Plus la Cédéao menace les nouveaux dirigeants nigériens, plus elle recule. Pour combien de temps ?
Du côté de la France, on n’ose y aller tout seul, il faut un accord interafricain, et il ne semble pas encore atteint, même si le Nigeria voisin et ses 50 000 militaires prévus pour l’opération trépignent à l’idée de manger un bout du Niger. Le pouvoir macronien est coincé : il a fondé son discours africain sur la fin du néocolonialisme, il s’est piégé tout seul sur une intervention militaire à l’ancienne. Mais on imagine bien qu’il pousse la Cédéao à agir...
Les menaces du ministre Colonna montrent l’étroite marge de manœuvre de notre diplomatie. Le ministre européiste Colonna, aligné sur les Américains, menace Niamey, sans se rendre compte qu’il outrepasse les lois internationales avec son ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays.
Sa phrase sur les coups d’État vaut le détour ; elle a été prononcée dans un entretien avec RFI le 5 août 2023. En passant, nous avons relevé ce qui relève du néocolonialisme ou de la désinformation.
« C’est le gouvernement légitime du Niger qui est notre interlocuteur. »
Faux, le pouvoir prétendument légitime a été déposé. Objectivement, il ne l’est plus.
« La communauté internationale est unanime à condamner cette tentative. »
Non, tous les pays, derrière les condamnations de principe, ne sont pas contre la nationalisation du pouvoir par les Nigériens eux-mêmes.
« Les chefs d’état-major des pays de la région se sont réunis, ont fait des préparatifs. Donc maintenant, il est temps pour les putschistes de renoncer à leur aventure. »
Le délai de l’ultimatum a été dépassé, il était fixé au dimanche 6 août 2023. Nous sommes le dimanche 13 août.
« Les coups d’État n’ont pas lieu d’être, ils sont inacceptables, ils font un tort considérable aux pays qui les pratiquent, et il est donc inacceptable, du point de vue de la communauté internationale, du point de vue des pays de la région, et illégitime évidemment, de se lancer dans de telles tentatives. »
Chez nous, les coups d’État se font sur le mix médias-Intérieur, les médias mainstream qui choisissent leur candidat, dicté par l’oligarchie, bien évidemment, et les stats des votes qui sont « rectifiées » ensuite en haut lieu. Les coups d’État se font sans intervention militaire, juste par cette mécanique civile. Et ça fonctionne très bien, le peuple n’y voit généralement que du feu.
On en arrive à la phrase qui nous a fait penser à la fin de l’histoire de Fukuyama :
« Les coups d’État n’ont plus lieu d’être et ne sont plus de mise, c’est le coup d’État de trop, c’est inacceptable. »
Face à cette indignation stérile, côté russe, on cultive l’ironie, sous la forme d’un communiqué du ministère des Affaires étrangères :
« Nous pensons qu’une voie militaire de résolution de la crise au Niger pourrait conduire à une confrontation prolongée dans ce pays africain ainsi qu’à une forte déstabilisation de la situation dans l’ensemble de la région du Sahara et du Sahel. »
La menace à peine voilée de mégadéstabilisation régionale ! Le message a dû passer car le sommet de la Cédéao prévu samedi 12 août a été reporté, soi-disant pour des raisons « techniques ». Ceci étant dit, sans parler d’engagement militaire franco-américano-russe au Sahel, un conflit aurait des conséquences très lourdes pour les Européens, décidément les dindons de toutes les farces, en termes de poussée migratoire.
C’est ce que Patrick Stefanini (secrétaire d’État à l’immigration sous Sarkozy) a déclaré au Figaro :
Qu’on le veuille ou non, l’armée française avec l’opération Barkhane participait puissamment à la stabilisation sécuritaire du pays et du Sahel. La fin de l’opération Barkhane et les coups d’États militaires au Mali, au Burkina Faso et maintenant au Niger pourraient alimenter une immigration plus importante. Ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant car nous avons affaire à des populations très pauvres. Or pour migrer, il faut avoir un minimum de ressources pour payer les transports et les passeurs. Actuellement le risque migratoire en provenance de ces pays est très faible, mais cette situation pourrait évoluer. Le comportement prédateur de la milice Wagner, qui a fait irruption au Sahel, présente un nouveau risque car la Russie cherche à exploiter les ressources naturelles de la région.
Les Européens ont vu ce que la destruction de la Libye en 2011 a provoqué. Les dégâts sont incommensurables et les pays du Maghreb en paix relative (Algérie, Tunisie, Maroc) n’ont pas envie que le scénario se reproduise. C’est ce que rappelle Stefanini :
Il règne en Libye une grande forme d’anarchie, c’est la raison pour laquelle d’importants flux migratoires se sont développés depuis la chute de Kadhafi. Tant qu’il n’y aura pas de pouvoir fort et que ce pays sera en proie à la lutte entre les factions, il restera un véritable danger sur le plan migratoire. Les Algériens, quant à eux, semblent contrôler davantage leur frontière. L’Algérie fera sans doute preuve d’une vigilance absolue dans la gestion des flux qui pourraient survenir au sud de son territoire. Autrefois une voie de passage, la Tunisie depuis un an est engagée dans une répression extrêmement sévère des flux migratoires en provenance d’Afrique subsaharienne avec des drames humains dans le désert libyen.
Traduction : si le Sahel explose, le mur migratoire algéro-tunisien peut craquer !
Dernière chose, on l’a déjà écrit ici, mais l’affaiblissement extérieur des pouvoirs malien, nigérien et burkinabé peut réactiver la menace djihadiste ou terroriste. Les pays intervenant dans les affaires intérieures nigériennes se verraient obligés de gérer, en plus de leurs délicates affaires intérieures (par exemple le Nigeria), cette problématique, quasiment insoluble.
Selon l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan, interrogé par Marianne, « les armées nationales sont incapables de gagner une guerre asymétrique contre les djihadistes ».
Conclusion : tout le monde est coincé, et personne n’a envie de donner un coup de pied dans la fourmilière sahélienne. Mieux vaut une mauvaise paix qu’une très mauvaise guerre.