Singulier coup d’État que celui qui vient de se produire au Gabon où le cœur du système vient d’écarter sans violence, en douceur, son chef de file, marionnette devenue gênante pour sa propre survie… Rien de commun avec ce qui s’est produit au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger. Ici, pas de jihadisme, pas de « main cachée » de la Russie, pas de rejet de la France, mais tout simplement une classique révolution de palais.
Au Niger la junte est financièrement acculée car elle n’est pas en mesure de payer les salaires. Pour la sauver, l’ancien président Issoufou (inspirateur du coup de force ?), joue de toutes ses relations afin de lui trouver des liquidités. Une forte délégation comprenant son propre fils s’est ainsi envolée pour la Guinée Equatoriale afin d’y demander une aide afin d’assurer soldes et salaires du mois d’août contre l’octroi de permis d’exploitation des ressources naturelles du Niger.
La situation sécuritaire du Niger est également catastrophique. S’étant privées du soutien aérien, logistique et blindé français, les FAN (Forces armées nigériennes), abandonnent peu-à-peu le terrain aux terroristes qui leur infligent de lourdes pertes (17 morts le 15 août et 20 quelques jours plus tard).
Craignant la contagion, le Nigeria, le Bénin et la Côte d’Ivoire ont adopté une position anti-junte. Le Nigeria a ainsi coupé l’alimentation électrique du Niger. Quant à l’Algérie, inquiète, elle a un œil sur les mouvements touareg qui pourraient lui permettre d’établir un tampon avec l’État islamique.
Des dissensions sont apparues au sein de la junte entre le général Salifou Modi qui serait pro-russe, le général Barmou qui est l’homme des Américains – lesquels veulent absolument conserver leur base d’Agadès –, et le général Tchiani qui est « proche » de l’ancien président Issoufou dont le rôle dans le coup d’État est de plus en plus limpide. En plus de cela, le chef Touareg Kel Aïr, Ghissa Ag Boula, dirigeant historique des précédentes guerres touareg a appelé au soulèvement contre la junte.
Quatre scénarii pouvant se recouper sont désormais possibles :
1) Le mouvement s’essouffle et pourrit. Un règlement bancal est alors bricolé afin que personne ne perde la face
2) L’attaque de l’ambassade ou le déferlement d’une foule incontrôlée sur la BAP (base aérienne projetée) française serait un scénario du type de celui d’Abidjan en 2005 obligeant les forces françaises à intervenir
3) Un coup d’État dans le coup d’État
4) Une intervention militaire de la Cedeao
Les guerres du Niger
La plaque tournante de tous les trafics transafricains en direction de l’Europe, en lien direct avec les cartels sud-américains, se situait sur la zone des frontières entre l’Algérie, la Libye et le Niger. Sur cet axe, le trafic d’armes, d’hommes et de drogue atteint 3,8 milliards de dollars par an.
Les guerres touareg terminées en 2009, plusieurs fronts s’ouvrirent ensuite, durant la décennie 2010, au Niger, pays situé au carrefour des trafics entre l’Afrique sud-saharienne et l’Europe, au point de jonction du foyer de déstabilisation de Libye.
La région de Tillabéri et des trois frontières
Tout se greffe ici sur l’opposition entre Peul, Touareg, Imghad et autres groupes traditionnellement engagés dans une féroce compétition, hier pour le contrôle des points d’eau et des pâturages, aujourd’hui pour la maîtrise des routes du trafic. Dans ce contexte, certains Peul se sont jihadisés, afin de pouvoir lutter contre leurs concurrents, notamment les Imghad.
Dans la région des trois frontières (Mali-Niger-Burkina Faso), le jihadisme a réveillé les conflits d’hier, car ici encore, nous sommes d’abord en présence d’évènements résurgents.
Avant la colonisation, les populations sédentaires vivant le long du fleuve Niger et dans ses plaines alluviales, qu’il s’agisse des Songhay, des Djerma ou des Gourmantche, étaient prises en étau entre deux poussées prédatrices, celle des Touareg au nord et celle des Peuls au sud. Trop faibles pour résister, les sédentaires devinrent tributaires de ces ethnies nomades afin d’être épargnés par leurs razzias. Se constituèrent alors des systèmes d’alliance-dépendance qui se retrouvent aujourd’hui avec ceux qui soutiennent les groupes armés, à savoir l’EIGS ( branche locale de l’État islamique), ainsi que les mouvements Mourabityoun et Jamaat Nosrat al Islam wal Muslimin qui recrute essentiellement parmi les Peul et chez certains Djerma. Face à eux se trouve le Gatia représentant les Imghad et le MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad), émanation des Daoussak.
Ici, le départ des forces françaises de Barkhane a ouvert de grandes opportunités aux groupes armés terroristes et aux trafiquants de diverses obédiences.
La région du nord-est
La partie nord-est du Niger est le prolongement territorial des trois populations qui s’affrontent dans le sud libyen, à savoir les Arabes, les Touareg et les Toubou.
Les Toubou qui représentent 0,5 % de la population du Niger sont divisés en deux groupes. Les Kecherda ont conservé des pratiques de nomadisation ou de semi-nomadisation, alors que les Wandalla sont aujourd’hui majoritairement sédentarisés.
Leur petit nombre ne les a pas empêchés de se soulever et cela, à plusieurs reprises. Notamment dans les années 1990, quand ils furent représentés par deux mouvements militaires, le FDR (Front démocratique pour le renouveau) de Issa Lamine et les FARS (Forces armées révolutionnaires du Sahara) de Barka Wardougou.
Mort en 2016, Barka Wardougou contrôlait la frontière entre la Libye et le Niger. Homme clé du trafic ayant pour cœur la zone des frontières entre l’Algérie, la Libye et le Niger, plaque tournante de tous les trafics transafricains en direction de l’Europe, il était en lien direct avec les cartels sud-américains. Sur cet axe, le trafic d’armes, d’hommes et de drogue atteint 3,8 milliards de dollars par an. Son correspondant à Agadès était l’Arabe Chérif Ould Abidine (dit Shérif Cocaïne), également mort en 2016, et qui faisait la jonction entre les deux réseaux.
Après la mort de Barka Wardougou, fut fondé le MJRN (Mouvement pour la justice et la réhabilitation du Niger) par Adam Tcheke Koudigan.
Un quatrième front est ouvert au Niger et c’est celui du Sud, dans la région de Diffa où, au contact du Nigeria et de la région péri-tchadique, opèrent les jihadistes de Boko Haram et de ses dissidences.