L’essayiste belge Jean Bricmont analyse la campagne électorale du candidat à la présidentielle américaine Donald Trump.
Un nouveau spectre hante les élites américaines : la candidature de Donald Trump à l’élection présidentielle et son succès dans la course à l’investiture du côté républicain. Même l’establishment républicain souhaite bloquer son ascension, bien qu’il attire des foules considérables vers son parti. Du côté démocrate, on espère que son aspect répulsif permettra de faire élire Hillary Clinton.
« Trump est grossier, insultant, démagogue, dit une chose et son contraire et est un peu mégalomaniaque »
Commençons par admettre ce qui paraît évident : Trump est grossier, insultant, démagogue, dit une chose et son contraire et est un peu mégalomaniaque.
Mais au-delà de cela, il y a dans la rhétorique anti-Trump pas mal d’aspects révélateurs de la mentalité des élites.
D’abord, on y trouve un de leurs arc-réflexes favoris : les accusations de « fascisme » et d’être un « nouvel Hitler ». Depuis que Nasser fut le « Hitler sur le Nil » lors de la nationalisation du canal de Suez, les « nouveaux Hitler » poussent dans l’imaginaire occidental comme les champignons dans les bois en automne : Milosevic, Le Pen, Poutine, Khadhafi, Saddam Hussein, Assad ont tous eu droit à ce genre de comparaisons.
Mais un président des États-Unis n’est pas un dictateur et il n’y a aucun mouvement insurrectionnel derrière Trump. Si Trump s’attaquait sérieusement aux droits ou aux privilèges des élites, il serait rapidement remis à sa place. Après tout, Nixon a remporté une victoire électorale éclatante en 1972 et a dû démissionner peu après parce que, au lieu de s’attaquer brutalement aux marginaux, aux révolutionnaires ou aux peuples d’Indochine, comme il avait l’habitude de le faire, il était impliqué dans une tentative d’espionnage du parti démocrate – le Watergate.
En fait, si Trump tentait d’appliquer les aspects protectionnistes de son programme ou ceux contre l’immigration illégale, il aurait face à lui toute la force du patronat transnational, et le plus gros de la presse et du Congrès. S’il tentait d’être réellement neutre dans le conflit israélo-palestinien, comme il prétend vouloir l’être, le lobby pro-israélien lui ferait vite comprendre que ce ne sont pas des choses qui se font aux États-Unis.
« Loin d’être une “menace fasciste”, le danger de Trump président serait qu’il ne fasse rien de ce qu’il promet à ses électeurs »
Au moins, le candidat démocrate Sanders, qui est aussi un peu « hors norme », a averti ses électeurs qu’il ne pourrait rien faire, comme président, sans un mouvement populaire derrière lui (ce qui est exact). Mais la même chose est vraie pour Trump, sauf que Trump pense incarner l’homme providentiel qui va tout régler lui-même. Loin d’être une « menace fasciste », le danger de Trump président serait qu’il ne fasse rien de ce qu’il promet à ses électeurs et qu’il poursuive les politiques traditionnelles avec plus de vigueur.
Un autre aspect amusant des campagnes anti-Trump dans la bien-pensance de gauche, c’est qu’on le présente comme totalement hors-norme, inacceptable, à cause de son « racisme ». Tout d’abord, comparé à quoi une présidence Trump serait-elle pire ? À la guerre du Vietnam, au bombardement du Cambodge et du Laos, à toutes les guerres au Moyen-Orient, au soutien à l’apartheid en Afrique du Sud à l’Indonésie de Suharto et à Israël lors de chacune de ses guerres, aux massacres de masse en Amérique centrale, aux coups d’État en Amérique Latine ou en Iran, aux multiples embargos contre Cuba, l’Iran, l’Irak, à la politique des sanctions, à la course aux armements infligée aux pays qui déplaisent aux États-Unis et qui doivent se défendre ?
« Comme nous vivons dans une culture où les paroles sont plus importantes que les actes, et que Clinton est parfaitement politiquement correcte dans sa façon de s’exprimer, son racisme est invisible »