Le Dôme du Rocher est splendide. Peu importe l’emplacement du photographe. Ça n’existe pas un mauvais cliché du Dôme du Rocher. De devant, de derrière, de près, de loin, de haut, en ¾, en plan, par vue panoramique ou aérienne. Quelle que soit l’angle de vue, la localisation, l’éclairage, les jeux de lumières ; le monument est consubstantiellement photogénique !
Seules les drapeaux de l’entité sioniste et les militaires qui déambulent autour portent atteinte à sa majesté, mais bon… passons…
Le Dôme se situe sur l’Esplanade des Mosquées ou le Mont du Temple pour les juifs. C’est le premier ouvrage qui se voulut une création esthétique majeure de l’islam. A ses côtés Al Aqsa ; qui est la plus grande mosquée de la ville trois fois sainte et surtout, qui est citée dans le Coran :
« Gloire et Pureté à Celui qui de nuit, fit voyager Son serviteur [Muhammad], de la Mosquée Al-Haram à la Mosquée Al-Aqsa dont Nous avons béni l’alentours, afin de lui faire voir certaines de Nos merveilles. C’est Lui, vraiment, qui est l’Audient, le Clairvoyant » [sourate 17, 1].
Car après les hébreux, les chrétiens, Jérusalem va devenir ville sainte pour les musulmans. En 638, la ville se rend sans combat, sans effusion de sang et ce sont les vainqueurs musulmans qui vont permettre aux juifs de revenir. C’est sur l’ordre du calife Abd Al-Malik que l’édifice est érigé.
Pour les juifs, le Dôme est construit à l’emplacement de l’ancien Temple de Salomon qui abritait selon la Torah, le saint des saints ; l’arche d’alliance qui contenait les tables de la loi. Pour les musulmans, c’est simultanément leur ancienne qibla (point vers lequel on se tourne pour prier ; remplacé par la Mecque) et le lieu où le prophète Muhammad aurait effectué l’Isra et le Mi’raj (voyage nocturne et ascension au ciel) ; et depuis où il aurait dirigé une prière collective avec tous les prophètes depuis les débuts de la révélation divine ; d’Adam à Jésus en passant par Abraham, Noé, Moïse et tous les autres. C’est aussi là que Dieu aurait instauré les cinq prières quotidiennes.
Pour les deux religions, c’est également le lieu où Dieu demanda à Abraham de sacrifier son fils (1), qu’Il substitua par un agneau [Coran 37, 101-109 et Genèse 22, 1-12].
L’Aïd al-Adha, qui est la fête la plus importante du calendrier musulman commémore cet événement, chaque année à la fin du grand pèlerinage de la Mecque.
Enfin, lors de la création de l’Univers, le Mont du Temple de Jérusalem est considéré comme le point de jonction entre les cieux et la Terre…
Le Dôme est l’élément central et majestueux de cet ensemble. Chaque dynastie maîtresse de la ville sainte depuis les Fatimides jusqu’aux Ottomans a cherché à poser son empreinte sur l’édifice en l’embellissant et en prenant soin d’effacer systématiquement le nom de leur prédécesseur pour le remplacer par le leur… On y retrouve les influences byzantines et perses qui sont les deux grandes sources d’inspiration de l’art islamique, formant une symbiose parfaite.
Le Dôme est depuis des siècles le symbole de la ville éternelle et le troisième lieu saint de l’islam. Des chercheurs ont montré aussi les tenants eschatologiques de l’édifice afin d’appuyer la thèse selon laquelle le Dôme du Rocher est une préfiguration de la Jérusalem Céleste. Les inscriptions sur la fin des temps et le rôle de Jésus corrobore cette thèse.
En effet, sur les 240 mètres entourant la construction figurent des versets coraniques dédiés au Christ ; rappelant qu’il est un prophète fondamental de l’islam et qu’il est bien né d’une naissance miraculeuse de la Vierge Marie. Et que c’est lui qui reviendra à la fin des temps pour sauver l’humanité. Toujours dans ce sens, sa forme octogonale rappelle celle d’un bâtiment sœur : l’Eglise du Saint Sépulcre qui dispose aussi d’un rocher à l’intérieur, le Golgotha où le Christ a été crucifié. Le Dôme a donc un plan similaire, mais magnifié.
Ces dix dernières années, Israël n’autorisa l’accès à l’Esplanade des Mosquées qu’aux hommes et aux femmes mariés, respectivement âgés d’au moins 50 et 45 ans. Toutefois, depuis 2006, la zone fut rouverte à tous, avec des restrictions d’horaire, mais l’accès aux mosquées n’est pas permis aux non musulmans. Il faut franchir quatre sas de sécurité avant d’entrer, deux tenus par des militaires israéliens – avec au moins un soldat druze (ndlr : communauté religieuse arabe issus de l’islam) – et deux autres tenus par les arabes. On me demande mon passeport et de réciter al-fatiha, la première sourate du Coran.
« Au Nom de Dieu, Le Tout-Miséricordieux Le Très-Miséricordieux […] Amen ».
L’opération se répète trois fois.
Je me déchausse enfin. J’entre. Mes mains tremblent de respect. Comme un petit enfant, mes yeux émerveillés partent dans tous les sens. Le décor est de bois sculpté, ornementé de motifs végétaux et de formes réalistes qui combinés entre elles donnent des formes irréalistes offrant des fluctuations infinis. Des joyaux en or sphériques y sont incrustés procurant du volume et des formes à la bâtisse.
Sous le Rocher se trouve une grotte où l’ascension au septième ciel du prophète aurait eu lieu. Autre fait intéressant : c’est une mosquée mixte. Il n’y a pas d’espace particulier réservé aux hommes ou aux femmes. Durant les heures de prières, elle est réservée exclusivement aux femmes, tandis qu’Al Aqsa l’est pour les hommes.
Dernier point, une troisième mosquée, peu connue, Vieux Al Aqsa se trouve sous la mosquée Al Aqsa. Composées de deux longs corridors horizontaux débouchant sur une grande bibliothèque.
Après plusieurs heures passées à scruter dans les détails et à opérer à un bombardement de photos, je quitte l’Esplanade pour revenir dans la vieille ville. Je me rends compte ici à quel point les européens ne font plus d’enfants. Les rues de Jérusalem grouillent de gamins de tous âges jouant à cache-cache, au ballon et courant dans tous les sens. Au début, je pensais être tombé sur des sorties d’écoles, mais il n’en est rien !
Je note aussi avec joie que beaucoup de rues, de monastères ou d’échoppes portent des noms français. La France ayant été gardienne des lieux saints pendant de nombreuses années. La francophonie a d’ailleurs un réel potentiel dû à la présence des communautés arméniennes et des juifs du Maghreb qui restent très francophile.
A l’heure du tout anglais, la défense de la langue française et de son génie fait office d’un combat politique. Une langue dépeint une vision du monde, elle suggère une façon singulière de le dire, de la penser et donc de le représenter. En la matière, la francophonie a un rôle essentiel à jouer. La protection d’une langue singulière comme le sont toutes les langues. Mais je m’égare… Tellement de combat à mener…
Je marche de la porte des Lions, dans le quartier musulman, vers la Via Dolorosa. Où a eu lieu le chemin de croix du Christ. Il y a quatorze stations qui correspondent chacune à un évènement rapporté dans les évangiles. Les cinq dernières se trouvent dans l’église du Saint Sépulcre. La première station équivaut au lieu de sa condamnation.
J’ouvre l’évangile selon Jean au chapitre XIX :
« 19,1. Pilate prit donc alors Jésus, et Le fit flageller. 19,2. Et les soldats, ayant tressé une couronne d’épines, la mirent sur Sa tête, et Le revêtirent d’un manteau de pourpre. 19,3. Puis, ils venaient auprès de Lui, et disaient : Salut, roi des Juifs ; et ils Lui donnaient des soufflets. 19,4. Pilate sortit donc de nouveau, et dit aux Juifs : Voici que je vous L’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en Lui aucune cause de condamnation. 19,5. Jésus sortit donc, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voici l’homme ! 19,6. Lorsque les princes des prêtres et les satellites Le virent, ils criaient, en disant : Crucifie, crucifie-Le ! Pilate leur dit : Prenez-Le vous-mêmes, et crucifiez-Le ; car moi, je ne trouve en Lui aucune cause de condamnation. 19,7. Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon notre loi Il doit mourir, parce qu’Il S’est fait Fils de Dieu. »
La deuxième station est à côté du monastère franciscain de la Flagellation, où Jésus commence à porter la croix. Je reprends ma lecture :
« 19,9. Et étant entré de nouveau dans le prétoire, il dit à Jésus : D’où es-Tu ? Mais Jésus ne lui fit pas de réponse. 19,10. Alors Pilate Lui dit : Tu ne me parles pas ? Ne sais-Tu pas que j’ai le pouvoir de Te crucifier, et le pouvoir de Te délivrer ? 19,11. Jésus répondit : Tu n’aurais aucun pouvoir sur Moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut. C’est pourquoi celui qui M’a livré à toi est coupable d’un plus grand péché. 19,12. Dès lors, Pilate cherchait à Le délivrer. Mais les Juifs criaient, en disant : Si tu Le délivres, tu n’es pas l’ami de César ; car quiconque se fait roi se déclare contre César. […] 19,14. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, et environ la sixième heure. Et il dit aux Juifs : Voici votre Roi. 19,15. Mais ils criaient : Ote-Le, ôte-Le ; crucifie-Le ! Pilate leur dit : Crucifierai-je votre Roi ? Les princes des prêtres répondirent : Nous n’avons pas d’autre roi que César. 19,16. Alors il Le leur livra pour être crucifié. Ils prirent donc Jésus, et L’emmenèrent. 19,17. Et, portant Sa croix, Il vint au lieu appelé Calvaire ; en hébreu, Golgotha. »
Troisième station, Jésus tombe pour la première fois sous le poids dans sa croix. Quatrième station, il croise le regard de Marie, sa mère. Cinquième station, un cyrénéen, Simon, l’aide à porter sa croix. Sixième stations, Véronique essuie le visage de Jésus. Septième station, il tombe pour la deuxième fois. Huitième station, les femmes de Jérusalem pleurent sur lui ; Jésus leur dit « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et vos enfants ! ». Neuvième station, Jésus tombe pour la troisième fois. Dixième station, il est dépouillé de ses vêtements. Onzième station, il est crucifié…
« 19,18. Là ils Le crucifièrent, et deux autres avec Lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. 19,19. Pilate rédigea aussi une inscription, qu’il plaça au-dessus de la croix. Il y était écrit : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. 19,20. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, car le lieu où Jésus avait été crucifié était près de la ville. Elle était rédigée en hébreu, en grec et en latin. 19,21. Mais les pontifes des Juifs disaient à Pilate : N’écris pas : Roi des Juifs ; mais écris qu’Il a dit : Je suis le Roi des Juifs. 19,22. Pilate répondit : Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »
Douzième station, Jésus meurt sur la croix… Treizième station, on le descend de la croix et on le remet à sa mère. Quatorzième et dernière station, Joseph roule son corps dans un linceul et le met dans son tombeau…
A chaque étape, j’ai des images de la Passion du Christ, de Mel Gibson qui me viennent en tête... Décidément on ne guérit pas du bourrage de crâne d’Hollywood du jour au lendemain !
Les légions de touristes sont partout. Le tourisme de masse détruit tout ; ça comme le reste… Je suis un des rares à ne pas appartenir à cette race et je suis probablement le seul pratiquant non croyant.
Le Saint Sépulcre est partagé entre six branches de la chrétienté. Les grecs orthodoxes, les franciscains et les arméniens orthodoxes possèdent la plus grande partie, rejoints par les coptes et les syriens orthodoxes. Finalement, les éthiopiens qui pour des raisons obscures n’ont jamais eux le droit à un espace dans l’église… Il se retrouve donc sur le toit !
Et c’est la même famille musulmane qui détient les clefs de l’église depuis Saladin.
A l’entrée se trouve la Pierre de l’Onction ou le corps de Jésus de Nazareth fût lavé. Les fidèles s’y prosternent, l’embrassent et y frottent des objets ; croix, bibles, chapelets, etc. Sur la droit, en montant les escaliers, l’autel de la crucifixion, décorée avec de très vives icônes d’or scintillantes. Enfin, sur la gauche, l’édicule où le corps fût déposé... Une queue interminable patiente. Les paquets de touristes, les iPhone, les bousculades, les tenues légères et peu appropriées des demoiselles me fatigue. Il faudrait chasser les marchands du temple à nouveau. Je quitte le lieu.
Je suis attiré comme un aimant par l’Esplanade, mais je me retrouve juste en dessous, au Mur des Lamentations. Le Mur est la seule partie restée authentique de l’époque d’Hérode, d’où la raison de la foi qui l’habite. Il ne s’agit pas d’une façade de l’ancien Temple, mais d’un de ses remparts. Les croyants y glissent des prières dans ses fentes. Il est considéré comme étant aujourd’hui l’endroit le plus proche du saint des saints et donc le lieu le plus sacré du judaïsme.
Chronologie des événements : en 973 av. J.C, David y fait construire le premier temple. Fin du 6ème av J.C, le temple est détruit par Nabuchodonosor roi de Babylone qui rase la ville. Cinquante ans après, Babylone est vaincu par Cyrus roi des Perse. Qui autorise les juifs à rentrer et finance la construction du second temple.
Esther séduit Cyrus et devient la première impératrice juive à régner sur la Perse. Elle sauve le peuple juif. La fête de Pourim commémore chaque année cet épisode. Fait peu connu des juifs eux-mêmes, Pourim est en fait, une version judaïsée de célébrations et de festivité persanes.
Les rapports entre l’Iran et le peuple juif sont donc bien plus profonds que ce qu’essaye de nous faire croire Laurence Ferrari ou David Pujadas et France Télévisions, avec leurs visions Disneyland et manichéenne de cette nation plurimillénaire.
En deux mots, l’Iran abrite la plus grande communauté juive du Moyen-Orient après Israël. Il y a vingt-cinq synagogues rien qu’à Téhéran et l’un des seuls hôpitaux juifs au monde (2). Les juifs disposent de représentants au parlement et ont des privilèges républicains ; ils ne sont pas soumis à toutes les obligations des musulmans, comme l’interdiction de boire de l’alcool, par exemple. Il y des dizaines de lieux saints du judaïsme en Iran ; tombeau du prophète Daniel à Suse ou les mausolées de Habakkuk, d’Esther et de Mordecai à Hamadan.
Vous voulez encore plus surprenant ? L’ancien président israélien, Moshe Katsav est iranien ! Mieux ! Shaul Mofaz, chef suprême de l’état-major des forces israéliennes est né à Téhéran, sa première langue est le persan, ses parents sont originaires d’Ispahan !
Bref, pour revenir au sujet ; de l’autre côté du Mur, se trouve le Mont des Oliviers ; une colline qui offre une vue imprenable sur la ville. La première impression est celle d’un immense cimetière juif. 150 000 tombes ! C’est le plus grand cimetière israélite au monde. Selon la tradition juive, Machia’h (le Messie) traversera la colline avant d’entrer dans la ville par la porte d’Orée, qui donne sur l’Esplanade des Mosquées. Les personnes y étant enterrées seront les premières à être ressuscité. Mechia’h doit par ailleurs, être précédé par un prophète ; Elie, qui appartient à la ligné des Cohen ; et qui pour des raisons de pureté n’a pas le droit d’enter dans les cimetières [Lévitique 21, 1-5 et Ezéchiel 44, 25].
Soliman le Magnifique ayant entendu la prophétie de Machia’h et voulant la contrecarrer, fît fermer la porte d’Orée et installa un grand cimetière musulman devant.
Voilà pourquoi Jérusalem est une ville trois fois sainte. Toujours perçue à travers l’histoire comme un trophée de guerre ; des Pharaons à Saladin.
En synthèse : foi qui s’y façonne puis rivalise, tolérance, intolérance… Ville étroitement liée aux visions que les hommes ont de leurs croyances voir de leur mysticisme. Une foi tout de même d’une incroyable durée puisque ce qui a été dit et cru, il y a 1 400 ans, 2 000 ans ou 3 000 ans exerce encore une fascination intacte sur des centaines de millions d’âmes.
Le soleil se couche. Je dois repartir. Déjà… Un dernier regard sur la ville et je récite dans mon cœur ce psaume sublime :
« Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite se dessèche ! Si je t’oublie Jérusalem, que ma main droite m’oublie ! Que ma langue se colle à mon palais, si je perds ton souvenir, Si je ne te mets pas Jérusalem au plus haut de ma joie ! »
(1) Son premier fils, Isaac, pour les juifs et son second fils, Ismaël, pour les musulmans.
(2) Il n’en existe que quatre au monde. Le plus connu étant celui de Cedars-Sinai à Los Angeles.
Le dôme du Rocher :
Le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa :
Photos de Jérusalem depuis le Mont des Oliviers :
L’église du Saint Sépulcre :
Mosquée Al-Aqsa et cimetiére juif du Mont des Oliviers :