La crise sanitaire provoquée par le Covid-19 sera suivie d’une crise économique et financière forte et durable. L’assignation à résidence de l’ensemble de la population met l’économie mondiale à l’arrêt et il y a fort à parier que certains secteurs très exposés comme le tourisme et le spectacle n’en sortent pas vivant. En plus des questions relatives à la gestion du gouvernement, il faut également s’interroger sur les intentions du lobby bancaire, tant ce dernier brille par son opportunisme à tirer parti des pires situations.
Les crises financières à répétition de ces vingt dernières années nous l’ont prouvé. Un rapide retour en arrière nous amène au début des années 2000 avec l’éclatement de la bulle internet dont la violence justifiera de lever les freins à une politique massive de baisse des taux d’intérêt pour relancer l’économie. Cette baisse des taux engendrant une nouvelle bulle, cette fois-ci dans l’immobilier, qui éclatera huit ans plus tard avec la fameuse crise des subprimes. Crise systémique qui permettra une véritable révolution de la science monétaire via la mise en place de politiques non conventionnelles telles que les assouplissements quantitatifs (quantitative easing en anglais), qui se sont avérés être en réalité des plans de sauvetage de l’industrie bancaire et financière. Et la panique obligera les gouvernements du monde entier à lancer des plans de relance budgétaire financés exclusivement par des emprunts. Logiquement, cinq ans plus tard, c’est au tour des États d’être dans la tourmente avec la crise des dettes souveraines. Le point culminant se trouvant dans la zone euro avec des pays comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, prisonniers de l’euro, n’ayant plus l’arme de la dévaluation, qui voient leurs taux d’intérêt s’envoler. On se souvient de Sarkozy et Merkel montant au créneau contre le méchant Berlusconi, invoquant l’unité européenne pour créer un fonds de sauvetage européen, le MES. Or le vrai sauvetage fut pour les banques et notamment françaises, toutes lourdement exposées aux dettes de ces pays et dont le défaut les aurait immanquablement entraînées dans la faillite.
Ce rapide retour en arrière nous permet de penser raisonnablement que ces crises sont volontairement déclenchées et dramatisées pour générer peur et angoisse, et ainsi neutraliser toute velléité de réformes structurelles. Le débat public ainsi hystérisé prive de la faculté de réfléchir, l’urgence s’impose, les banques gardent la main en imposant leur calendrier et leurs solutions. Le modus operandi reste identique : Blitzkrieg médiatique de journalistes et d’experts aux ordres pour convaincre l’opinion publique qu’il n’a pas d’autres choix, suivi d’une série de textes législatifs votés dans l’urgence et de mise en place de politique monétaire favorable aux banques. Tous ces efforts n’ont qu’un seul but : supprimer les contraintes qui s’opposent à l’accroissement de la dette et offrir ainsi un sursis aux banques. Le simple citoyen regarde cette pièce tel un spectateur ahuri, mais comprend instinctivement le chantage des banques : après moi le déluge !
La crise financière qui pointe suite aux conséquences du Covid-19 ne fait pas exception et nous donne une merveilleuse occasion de vérifier ce schéma. Déjà des plans massifs de relance budgétaire ont été votés et dans le débat public fleurissent des prises de position sur les bienfaits de l’helicopter money qu’on peut associer à la notion de revenu universel.
L’idée est la généralisation de l’assistanat : les comptes bancaires des citoyens sont crédités sans exiger quelque travail, donc création de richesse en retour. Mesures encouragées par la gauche, éternelle idiote utile de la banque, qui y voit une mesure de justice sociale. Il est vrai qu’avec l’helicopter money, sur le papier, tout le monde est de la fête, les banques comme les classes populaires. En pratique c’est une tout autre histoire. S’il est vrai que les banques centrales avaient jusque-là enrichi exclusivement les plus riches via une création monétaire confinée à la sphère financière, cela présentait au moins l’avantage de garder sous contrôle les prix des biens et services de première nécessité. L’helicopter money s’appliquant à toute la population, une inflation généralisée est garantie. L’effet richesse ressentie sera donc de très courte durée car très vite les prix des biens et services consommés s’ajusteront à la hausse. Le pouvoir d’achat ne s’en trouvera donc aucunement amélioré bien au contraire.
En outre, comme en 1981 avec la relance keynésienne de Mitterrand, cette consommation partira dans des biens de consommations produits à l’étranger. Ainsi cette manne ne viendra en aucune façon renforcer et enrichir l’économie nationale. Enfin et surtout, cela va ouvrir la voie à une spirale inflationniste qu’il va être très compliqué pour les banques centrales de juguler. Un cercle vicieux se met en place : augmentation des prix puis des salaires, suivie des coûts de production et donc une nouvelle augmentation des prix. Ce type de scénario s’est produit à maintes reprises par le passé, notamment en Allemagne pendant la république de Weimar, quand les commerçants ajustaient plusieurs fois par jour le prix de leurs étals. L’histoire montre qu’il est très compliqué, voire impossible de juguler un tel phénomène sans prendre des mesures drastiques non sans conséquences sur nos sociétés et nos libertés individuelles. On le comprend, une telle politique ne présente que des inconvénients sauf bien entendu pour le système bancaire et financier qui, par ce biais, s’offre une bouffé d’oxygène. La relance de l’inflation ainsi permise, appelé reflation par les économistes, permet d’éloigner temporairement les menaces, mais sur le fond absolument rien n’est réglé. Le problème n’est que repoussé et se présentera à la prochaine crise avec encore plus d’acuité.
Pour comprendre le caractère cyclique de ces crises nous devons nous pencher sur l’architecture du système monétaire : un système qui repose sur « l’argent dette ».
La monnaie mise en circulation dans l’économie provient des emprunts contractés par les agents économiques. De l’argent qui ne repose sur rien de tangible, uniquement sur la promesse d’être remboursé dans le futur. Les banques sont au cœur de cette architecture car elles ont la responsabilité de créer ex-nihilo cet argent à la souscription de l’emprunt et de le détruire une fois celui-ci remboursé. Cependant, les remboursements n’engagent pas uniquement le capital emprunté, les intérêts qui constituent la rémunération des banques viennent s’y ajouter. En réclamant plus qu’elles ont prêté, et donc créé, les banques créent un déséquilibre au niveau macro-économique car la masse monétaire en circulation ne sera jamais assez suffisante pour rembourser les encours. Ainsi, la viabilité d’un tel système implique une masse monétaire en perpétuelle expansion : les dettes appellent toujours plus de dette pour pouvoir payer les intérêts. Ce point est crucial car il permet de comprendre le déséquilibre inhérent au système monétaire. La financiarisation à outrance n’a fait qu’accélérer et complexifier ce phénomène ; cependant la problématique reste identique : l’usure est une source de déséquilibre, ce qui explique son interdiction dans certaines sociétés et sa condamnation par les deux principales religions monothéistes que sont l’islam et le catholicisme.
Ce déséquilibre intrinsèque de « l’argent dette » engendre donc périodiquement des retournements. Les bulles gonflées artificiellement par l’abondance de création monétaire éclatent, les prix chutent pour revenir à la normale, c’est-à-dire à l’équilibre entre l’offre et la demande réelle de biens et de services. La gravité reprend ses droits. Cette période de déflation doit ainsi permettre un assainissement de l’économie. Or pour le système bancaire, une déflation même minime n’est pas une option car elle signe son arrêt de mort. En effet, si les prix baissent, les intérêts des emprunts, qui eux sont fixes deviennent proportionnellement plus lourds, ce qui engendre mécaniquement une hausse des défauts. Plus grave, les emprunteurs se retrouvent à rembourser des emprunts sur des biens qui ont perdu de la valeur sur le marché, ils sont donc dans une position que les anglo-saxons appellent negative equity, le passif à rembourser est supérieur à l’actif lui-même. Ils s’appauvrissent en remboursant leurs dettes ! Ces deux effets conjugués engendrent une avalanche de défauts que les banques sous-capitalisées n’ont absolument pas les capacités d’absorber. La plus grosse banque française, BNP Paribas, a pour plus de 2200 milliards d’euros d’encours pour une capitalisation de 60 milliards. Si demain, ne serait-ce que 5 % de sa clientèle venait à faire défaut, elle se retrouverait avec un trou dans son bilan de 110 milliards d’euros, largement supérieur à ses capitaux propres, synonyme d’une banqueroute qui emporterait actionnaires, clients et au vu de sa taille, toute l’économie française.
Il est capital d’avoir ces éléments en tête pour comprendre ce qui se joue en ce moment. La déflation, c’est la mort du système de domination actuelle basé sur la dette. Les banques, ainsi que toute la classe politique en ont conscience, d’où leur détermination à l’enrayer, même au prix d’épisodes d’hyperinflation destructeurs pour nos sociétés.