contradiction interne fondamentale, une fois la voie keynésienne écartée.
TOTALE IMPREVISIBILITE
Alors faisons le bilan.
Nous savons que fondamentalement, nous sommes à la veille d’une crise majeure, un nouveau 1929. Et nous savons que le seul moyen d’empêcher ce 1929, ce serait un néo-keynésianisme de grande ampleur, à l’échelle planétaire. Et nous constatons que pour ne pas remettre en cause le modèle de société inégalitaire qu’ils ont construit progressivement ces deux dernières décennies, les maîtres du monde refusent ce néo-keynésianisme. Nous en déduisons logiquement qu’ils acceptent donc le 1929 – c’est soit leur objectif, soit un à côté de leur politique qu’ils tolèrent.
Ce que nous ne savons pas, en revanche, c’est comment ils comptent organiser ce 1929. En gros et sous réserve des lapins blancs que ces messieurs ont peut-être caché dans leur chapeau, ils peuvent faire deux choses :
Hypothèse 1 : attaquer l’Iran, déclencher une guerre, et ainsi résoudre la contradiction interne du capitalisme,
Hypothèse 2 : ne pas attaquer l’Iran, donc gérer la faillite du système américain en continuant pendant un certain temps d’injecter des dollars à tout va.
Dans l’hypothèse 1, nous ne savons pas qui gagnera. Si les USA réussissent à mettre la main sur l’Iran et à mettre sous contrôle tout le Moyen Orient, il est possible qu’ils acquièrent un réel levier sur la Chine, l’obligeant à encaisser le poids de la crise qui vient, comme le Japon l’a fait dans les années 1990. S’ils perdent, ou s’ils se retrouvent avec un Iran qui bloque le détroit d’Ormuz, nous aurons un pétrole hors de prix, ce qui justifiera aux yeux des opinions le maintien d’un faible niveau de vie, et donc la structure inégalitaire de la société. Variante que nos amis les Grands de ce Monde soupèsent en ce moment avec prudence : la crise devient telle que la population disjoncte…
Dans l’hypothèse 2, nous ne savons pas au juste combien de temps les USA pourront continuer à fabriquer du dollar fictif avant que la super-bulle n’explose, sur le modèle d’une crise des subprimes à l’échelle de l’ensemble du système de crédit. Il faudrait disposer de modèles économétriques extraordinairement fins pour simuler l’évolution spontanée de l’économie financiarisée dans les 5 ans qui viennent.
Alors voilà, vous comprenez maintenant pourquoi :
On a la certitude que nous allons vers une crise majeure (sauf improbable miracle, à savoir la conversion soudaine des élites mondialistes à un néo-keynésianisme planétaire),
Et cependant, il est absolument exclu de se risquer à une prévision précise quant à la date et aux modalités de déclenchement exact de la crise à venir.
Situation intéressante, non ?
Michel Drac pour Scriptoblog et E&R
Source : http://www.scriptoblog.com
Et aussi pourquoi, s’il est certain que ça va chier, il en revanche très difficile de dire exactement quand et comment…
TOTALE CERTITUDE
Un krach boursier est, sur le plan mathématique, une catastrophe, c’est-à-dire une rupture d’équilibre dans un environnement dynamique. Un système donné est parvenu au point où ses contradictions internes ne peuvent plus être surmontées dans le cadre du système, aussi le système explose-t-il, pour se recomposer au prix du « solde » brutal d’un certain nombre de contradictions – et, parfois, de contradicteurs.
En général, un krach se déroule en cinq temps.
Premier temps : une spirale haussière est enclenchée. La raison apparente est toujours que de petits malins, quelque part, ont trouvé une recette miracle pour se faire de l’argent. Exemple : prétendre que la « nouvelle économie » engendrerait mécaniquement un taux de rendement de 15 %, aspirer des investissements disproportionnés et vivre dessus joyeusement (cas de la bulle Internet). Exemple : prétendre qu’on peut prêter aux pauvres en gageant leurs crédits sur la hausse supposée indéfinie des prix de l’immobilier, leur facturer des taux surdimensionnés et noyer le risque dans des produits de placement de plus en plus complexes (cas de la bulle des subprimes).
Cependant, cette raison apparente n’est pas la raison réelle. La raison réelle tient à ce que l’on appelle la dérive inégalitaire du capitalisme.
Pendant la première phase du cycle de krach, le marché est nourri par un phénomène de concentration morbide des richesses. Pour qu’une spirale haussière soit enclenchée, en effet, il faut qu’il existe des capitaux en surcroît, qui ne trouvent pas à s’investir dans l’économie réelle, dans la croissance effective de l’outil productif. C’est pourquoi la phase de spirale haussière est souvent couplée à une période de dérive inégalitaire.
Cette dérive inégalitaire est spontanée, elle résulte de la nature même de l’économie capitaliste. Sans entrer dans les détails, le mécanisme est le suivant : quand un smicard gagne 5 % de plus, le smicard dépense 5 % de plus. Quand un riche gagne 5 % de plus, le riche économise 5 % de plus (il n’a rien à acheter qu’il n’ait déjà). Donc peu à peu, le riche s’enrichit alors que le smicard reste toujours aussi pauvre. Donc peu à peu, le capital s’accumule à un bout du spectre social et l’inégalité se creuse, mécaniquement.
Or, comme le capital est de plus en plus accumulé, il lui faut, pour maintenir son taux de rendement, ponctionner de plus en plus les salaires. Ainsi, on a eu, entre 1980 et 2008, une très belle phase de dérive spontanée du capitalisme, avec une part des profits dans le PIB qui est passée en Occident de 20 % à 33 % environ (la part des revenus du travail et sociaux, entretemps, est donc passée de 80 % à 67 %).
Pendant cette première phase d’un cycle de krach, le discours des autorités oscille bien entendu entre l’euphorie (« nous vivons une période de croissance sans précédent ») et le rappel au bon sens (ainsi Greenspan mettant en garde périodiquement, en son temps, contre « l’exubérance irrationnelle des marchés »). Pour le reste, c’est une période de laisser-faire : les autorités capitalistes, n’ayant pas à faire face à des crises ouvertes, se contentent d’observer la dérive sans intervenir, ou si peu. C’est ce que nous avons observé régulièrement ces dernières décennies, pendant les périodes de spirale haussière (1995-1999, 2003-2007).
Cependant, pendant que les marchés festoient, le mécanisme générateur du krach est déjà en train de se mettre en branle…
Comme la concentration des richesses entraîne une rétraction mécanique du marché, puisque les riches épargnent de plus en plus alors que les pauvres se serrent la ceinture de plus en plus, il faut, pour continuer à générer de la croissance, prêter aux pauvres pour qu’ils continuent à consommer. C’est ce que nous avons vu aux Etats-Unis depuis 30 ans, avec une progression régulière de la dette privée, jusqu’au chiffre de 170 % environ du PIB officiel.
Chiffre d’autant plus inquiétant que, suivant les estimations, 75 % environ du PIB américain est constitué par le secteur tertiaire pur, dont une forte proportion renvoie à des activités artificielles. Par conséquent, si l’on ramène la dette privée américaine à la production effective de biens primaires et secondaires, les Américains sont endettés à hauteur d’environ 6 années de leur production agricole et industrielle.
Un tel niveau d’endettement implique qu’en pratique, le système n’a plus aucune signification. Ce n’est plus qu’un empilement de conventions adossées les unes aux autres, qui peut s’effondrer à tout moment comme un château de cartes.
Depuis des décennies, l’Amérique fabrique donc une fausse croissance, qui engendre une augmentation régulière des indices boursiers tout simplement parce que l’argent s’accumule dans les portefeuilles d’investissement, mais qui ne renvoie plus au développement économique réel en termes de production. La machine tourne en générant une dette qui croît mécaniquement, jusqu’à atteindre, si on ajoute dette privée, dette publique et dette financière (les dettes des institutions financières entre elles) le total hallucinant de 340 % du PIB (12 ans de production !).
En Europe, on a assisté au même mécanisme, quoiqu’à un degré moindre. La Grande-Bretagne et la Hollande, caractérisées par des taux d’endettement privé important, ressemblent aux USA sous cet angle. L’Allemagne aussi a un taux d’endettement privé élevé, mais moindre tout de même que la Grande-Bretagne et surtout resté relativement plus stable qu’en Angleterre. La France et l’Italie ont un taux d’endettement privé plus bas, mais ce faible endettement privé s’accompagne d’un très fort endettement public (65 % du PIB en France si l’on se limite à la dette comptable stricto sensu, probablement plus de 150 % si l’on comptabilise les retraites des fonctionnaires comme une dette).
Il n’est pas absurde de voir dans la quasi-faillite de l’Etat français le prix à payer pour limiter l’endettement privé, les allocations sociales n’étant en somme qu’une manière de continuer à faire consommer les pauvres autrement qu’en leur prêtant à taux élevé – ce qui reporte le problème de la dette sur la collectivité. De ce constat, on peut déduire qu’une certaine gauche utopiste a bien tort de nier la réalité du problème de l’endettement public, mais aussi qu’une certaine droite libérale ferait mieux de la boucler, puisqu’en réalité, ce problème n’est que la traduction dans l’espace français d’un déséquilibre général créé au niveau mondial par le néolibéralisme.
Enfin, signalons que l’Espagne, entrée plus tard dans le capitalisme international et caractérisée par un boom immobilier irrationnel, constitue un cas particulier : l’endettement privé y est parti de très bas, pour grimper à toute vitesse ces dernières années. Les Espagnols auront réussi l’exploit improbable de devenir de véritables champions de l’irrationnel libéral en une seule génération post-Franco.
Deuxième temps : la spirale haussière finit par exploser, ce qui déclenche une spirale baissière. Exemple : certaines startups peinent à afficher la moindre rentabilité, du coup les investisseurs prennent conscience du risque, et les actions de ces startups commencent à dégringoler du sommet absurde où elles s’étaient hissées (explosion de la bulle Internet). Exemple : les prix de l’immobilier ont atteint le seuil où même avec des prêts bidon, la classe moyenne inférieure ne peut plus acheter. Du coup, les prix plafonnent. Les emprunteurs de subprimes obligés de déménager se retrouvent alors dans l’impossibilité de vendre leur maison pour rembourser leurs prêts, et les prêteurs commencent à vaciller. Des doutes surviennent sur leur solidité financière, et leurs actions chutent par à coups brutaux et successifs.
L’explosion de la bulle des subprimes, à l’été 2007, a illustré ce processus de retournement de manière particulièrement nette. A partir de 2004, la réserve fédérale a progressivement remonté ses taux d’intérêt, qui étaient tombés historiquement bas après la crise des années 2001-2002. Ce choc a suffi pour faire exploser progressivement, de 2005 à 2007, tout un système d’endettement à taux variable et sans caution solide. A la mi-2007, le taux de non-remboursement sur les subprimes était monté à 15 %. Résultat : en août 2007, plusieurs institutions financières spécialisées dans les subprimes se sont trouvées en situation de quasi-faillite, faute de pouvoir récupérer leurs créances.
Il en est résulté une crise de défiance envers toutes les créances titrisées, c’est-à-dire les créances « paquet » regroupant, sur un titre boursier donné, un ensemble d’actifs divers en proportion variable. Il est devenu soudain très important de savoir quels véhicules étaient porteurs de créances subprimes, et on s’est alors rendu compte qu’une grande partie du système financier était potentiellement exposé au risque subprimes. Pour donner une image : vous achetez une obligation, et cette obligation est émise par une institution qui va utiliser votre argent pour le prêter en subprime : si les prêts subprimes ne sont plus remboursés, cette institution ne pourra plus vous rémunérer correctement, et la valeur de votre obligation va donc en souffrir.
Depuis un an, progressivement, le système financier mondial implose. Cela se fait par une succession de convulsions, dont l’épicentre se trouve dans le secteur subprimes, mais les secousses secondaires sont ressenties pratiquement partout. Le 11 juillet 2008, tout récemment donc, la banque californienne Indymac, l’un des plus gros prêteurs hypothécaires américains, a été mise sous tutelle par les autorités fédérales. C’est la plus grosse faillite bancaire aux USA depuis 24 ans. Cette faillite est la conséquence directe du retrait en quelques jours de plus d’un milliard de dollars par des clients affolés, à la suite de rumeur sur la solvabilité du groupe. En langage clair : c’est la panique. En un an, l’action Indymac a perdu 99 % de sa valeur.
Or, et voilà le fait essentiel, nous n’en sommes qu’au tout début du processus.
Si la bulle des subprimes a constitué un cas d’école, elle n’est en réalité qu’un signe avant-coureur. Les subprimes représentaient, en tout, moins de 4 % de l’endettement des ménages américains. Cela veut dire que si le système saute dans sa globalité, on assistera à une crise vingt fois plus grosse que celle des subprimes.
Or, le bâteau USA tangue quand il encaisse une vague ordinaire d’un mètre de haut… mais quand il prendra par le travers une déferlante de vingt mètres, il chavirera.
Troisième temps : la contagion à l’économie réelle. Cette troisième phase du cycle de krach commence lorsque du fait de la baisse des actifs, certains acteurs économiques extérieurs au secteur bancaire se trouvent à leur tour en difficultés de trésorerie. C’est le cas par exemple quand vous, ami lecteur, espériez revendre vos actions Société Générale à un prix X pour financer la réfection de votre toiture, et découvrez soudain que vous ne vendrez ces actions qu’à un prix X/2, la SG ayant dû encaisser les pertes liées aux subprimes (entre autres choses) – d’où votre décision de ne rénover que la moitié de votre toiture…
Ce qui est vrai pour vous l’est aussi pour les PME, et même, avec quelques nuances, pour les grandes entreprises industrielles. La baisse des actifs engendre mécaniquement une contraction des disponibilités monétaires, et cette contraction est ressentie progressivement par l’économie réelle.
Le mécanisme est lent. Dans un premier temps, l’implosion des actifs boursiers a peu d’impact sur l’économie réelle, parce qu’en réalité, cette implosion ne détruit au départ que de la valeur fictive. Au fond, l’argent qui disparaît n’a jamais existé. Seulement, et c’est là que ça coince, dans un second temps, on s’aperçoit qu’une fois disparu l’argent imaginaire, le système est bloqué par la concentration des richesses.
En effet, la conséquence de l’implosion de la spirale haussière, c’est qu’il n’est plus possible de financer une croissance artificielle par un endettement sans caution. Qui va, aujourd’hui, placer des subprimes sur le marché américain ? Personne, évidemment. Résultat : le capitalisme est renvoyé à sa contradiction interne, les pauvres sont toujours aussi pauvres, et comme il n’y a plus personne pour leur prêter de l’argent, ils ne consomment plus. Résultat du résultat : crise de la demande.
C’est à ce moment-là, en général, qu’un gouvernement avisé prend des mesures drastiques pour empêcher la crise de gagner l’économie réelle. Ces mesures sont connues sous le terme générique de keynésianisme. En gros, il s’agit de faire tourner la planche à billets pour créer de la monnaie (ce qui impose de dévaluer), puis de distribuer cette monnaie aux consommateurs via des allocations ou, encore mieux, de lancer des grands chantiers publics ou parapublics, d’où activité, d’où salaires, d’où relance – et en plus, amélioration des infrastructures. Il en découle un effet de déconcentration de la richesse, donc une relance du système : à nouveau, les pauvres se sont un peu enrichis, donc ils peuvent consommer. Grâce à un New Deal (nouvelle distribution des cartes), les joueurs peuvent relancer la partie.
Il est très important pour la suite des évènements de noter que ce n’est pas là ce que la FED, et à un degré moindre la BCE, ont fait pendant l’année écoulée. La FED a certes baissé ses taux et « fabriqué » la bagatelle de 400 milliards de dollars pour éviter l’implosion complète du système financier américain, mais cette considérable manne monétaire n’a pas été injectée dans l’économie réelle, ce qu’il aurait fallu faire dans une optique keynésienne. Cet argent a été utilisé pour renflouer les institutions financières mises à mal par la crise des subprimes, ce qui revient à dire que pour masquer la disparition d’un argent imaginaire, on s’est contenté de fabriquer encore plus d’argent imaginaire.
En conséquence, non seulement la politique de la FED ne résout pas le problème, mais elle va au contraire l’aggraver. En offrant la manne monétaire à la sphère financière, la FED ne lutte pas contre la concentration morbide des richesses qui est la cause première de la crise, elle va au contraire renforcer cette concentration morbide. Ainsi, on risque de s’acheminer vers une phase de stagflation, c’est-à-dire un combiné entre inflation (du fait de l’émission monétaire incontrôlée destinée à couvrir les défaillances d’institutions financières) et la stagnation (du fait de l’absence de croissance, faute de relance possible par l’augmentation de la demande de biens et de produits).
Cet effet semble toléré par les autorités. Mieux : il semble qu’elles l’encouragent. Il n’est pas possible que la FED ne sache pas qu’elle offre aux spéculateurs les moyens de spéculer toujours davantage, et donc d’enclencher de nouvelles bulles spéculatives. Après l’immobilier, en phase d’implosion maintenant que la bulle des crédits immobiliers se dégonfle, c’est au tour des matières premières de subir l’afflux irrationnels de capitaux qui n’ont plus de contrepartie dans l’économie réelle. Il en découle une catastrophe latente dans les pays pauvres (émeutes de la faim) et une situation de grande tension pour les classes populaires des pays riches (évolution des modes de consommation des Français).
Force est de constater que lorsque la FED accorde 400 milliards de dollars en ligne de crédit aux grandes banques d’affaire pour écarter temporairement tout risque de cessation de paiement au niveau des grands acteurs de l’économie financiarisée, elle débloque des moyens qui, ne pouvant s’investir dans l’économie réelle, vont relancer la machine spéculative – et force est de constater que les autorités monétaires le savent très bien, et force est de constater en contre partie que lorsque le FMI ne débloque que 400 millions de dollars pour aider les pays pauvres à nourrir leur population, le message est : nous vous accordons mille fois moins d’importance qu’à notre économie de casino, nous vous foutons de votre gueule, vous pouvez crever.
Force est donc de constater que la crise est programmée, qu’elle est manifestement volontaire, ou en tout cas acceptée, et qu’elle correspond à une stratégie délibérée. Et force est donc de constater qu’il n’y a aucune raison pour que les évènements n’aillent pas jusqu’à leur terme, c’est-à-dire jusqu’au cinquième temps du cycle de krach.
Quatrième temps : la contagion à l’économie réelle produit une révision à la baisse de l’activité, donc des profits des sociétés. Il en résulte un effet d’emballement que certains observateurs superficiels croient irrationnels, mais qui est au contraire tout à fait rationnel. L’apparent mimétisme des boursiers traduit en période de hausse un comportement irrationnel dans l’absolu (calcul cynique de très court terme), mais en période de krach, il ne fait que rendre compte d’un calcul économiquement très sain : les actifs ne sont plus rentables, donc on les vend. Il en résulte un cercle vicieux : la baisse des actifs entraîne une chute de l’activité qui induit en retour une nouvelle baisse des actifs, et ainsi de suite.
Où en sommes-nous de ce mécanisme ?
Nous nous trouvons pour l’instant à la fin du troisième temps en ce qui concerne la vague annonciatrice de la crise, c’est-à-dire l’explosion de la bulle des subprimes. Nous sommes encore, en revanche, au début du deuxième temps en ce qui concerne la vague principale, c’est-à-dire l’explosion du système de crédit dans son ensemble.
Pour l’instant, la crise des subprimes a fini de diffuser dans l’économie réelle, et elle entraîne un ralentissement significatif de la croissance aux USA. Par contrecoup, elle a considérablement dégradé le ratio de solvabilité de certains établissements européens fortement engagés sur les marchés américains – UBS, la Société Générale et même, ô surprise, le très prudent Crédit Agricole (les caisses régionales sont au bord de la révolte, il n’est pas impossible qu’un phénomène intéressant se déroule de ce côté, qui annoncerait le soulèvement des acteurs de l’économie réelle). La crise des subprimes a aussi plombé significativement les capacités de consommation des Américains, et il est certain maintenant que la croissance américaine va souffrir d’un ralentissement durable.
Cependant, tout cela n’est encore que broutilles, par rapport à :
* ce qui risque fort d’arriver à brève échéance,
* et qui, si la politique actuelle est poursuivie indéfiniment, finira forcément par survenir…
à savoir la répétition de la crise des subprimes, mais cette fois à l’échelle de l’ensemble du système financier.
Un facteur exogène peut ici venir accélérer l’évolution du système d’ensemble : le prix du pétrole. Sous l’effet de la spéculation principalement, mais pas seulement, l’or noir ne cesse de grimper. Or, on sait qu’un pétrole à 200 $, c’est de la croissance en moins, et un pétrole à 500 $, c’est la récession assurée. Une brusque envolée du baril aurait pour conséquence de révéler brutalement la très grande fragilité de l’économie américaine, et à un degré moindre de certaines économies européennes :
Des « bulles » latentes, dans l’économie occidentale, il y en a tellement qu’on ne les compte plus. Une grande partie des crédits au particulier, aux USA, sont rattachés à des catégories à peine moins malsaines que les subprimes. En cas de ralentissement brutal de l’économie américaine, une bulle trois ou quatre fois plus grosse que celle des subprimes peut éclater sans crier gare. On citera aussi, à titre de figure emblématique, le problème des crédits par carte bancaire, véritable pousse à consommer destiné aux ménages modestes. C’est une frénésie de crédit qui a fait tourner la machine ces cinq dernières années, aux USA et, à un degré moindre, en Europe…
L’explosion du taux d’endettement, dans une période comme celle que nous vivons, ne concerne plus seulement les particuliers. Du fait de la masse incroyable de capitaux que la dérive inégalitaire du capitalisme a fait s’amasser sans contrepartie matérielle, l’économie spéculative a progressivement envahi l’économie réelle, surtout depuis la fin des années 90. Le véhicule le plus important de cet envahissement est le LBO, « Leveraged buyout », ou financement d’ acquisition par emprunt, technique qui entraîne, au fur et à mesure des fusions-acquisitions, une augmentation exponentielle du taux d’endettement des entreprises concernées (en gros : on rachète des entreprises en se finançant par de la dette à court terme, on dépèce et on se paye sur la bête pour rembourser la dette et faire un bénéfice, en négligeant l’entretien de l’outil industriel et les problématiques métier). Il y a là une sacrée bulle, qui risque en explosant de faire plus de bruit que les subprimes. Combien d’entreprises, si elles n’atteignent pas leurs objectifs de court terme du fait d’une récession, vont planter des créanciers qui espéraient un rendement rapide, à défaut d’être sain ?
La dette américaine extérieure avoisine 12.000 milliards de dollars. Une grande partie est détenue par la Chine, qui pour l’instant finance l’Amérique en lui réinjectant une grande partie des excédents commerciaux qu’elle accumule avec autant de frénésie que l’Amérique, de son côté, cumule les déficits. Cette situation délirante impliquera à terme une crise gravissime en Chine, ce pays présentant la particularité absurde d’avoir une énorme capacité industrielle et un marché intérieur encore très limité (les usines chinoises ne fonctionneraient d’ores et déjà qu’à 50 % de leur capacité).
Mais surtout, cette situation peut créer à terme une crise gravissime aux USA. Imaginons que demain les Chinois cessent de réinjecter leurs excédents commerciaux dans l’économie américaine, et qu’en rétorsion les Occidentaux retirent leurs investissements de Chine. Que répondre aux Chinois s’ils nous disent : « très bien, gardez les dollars, nous gardons les usines » ? – Cette boutade n’en est pas une : au-delà des jeux complexes de l’économie financiarisée, le phénomène de fond qui se déroule sous nos yeux est le basculement latent du centre de gravité de l’économie productive à l’échelle mondiale. Et la Chine des années 2000 n’est pas le Japon des années 90. En 1989, pour éviter de gros ennuis à une Amérique qui, rappelons-le, possède des bases militaires au Japon, le pays du soleil levant avait accepté une réévaluation de sa monnaie, et donc un réajustement progressif du déficit commercial américain et des créances japonaises sur les USA. Rien ne dit que la Chine sera aussi accommodante, vingt ans plus tard. Il n’y pas de bases américaines en Chine.
Cinquième temps : la Grande Dépression. La spirale baissière des actifs boursiers a donc contaminé l’économie réelle qui, en calant, a à son tour révélé la fragilité des entreprises surendettées. Ne dégageant plus assez de cash pour rembourser leurs créanciers eux-mêmes aux abois, les entreprises industrielles et commerciales font faillite.
Cette fois, ça y est : l’ensemble du système économique est par terre. Désormais, c’est l’économie matérielle qui est désorganisée. Des sous-traitants se retrouvent en chômage technique à cause de la faillite de leur client principal, des grandes entreprises sont désorganisées par les faillites en chaîne de leurs sous-traitants.
La baisse des actifs atteint un tel niveau que la capitalisation boursière (nombre d’actions émises par cours de l’action) de nombreuses entreprises pas encore en faillite devient inférieure à leur actif net comptable (biens inscrits à l’actif moins les dettes), et cela même en évaluant l’actif net dans une logique de liquidation. On arrive donc à une « sous-valeur » des entreprises, ce qui est absurde. Dès lors, la chute des cours ne peut plus se poursuivre, parce que de toute façon, la simple revente des actifs suffirait à dégager un profit, sans même faire fonctionner l’outil de production. A partir de ce moment-là, le krach boursier ne peut plus se poursuivre, parce qu’il a en quelque sorte ramené les valeurs boursières à un « plancher » infranchissable. Historiquement, au XX° siècle, un seul krach a atteint cette phase extrême : celui de 1929 – et encore : pas partout dans le monde, ni dans tous les secteurs.
Cependant, cette stabilisation des indices boursiers à un niveau très bas n’entraîne pas mécaniquement la relance de l’activité économique réelle. Certes, la « purge » a effacé une grande partie des dettes. Mais les pauvres restent toujours aussi pauvres, et la consommation ne repart pas vraiment. Historiquement, la sortie de crise fut obtenue, après la grande dépression des années 30, en partie par le New Deal (en partie seulement), et surtout… par la guerre.
La guerre résout le problème principal, celui qui est à la racine de la crise : la concentration des richesses. Par la guerre, il devient possible de faire fonctionner l’outil de production sans remettre en cause directement le caractère inégalitaire marqué dans la répartition des richesses. La guerre justifie que les fabricants d’armes encaissent de fabuleux bénéfices, et les usines tournent même s’il n’y a plus que des pauvres incapables d’acheter leur production : de toute façon, ce qu’on produit, ce sont des armes, des munitions, des objets détruits par la guerre, qui remplace la consommation comme appel à la production. Et puis, à la fin de la guerre, de deux choses l’une : ou l’on a perdu, et il ne reste plus qu’à servir le conquérant. Ou l’on a gagné, et alors il est possible de relancer la machine économique en finançant un nouveau boom de la consommation par le pillage des pays conquis – ou, variante, par la conquête de leur marché intérieur, offert à l’industrie du conquérant. L’impérialisme est le seul moyen pour le capitalisme de surmonter sa contradiction interne fondamentale, une fois la voie keynésienne écartée.
TOTALE IMPREVISIBILITE
Alors faisons le bilan.
Nous savons que fondamentalement, nous sommes à la veille d’une crise majeure, un nouveau 1929. Et nous savons que le seul moyen d’empêcher ce 1929, ce serait un néo-keynésianisme de grande ampleur, à l’échelle planétaire. Et nous constatons que pour ne pas remettre en cause le modèle de société inégalitaire qu’ils ont construit progressivement ces deux dernières décennies, les maîtres du monde refusent ce néo-keynésianisme. Nous en déduisons logiquement qu’ils acceptent donc le 1929 – c’est soit leur objectif, soit un à côté de leur politique qu’ils tolèrent.
Ce que nous ne savons pas, en revanche, c’est comment ils comptent organiser ce 1929. En gros et sous réserve des lapins blancs que ces messieurs ont peut-être caché dans leur chapeau, ils peuvent faire deux choses :
Hypothèse 1 : attaquer l’Iran, déclencher une guerre, et ainsi résoudre la contradiction interne du capitalisme,
Hypothèse 2 : ne pas attaquer l’Iran, donc gérer la faillite du système américain en continuant pendant un certain temps d’injecter des dollars à tout va.
Dans l’hypothèse 1, nous ne savons pas qui gagnera. Si les USA réussissent à mettre la main sur l’Iran et à mettre sous contrôle tout le Moyen Orient, il est possible qu’ils acquièrent un réel levier sur la Chine, l’obligeant à encaisser le poids de la crise qui vient, comme le Japon l’a fait dans les années 1990. S’ils perdent, ou s’ils se retrouvent avec un Iran qui bloque le détroit d’Ormuz, nous aurons un pétrole hors de prix, ce qui justifiera aux yeux des opinions le maintien d’un faible niveau de vie, et donc la structure inégalitaire de la société. Variante que nos amis les Grands de ce Monde soupèsent en ce moment avec prudence : la crise devient telle que la population disjoncte…
Dans l’hypothèse 2, nous ne savons pas au juste combien de temps les USA pourront continuer à fabriquer du dollar fictif avant que la super-bulle n’explose, sur le modèle d’une crise des subprimes à l’échelle de l’ensemble du système de crédit. Il faudrait disposer de modèles économétriques extraordinairement fins pour simuler l’évolution spontanée de l’économie financiarisée dans les 5 ans qui viennent.
Alors voilà, vous comprenez maintenant pourquoi :
On a la certitude que nous allons vers une crise majeure (sauf improbable miracle, à savoir la conversion soudaine des élites mondialistes à un néo-keynésianisme planétaire),
Et cependant, il est absolument exclu de se risquer à une prévision précise quant à la date et aux modalités de déclenchement exact de la crise à venir.
Situation intéressante, non ?
Michel Drac pour Scriptoblog et E&R
Source : http://www.scriptoblog.com