Depuis jeudi dernier les médias occidentaux sont déchaînés. Ils sont lancés dans un de ces exercices de propagande que l’on apprend sans doute dans les écoles de journalisme. On crie à l’invasion de l’Ukraine par Poutine, à l’agression, à la guerre. On dit que Poutine déclenche la Troisième Guerre mondiale. Et sous un terrorisme intellectuel sans nuance tous les politiques sont sommés de suivre. Et ils suivent. Même les plus raisonnables sont contraints de dire a minima que oui, Poutine est l’agresseur. Bientôt nous aurons les minutes de silence. Déjà ont lieu des rassemblements. Les syndicats, les ordres professionnels, bref, toute la société civile est mobilisée comme un seul homme contre la Russie de Poutine. On sent poindre avec des larmes l’accusation de crime contre l’humanité.
Devant cette crise d’hystérie collective je crois qu’il faut appeler au calme. Et, comme l’on dit, savoir raison garder. Si l’on analyse froidement la situation on verra qu’il n’y a aucune raison de dramatiser. Poutine a simplement déclenché en Ukraine une opération de police régionale. Il fait preuve, d’ailleurs, du plus grand calme. Cela ne devrait même pas regarder les Occidentaux. Et du point de vue du droit, objectivement, le cadre de l’intervention russe est imparable. C’est ce que je voudrais montrer.
L’acte de reconnaissance
Les républiques populaires du Donbass existent dans les faits depuis 2014. Elles font depuis lors l’objet d’actes d’agression qui touchent directement leurs populations civiles. Le 21 février 2022, lundi dernier, la Russie reconnait ces États. La reconnaissance est l’acte fondamental du droit international classique. En situation de crise cela permet de légitimer l’emploi de la force par les nouveaux États. Ce qui les oblige, réciproquement, dans l’usage de cette force, au respect du droit de la guerre. De même pour leurs ennemis.
Il peut y avoir abus de l’acte de reconnaissance lorsque cela cache une ingérence injuste dans les affaires intérieures d’un État. Par exemple, en Syrie, les Occidentaux reconnaissaient « les rebelles » qu’ils armaient et commandaient en sous-main, dans le but de renverser l’État syrien. C’est abusif lorsque cela tourne au détriment des populations civiles et que cela propage le chaos. Ainsi en février 2014 les USA ont reconnu les nouvelles autorités ukrainiennes qu’ils avaient installées par un coup de force. Abus manifeste.
En l’occurrence du Donbass nous avons un peuple qui peut faire valoir son droit à disposer de lui-même. C’est un droit reconnu par la Charte des Nations unies. Ce peuple n’entre pas en guerre contre l’Ukraine conquise par les USA, il fait sécession et se proclame indépendant. Il est traité de terroriste par le régime de Kiev, mais il parvient à établir une ligne de front. Et surtout, c’est un point crucial, il instaure un ordre concret au Donbass, avec des administrations qui fonctionnent, une vie qui reprend, etc. Néanmoins, ses territoires sont, huit ans durant, bombardés par les forces du régime de Kiev.
Il ne semble pas que la Russie ait souhaité contester le coup d’État de Kiev en 2014. Elle pouvait le faire. Je rappelle qu’il s’agit d’une vulgaire opération qui commence le 21 novembre 2013, le jour-même où le gouvernement ukrainien renonce à son association avec l’Union européenne. Cela commence comme un carnaval avec nourriture, boisson et sexe à volonté. Le sénateur McCain y tient le 15 décembre des discours enflammés. On tire parti des Jeux d’hiver qui se déroulent cette année-là en Russie, à Sotchi. Le 19 février, ainsi, des snipers font vingt-cinq morts en tirant à la fois sur les forces de l’ordre et sur les manifestants. Le soir-même et le lendemain, les administrations de Lvov et d’autres villes sont assaillies, détruites et pillées de leurs armes.
Le 21 février le président Ianoukovitch croit conclure, sous la pression occidentale, un accord avec l’opposition. Il fait des concessions. Le lendemain on tente de l’assassiner et il devra s’enfuir. Le lendemain de la clôture des Jeux, les USA ont terminé leur coup. Leur ambassadeur ose encore proclamer ceci : « nous rejetons toute allusion au fait que se produit ici un coup d’État et que la légitimité de ce qui se passe se trouve soi-disant mise en question à cause d’un soutien étranger ».
La légitime défense
La seconde opération juridique date de mardi dernier, 22 février 2022. Elle aussi se situe dans la plus pure tradition du droit international classique. Elle consiste pour la Russie et les républiques du Donbass à conclure des traités, et dans un cadre diplomatique à convenir que la Russie interviendra en cas d’agression extérieure. Ce qui a lieu de manière intensive contre les civils le jour même et le lendemain. Par conséquent mercredi matin la Russie met en œuvre une « opération militaire spéciale ». Le président Poutine invoque la légitime défense en citant l’article 51 de la Charte des Nations unies (1945).
Les Russes pourraient aussi bien parler d’une simple opération de police. De leur point de vue il ne s’agit pas d’autre chose. Seuls les Occidentaux crient à la guerre mondiale et à l’agression. Mais en réalité ce sont ces Occidentaux, et non les Russes, qui semblent déterminés à provoquer une guerre mondiale.
Poutine a la légitimité pour faire la police en Ukraine, pour y mener, si l’on veut, une simple opération de gendarmerie. Cela n’aurait rien de commun avec l’ambition des USA née après 1989 d’être le gendarme du monde. Ce serait très différent à deux points de vue.
D’abord, la Russie intervient sur une zone du globe qui jouxte ses propres frontières. Le grand espace de la fédération de Russie et de ses pays alliés ne s’étend pas sur toute la surface du globe, il n’est pas non plus réparti par morceaux un peu partout. La sphère d’intervention russe est un sol d’un seul tenant. On pourrait en dire autant de la position de la Chine en Asie.
En face, au contraire, avec les USA, la Grande-Bretagne et leurs alliés, nous avons une grande puissance à demi-occulte dont la vaste mer était jadis le domaine. Quand les USA se proclament le gendarme du monde, cela signifie qu’ils veulent intervenir partout sur le globe. Je pense que cette prétention à l’hégémonie est une utopie meurtrière.
Ensuite, lorsque les USA, la Grande-Bretagne et leurs alliés interviennent dans un pays, ce n’est jamais pour y maintenir ou y rétablir l’ordre. C’est toujours, au contraire, pour semer le chaos. Cela va avec leur perspective maritime globaliste. Ces gens sont des pirates, qui n’aiment pas l’ordre. En revanche ils sont pervers et aiment invoquer haut et fort leur bon droit.
En droit international, en réalité, il n’y a pas, comme en droit interne, de juge au-dessus des nations. La force règle les différends. Lorsqu’une puissance quelconque ose se proclamer juge au-dessus des nations l’on peut être certain que c’est elle qui commettra objectivement les pires crimes contre l’humanité. Parce qu’une guerre menée au nom du droit, comme au nom de Dieu ou du Bien, ne peut pas connaître de limite.
Et l’on voit bien ainsi comment les forces du chaos encerclent par les mers les deux grands blocs qui résistent à la dissolution : la Russie et la Chine. Dans cette perspective le conflit en Ukraine, comme celui en Syrie, est un acte dirigé contre la Russie, tout comme au Xinjiang, au Tibet ou avec Taïwan les agressions sont dirigées directement contre la Chine.
Peut-être ne nous débarrasserons-nous jamais des prédateurs internationaux, de ces pirates et de ces gangsters qui saignent les peuples. Mais au moins, en tant que défenseurs de l’ordre et du droit, pouvons-nous, si ce n’est contribuer à cet ordre international des grands espaces dont rêvait Carl Schmitt, au moins ne pas céder à l’hystérie assassine qui saisit aujourd’hui nos contemporains écervelés.
Que ne puis-je, adossé au Ciel, tirer mon épée
Pour te couper en trois tronçons,
J’en donnerais un à l’Europe,
Un à l’Amérique,
Et j’en garderai un pour la Chine.
Monde en paix.Mao Tsé-toung