Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe est devenue, pour les Etats-Unis, un rival et non plus un allié. La tension s’est accentuée après 2001.
Lors de mes discussions avec certains interlocuteurs, il est surprenant de constater qu’ils ne croient pas un instant à l’hypothèse d’une guerre économique américaine, grille de lecture pourtant essentielle pour décrypter le monde actuel. Pour ces observateurs, il n’y a ni guerre contre la Suisse ni contre l’Europe. Selon eux, la Suisse subit un sort similaire aux autres places financières, qui devront elles aussi renoncer à leur lucrative opacité. Quant à la relation entre les Etats-Unis et l’Europe, ces interlocuteurs n’y voient nulle hostilité, rappelant qu’Obama s’est prononcé, lors du dernier G8, contre une sortie de la Grèce de la zone euro (et oubliant qu’il y a les positions officielles, et les positions réelles). Ils citent enfin des documents dé-classifiés révélant que Washington préconisa même, dès les années 60, la création d’une monnaie européenne unique et que par conséquent le bloc européen ne se constitua pas par opposition au bloc étasunien.
2009, le dollar contre-attaque
Ces objections sont des plus pertinentes. Mais tout d’abord, concernant la Suisse, il est naïf de penser que de puissantes places financières comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne vont se plier aux mêmes contraintes que la Suisse. Et voici pourquoi : les pays dont les avoirs sont cachés dans ces puissants paradis fiscaux sont plus faibles que les pays qui contrôlent ces dites places. Et c’est là l’énorme différence avec la Suisse, qui, elle, était plus faible que les pays dont elle accueillait secrètement les avoirs. Si bien que, quand le Brésil ou le Mexique réclament le rapatriement, ou tout du moins la taxation à la source, des avoirs évadés en Floride de leurs contribuables, cela ne se passe pas du tout, mais du tout, comme quand les Etats-Unis et l’UE réclament leurs avoirs évadés à la Suisse. C’est bien simple : les demandes du Brésil et du Mexique sont ignorées par les Etats-Unis, ces pays n’ayant aucun levier pour contraindre Washington à échanger des informations.
Ensuite, parlons des relations entre les Etats-Unis et l’Europe. Peu de gens sont disposés à croire à une guerre économique entre deux blocs marqués par 60 ans d’amitié transatlantique et par le Plan Marshall. Pourtant, s’il est possible que l’Amérique ait encouragé initialement la création d’un bloc européen durant les années 60, il faut se souvenir qu’à l’époque, l’économie américaine était au faîte de sa puissance et que Washington considérait l’Europe comme sa première alliée face à un bloc soviétique menaçant, dans les bras duquel elle refusait de voir l’Europe tomber. Les choses ont changé dès la décennie suivante, avec la suspension de la convertibilité-or (Nixon), la guerre du Vietnam et l’endettement vertigineux qui s’ensuivit. La guerre économique contre l’Europe a réellement commencé après la fin de la guerre froide en 1991, sous l’administration Clinton.
Mais surtout, elle s’est accentuée suite au 11 septembre 2001 et aux guerres ruineuses d’Afghanistan et d’Irak, qui ont causé une dévaluation accélérée du dollar et poussé l’OPEP, la Chine, le Japon, la Russie et la France à se réunir secrètement en 2009, pour envisager l’impensable : le remplacement du dollar dans le commerce du pétrole par un panier de monnaies, comme l’a révélé une incroyable enquête de Robert Fisk (The demise of the dollar) parue en octobre 2009 dans The Independent, où il prédisait déjà que la réplique américaine serait proportionnelle à l’énormité de l’enjeu. Fin 2009 éclatait la crise de l’euro, enterrant ce projet.
Depuis, les Etats-Unis n’ont à nul moment offert d’aider l’Europe, leurs banques cessant de prêter des dollars à leurs homologues européennes. Seuls les Chinois sont venus au secours de l’euro. Ce contexte explique aussi le soutien récent et inattendu d’Angela Merkel à la position russe concernant le brûlant dossier syrien, et son non alignement sur les Etats-Unis. Face aux demandes de l’UE et des BRICS, la Maison-Blanche a refusé d’aborder la question de la réforme du système monétaire. Remettre en cause la place centrale du dollar a valeur de déclaration de guerre contre les Etats-Unis.
En Irak, Saddam Hussein avait libellé ses ventes de pétrole en euros, juste avant sa chute en 2003. L’Iran, dont le régime est menacé, a créé une bourse du pétrole hors dollar. Le Venezuela, dont le régime est menacé, vend du pétrole en euros. En Libye, le défunt Khadafi comptait vendre son pétrole en dinar-or et refuser le dollar.