Les militaires américains et jordaniens ont renforcé un programme d’entraînement de milliers de combattants armés destinés à être envoyés en Syrie dans le but d’assurer une zone tampon dans le sud du pays.
Citant des responsables américains et jordaniens sous couvert de l’anonymat, le Washington Post a rapporté mercredi que Washington a ordonné que la formation de quelque 3 000 officiers pour les soi-disant rebelles s’achève plus tôt qu’initialement prévu. L’objectif est de terminer le programme d’entraînement d’ici la fin du mois afin de profiter des avancées faites par les milices antigouvernementales le long de la frontière jordano-syrienne, longue de 375 km.
En octobre dernier, il avait été révélé que le Pentagone avait envoyé une force spéciale de 150 hommes en Jordanie. À l’époque le New York Times avait rapporté que « l’idée d’établir une zone tampon entre la Syrie et la Jordanie – qui serait appliquée par des forces jordaniennes du côté de la frontière syrienne – avait été discutée dans le contexte de la mise en place d’un avant-poste de l’armée américaine situé près de la frontière syrienne ».
Mercredi, les forces antirégime auraient capturé une base aérienne dans les environs de Daraa, ville du sud-ouest de la Syrie, située à à peine quelques kilomètres de la frontière jordanienne. Plus tôt, ces forces s’étaient emparées du principal passage frontalier entre les deux pays ainsi que de deux avant-postes militaires et d’un tronçon de route conduisant à Damas.
La monarchie jordanienne soutient une zone tampon principalement par instinct de conservation. Elle craint qu’une guerre civile syrienne ne se propage au-delà de la frontière, menaçant son propre régime. Il existe déjà quelque 470 000 réfugiés syriens dans le pays et l’inquiétude grandit au sein du régime jordanien que des éléments islamistes déchaînés contre le gouvernement de Bachar al-Assad cherchent aussi à obtenir un changement de régime en Jordanie.
Ceci fait partie d’un phénomène plus vaste où la guerre civile sectaire soutenue par l’Occident en Syrie est en train de franchir diverses frontières. Mercredi, des articles émanant du Liban ont signalé qu’un hélicoptère de combat syrien avait tiré un missile sur une région servant de base pour l’envoi, au-delà de la frontière, de combattants et d’armement destinés à la guerre civile. Des combats sectaires entre des factions sunnites et chiites ont également éclaté à Tripoli, deuxième ville du Liban.
En Irak, un porte-parole du gouvernement a rapporté que le conflit syrien avait transformé la frontière en un « nid de cellules terroristes ». L’intensification des combats par des éléments associés à al Qaïda en Syrie s’est accompagnée d’une vague de bombardements terroristes à Bagdad et dans d’autres villes irakiennes.
« La création d’une zone tampon viserait à convertir des zones actuellement entre les mains des rebelles, en abris sûrs permanents pour les milliers de déserteurs de l’armée et les personnes déplacées dans cette région », a rapporté le Post. En d’autres termes, le régime jordanien chercherait à repousser les réfugiés au-delà de la frontière dans ces « abris sûrs ».
Selon le Post, des députés jordaniens ont exigé de verrouiller la frontière du pays avec la Syrie et de créer des zones tampon. « Ce n’est pas l’une des éventuelles solutions disponibles – c’est devenu l’unique solution réaliste pour éviter une crise plus grave en Jordanie », a confié au journal un député.
À cet effet, le Post cite des responsables américains et jordaniens disant que le principal « obstacle » à l’établissement des zones tampon a été le refus de Washington de fournir une « couverture aérienne ». Une telle action nécessiterait une intervention américaine massive, dont le bombardement des défenses aériennes, des installations de communications et d’autres sites en Syrie.
Il y a des demandes croissantes au sein des cercles dirigeants américains pour que le gouvernement initie de telles attaques. C’était le sujet d’un article d’opinion publié mercredi dans le Wall Street Journal et rédigé par l’ancien sénateur américain du Connecticut et candidat du Parti démocrate pour la vice-présidence, Joseph Liebermann. Liebermann exigeait une « campagne de frappes aériennes » menées par les États-Unis pour neutraliser les avions, les hélicoptères et les missiles balistiques d’Assad.
Liebermann affirmait que « des intérêts nationaux vitaux sont en jeu en Syrie » et que l’intervention était nécessaire pour contrer l’influence grandissante d’al Qaïda, qu’il attribue à la colère de la Syrie à l’égard de la négligence de Washington d’entreprendre directement une action militaire pour renverser le régime d’Assad.
La réalité, justifiée par de multiples comptes rendus venant de la Syrie, est que les soi-disant rebelles sont dominés par des islamistes sunnites, y compris le groupe Jabhat al-Nusra lié à al Qaïda et qui est crédité du plus grand nombre de victoires sur les forces gouvernementales.
Ces forces auraient reçu la part du lion des armes et de l’aide en provenance des monarchies sunnites du Golfe persique, coordonnée par la CIA qui a mis en place à cet effet une base secrète en Turquie.
Alors que le gouvernement Obama a officiellement désigné le front Nusra comme une organisation terroriste étrangère, sa véritable attitude est celle d’un soutien tacite aux actions du groupe islamiste, dont des attentats terroristes à la voiture piégée et d’autres attaques perpétrées contre des civils.
Et, alors que les responsables américains ont exprimé leur préoccupation face à l’implantation de forces liées à d’al Qaïda près de la frontière entre la Syrie et Israël, Tel Aviv même semble accorder un soutien tacite à ces éléments. C’est ce qui a clairement été montré par le chef du bureau de la sécurité diplomatique du ministère israélien de la Défense, Amos Gilad, qui a minimisé, dans une interview donnée aux médias israéliens, les dangers émanant d’al Qaïda. « Il ne s’agit pas du même danger que celui posé par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah », a-t-il déclaré. Les avancées réalisées par les forces liées à al Qaïda en Syrie, a-t-il ajouté, « sont un coup porté à la fois à l’Iran et au Hezbollah ».
L’éditorialiste du Washington Post, David Ignatius, qui entretient des liens étroits avec les services de renseignement américains, cite un « ordre de bataille » préparé par l’Armée syrienne libre à l’adresse du département d’État américain. Celui-ci fait ressortir, dit-il, que « la plupart des groupes rebelles ont de solides racines islamiques ».
En conséquence, il avertit que « la situation post-Assad pourrait être tout aussi chaotique et dangereuse que la guerre civile elle-même. Les groupes rebelles musulmans tenteront de réclamer le contrôle du puissant arsenal d’Assad, dont les armes chimiques, posant de ce fait de nouveaux dangers. »
Il rapporte que le document reçu par le département d’État décrit deux fronts qualifiés tous deux d’islamistes, l’un appuyé par l’Arabie Saoudite et l’autre par de « riches individus saoudiens, koweïtiens et d’autres Arabes originaires du Golfe », ainsi qu’un troisième « groupe rebelle » financé par le régime monarchique du Qatar.
Le front Nusra qui est lié à al Qaïda compterait quelque 6 000 combattants.
Selon Ignatius, la stratégie américaine consiste à faire pression sur le régime saoudien pour que celui-ci pousse le front islamiste qu’il soutient à faire alliance avec l’Armée syrienne libre basée en Turquie et son commandant soutenu par les États-Unis, le général Salim Idriss.
« Ceci procurerait une certaine dose d’ordre et ouvrirait la voie pour qu’Idriss négocie un gouvernement militaire de transition qui inclurait des éléments conciliables de l’armée d’Assad », écrit Ignatius.
Ce scénario fournit un aperçu révélateur de la stratégie de Washington pour la « révolution » syrienne. Après avoir utilisé al Qaïda et des forces similaires comme troupes de choc dans une guerre pour un changement de régime, Washington a l’intention de modeler un nouveau régime dictatorial fondé sur les restes des forces de sécurité d’Assad en le subordonnant totalement aux objectifs prédateurs de l’impérialisme américain dans la région.
Bill Van Auken