« On est en train, collectivement, de déléguer à des entreprises privées un pouvoir immense, immense, sur nos vies intimes » (Judith, devenue lucide)
Tinder lui a permis de discuter avec 664 hommes (presque 666, NDLR). Elle n’est pas très jolie (elle le dit elle-même en racontant ses râteaux passés dans le réel), pas très intelligente (elle s’exprime maladroitement avec des mots passe-partout, des jokers pour pauvres en vocabulaire), mais sur Tinder, elle était la reine. Enfin, elle se croyait la reine.
L’algorithme est malin : il surclasse les femmes qui ne se trouvent pas belles, ou qui se trouvent moches. Ensuite, ces dernières deviennent des appâts pour des mecs qui ont du mal à conclure dans la vie courante, dans le réel. Car Tinder est un univers virtuel.
Ainsi, deux frustrations se retrouvent connectées sur une plateforme qui utilise leurs désirs et leurs frustrations pour faire du flux, et de la data. Car derrière les histoires d’amour, ou de cul, il y a la data (Julie parle de date, de rencontre en langage Empire), ces 800 pages d’infos que notre cobaye a retrouvées sur elle.
Merde alors, je me suis fait baiser (au sens de avoir, NDLR) !
L’intelligence artificielle au secours d’une idiote naturelle
Le vice de l’algorithme, c’est de faire croire à ses clients qu’ils peuvent toujours trouver mieux, surtout aux femmes. Car les femmes rêvent toujours du prince charmant, surtout les idiotes et les moches. Les autres sont plus pragmatiques (mais pas toujours).
- Haley Joel Osment
- Judith
Elle a les yeux tristes du magistral jeune acteur du Sixième Sens, le film sur la mort et les fantômes avec Bruce Willis. « I see dead people »... Elle s’appelle Judith et a une vie de merde, ou approchant. Sa seule évasion, son seul kif, semble être de discuter (on dit tchater) avec des mecs à partir de son lit, à travers la plateforme Tinder, ce baisodrome virtuel.
Avec Judith, l’analyste en femmologie Stéphane Édouard devrait faire un carton. Nous n’analyserons donc pas en profondeur la relation entre Judith et la plateforme, entre Judith et les mecs, on pourrait en écrire 600 pages.
« Judith est très active le dimanche » (Une sociologue)
- Soudain, Julie se met à réfléchir (du coup elle se fait moins baiser)
Vers la 38e minute du documentaire, le cerveau de Judith se remet lentement en marche. Elle commence à devenir lucide, c’est-à-dire à se réveiller de son rêve :
« Y en a qu’ont bâti un empire, y en a qu’ont fait un business sur notre désarroi et notre solitude. Y a un mec qui est dans sa piscine parce que toi tu swippes pendant des heures et tu te sens seule, tu vois. Y a un mec qu’a construit sa piscine avec l’argent que d’autres ont dépensé pour êtres boostés par l’algorithme, quoi. Et ça moi ça m’rend ouf, on s’fait berner, quoi ! On s’fait berner de ouf. Si on croit qu’on va sur des applications pour rencontrer des gens, en fait tout est fait pour qu’on rencontre personne, enfin, pour qu’on reste dans une espèce de, mais comme des rats drogués dans une expérience, quoi. Pour qu’on reste sur une espèce d’addiction, d’expectative, de shoot d’ego qui fait que tu vas encore, tu vas encore, tu cherches mieux, tu cherches mieux, tu cherches mieux, mais au final à force de chercher mieux mais tu rencontres sonneper ! T’es tout seul. »
Message important à l’attention des consommateurs de sexe virtuel
Attention à ne pas confondre Tinder avec Kinder ou Pinder.
Kinder veut dire enfants en allemand, et accessoirement c’est une marque de petits chocolats fourrés.
Pinder est un cirque traditionnel avec des animaux, des trapézistes et des clowns.
Il suffit donc d’une simple lettre pour basculer du monde de la drague foireuse manipulée à un goûter pour enfants ou à un cirque de Gitans. Pour info, Tinder a longtemps été administré par Elie Seidman, puis Jim Lanzone a pris le relais.
Le petit malin qui a foutu le merdier dans Tinder (Source : Wikipédia)
Le 29 mars 2015, un hacker, ayant pour pseudo « Catfi.sh », a exploité une faille de l’application de rencontres Tinder pour que des hommes hétérosexuels se draguent entre eux. Le hackeur avait créé de faux profils de femmes, laissait les hommes s’y connecter et mettait ensuite deux hommes en relation, chacun pensant parler à une femme. Il n’est pas le premier à avoir exploité cette faille : sous le pseudonyme de Patrick, un autre hacker avait déjà réalisé la même opération, mais à moindre échelle, et dans le but plus militant de mettre les dragueurs face à ces « techniques d’approche » dont se plaignent souvent les femmes qu’ils rencontrent en ligne.
Mais le plus drôle, ce sont les accusations de harcèlement sexuel qui ont frappé la direction :
En 2014, la cofondatrice de Tinder, Whitney Wolfe Herd, accuse le cofondateur Justin Mateen de l’avoir harcelée. Elle quittera l’entreprise peu de temps après pour fonder Bumble, une application similaire à Tinder, mais conçue dès le départ pour empêcher toute forme de harcèlement.
En 2018, c’est au tour du PDG par intérim, Greg Blatt, d’être accusé de harcèlement sexuel à l’encontre de la directrice de la communication et du marketing, Rosette Pambakian.
Or, comment draguer sans harceler ? Qui juge du degré de harcèlement (« insistance ») acceptable ? Un beau gosse n’a pas à insister, un pas beau gosse n’ayant lui pas (trop) le choix, sauf s’il est friqué ou puissant, comme Harvey Weinstein. Mais harvey a quand même mal fini. L’interdiction du harcèlement, voire de l’insistance, crée de fait une discrimination entre les hommes.