Les machines seront un jour capables de remplacer les humains dans toutes les tâches, affirment les experts en intelligence artificielle… Voici six futurs possibles au XXIIe siècle selon l’économiste Gilles Saint-Paul.
Supposons que dans cent ou cent cinquante ans, le travail des humains devienne moins compétitif que celui des robots, peu chers, corvéables à merci et parfaitement acceptés par la population.
« Dans ce cas, il faut bien comprendre que l’on quitte le régime qui fonctionne depuis la révolution industrielle. Dans celui-ci, la machine-outil améliore la productivité de l’ouvrier sans le remplacer ; cette productivité accrue permet à l’entreprise d’embaucher et d’augmenter les salaires. Au final, elle profite à l’ouvrier et à la société en général », explique Gilles Saint-Paul, chercheur au sein de l’unité Paris-Jourdan Sciences Économiques.
Mais si la machine travaille seule, elle entre directement en concurrence avec le travailleur humain. On passe à un régime où le capital se substitue au travail : le salaire est fixé par la productivité des robots et leur coût de fabrication. « Imaginons en effet que vous empaquetez des colis et que vous en faites vingt par heure, illustre l’économiste. Si un robot qui coûte 10 euros de l’heure en fait le double, votre salaire horaire s’élève à 5 euros. » Misère.
Pire encore : « Si ce robot se perfectionne et passe à quatre-vingt colis de l’heure, votre salaire sera divisé par deux. » Les humains ne pourront alors plus vivre de leur travail. Et taxer les robots, déjà largement déployés dans tous les secteurs d’un pays, redevient une éventualité économiquement viable, voire nécessaire (NDLR : contrairement à ce que recommandent les économistes pour un avenir proche). Sous ces conditions, Gilles Saint-Paul a élaboré six scénarios pour le monde de demain. Toute ressemblance avec d’actuels cas de figure n’a rien de fortuit…
- Si les robots pouvaient à l’avenir travailler de manière quasi-autonome, comme ceux de la série télévisée « Real Humans » (ici en photo), ils entreraient alors directement en concurrence avec le travailleur humain...
1 – L’État-providence
Le fruit du travail des machines est redistribué à la population par l’État-providence. Celui-ci renfloue ses caisses en taxant les propriétaires de robots (autrement dit, les détenteurs du capital). Ce scénario social-démocrate pourrait tout à fait se mettre en place dans une société démocratique : si le salaire d’une majorité de citoyens tombe en dessous du niveau de subsistance, ceux-ci pourraient en effet voter massivement pour le taux d’imposition qui maximise les recettes publiques.
« Alors, les capitalistes, très peu nombreux, vivent du travail des machines et les autres vivent de transferts sociaux, résume Gilles Saint-Paul. Les Français ou les Grecs, qui épargnent peu comparativement aux Allemands et ont un État redistributif fort, pourraient évoluer vers ce type de scénario. Mais des usines sans main-d’œuvre humaine seraient très facilement délocalisables. »
Taxer les propriétaires de robots n’aurait alors rien d’une sinécure…
2 – La société des rentiers
Dans cette possible suite du scénario précédent, certains citoyens épargnent sur leurs revenus providentiels et lèguent à leurs enfants un patrimoine. De nouvelles dynasties de rentiers émergent. Plus leur nombre est élevé, plus la croissance est forte car le patrimoine hérité devient une nouvelle source d’épargne (celle-ci est en effet prêtée par les banques aux entreprises qui investissent dans les robots pour produire). Si une classe de rentiers, détenteurs de capital et opposés à la redistribution, atteint une masse critique, le système de l’État-providence disparaît peu à peu faute de soutien politique.
À terme, la société se divise en deux grandes castes : d’un côté les rentiers modérément aisés et de l’autre un sous-prolétariat voué à l’indigence qui, faute d’héritage et de revenus suffisants accordés par l’État, ne pourra plus faire en sorte que ses descendants deviennent un jour rentiers. « Les Allemands, qui épargnent beaucoup, pourraient évoluer vers ce type de scénario », commente Gilles Saint-Paul.
3 – Le fordisme nouvelle génération
- Image tirée du film « Les Temps modernes » (1936), emblématique de l’automatisation du travail à l’usine et des chaînes de production qui ont fait le succès de Henry Ford dans l’automobile.