La Syrie de Bachar el-Assad est tombée. D’abord Alep, puis Hama et Homs. Le 8 décembre 2024, Damas fut prise. Mais prise par QUI ?
Cui bono ? : nouvelle offensive – réussie – de l’Empire du mensonge
Pour qu’un accord cesse, l’une des parties doit nécessairement quitter la table ; pour qu’il implose si brutalement, il faut la renverser.
Le 5 mars 2020, l’accord obtenu entre Poutine et Erdoğan gela le conflit syrien qui enflammait le territoire depuis un peu moins d’une décennie. Ainsi, Moscou s’imposa sur la scène internationale comme une puissance militaire victorieuse et un allié œuvrant pour la paix. Erdoğan, dont les soutiens et les manœuvres ont toujours servi une vision géopolitique pragmatique, se rangeait alors derrière l’un des chefs de file du Nouveau Monde. Pourtant, quatre ans et demi plus tard, c’est bien lui qui fait défection : quelles que soient les déclarations officielles, il est militairement impossible que la nébuleuse HTS ait renversé le régime el-Assad, de manière si coordonnée et fulgurante, sans le soutien logistique et de renseignement turcs. Mais la trahison turque n’est qu’un détail, désespérant certes, d’une nouvelle offensive globale de l’agent du Mal, l’axe américano-sioniste.
Cui bono turc : une victoire d’Erdoğan. Vraiment ?
La Turquie protégeait une nébuleuse de combattants, plus ou moins sous son contrôle, dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie. Si tant est que l’agent du Mal ait agi selon un plan, une telle offensive était prévue depuis des mois. Erdoğan a, depuis le gel du conflit, œuvré comme un frein aux ardeurs grandissantes d’HTS (nous y reviendrons). Des signes de frustrations face à l’échec des négociations avec Bachar el-Assad se faisaient depuis longtemps ressentir ; notamment sur deux dossiers cruciaux, celui des trois millions de réfugiés syriens en Turquie, et celui de la lutte contre les Kurdes, ennemi ontologique pour la Turquie, installés à sa frontière. Mais sur ce point, le dirigeant syrien a sans cesse mis un point d’honneur à conditionner toute ouverture des négociations au retrait de l’ensemble des troupes étrangères, et donc turques, de son territoire. Et Erdoğan l’a toujours su, bien qu’il lui faille, lui aussi, jouer sa partition nationaliste sécuritaire, pour s’assurer la stabilité de son électorat. Bachar el-Assad n’a jamais voulu faire de compromis sur sa souveraineté ; le revirement turc est donc à expliquer autrement. Il faut poser une question plutôt simple, à ce stade : qui gagne en Turquie à renverser Bachar el-Assad ? Eh bien pas grand-monde, si ce n’est personne. Les médias ont rapidement présenté Erdoğan comme un profiteur de chaos, redirigeant ses groupes pro-turcs vers les grands bastions kurdes soi-disant acculés (Tall Rifaat puis Manbij au nord-est). Si la Turquie jouit peut-être pour l’instant d’un ascendant stratégique offensif temporaire, à terme, elle n’aura jamais été aussi fragile face à de nouvelles velléités politico-territoriales kurdes. Car c’était bien Bachar el-Assad qui assurait un équilibre, fragile mais tenu, dans la région entre les différentes ethnies. Demain, sans la verticalité du régime Assad, qui pourra retenir les Kurdes d’enfin former leur Kurdistan ? Certainement pas Erdoğan, ou seulement au prix d’une opération militaire directe, qu’il a pour l’instant tout fait pour éviter. Si la Turquie a permis ce renversement, elle s’est fait forcer la main, par un interlocuteur auquel elle n’a vraisemblablement toujours pas les moyens de dire non.
Cui bono américain : Trump à l’épreuve de son sionisme réel
Le scénario syrien rappelle funestement les épisodes afghan, irakien, libyen. La recette est toujours la même : infiltration, organisation et financement des milieux djihadistes par la CIA, feu-vert pour leur déchaînement au prix de la mort de tout un peuple, communication criminelle et mensongère. Les « rebelles modernistes » présentés par nos médias de grand chemin sont dirigés par un pur produit de l’État islamique irakien, Abou Mohammed al-Joulani. Le New York Times révèle qu’il serait arrivé en Syrie en 2011, pour monter à la sueur de son seul front, la mouvance djihadiste ultra-violente connue plus tard sous le nom de Front al-Nosra. Inutile de préciser que le petit père, comme ses homologues talibans, a fait bonne route, le baluchon plein de dollars, et a su, au fil du temps polir, son image et tailler sa barbe, grâce, on s’en doute, aux meilleurs spin doctors. Énième agent américain du chaos et de la désolation, ses hommes ont été méticuleusement entraînés et préparés au combat médiatisé.
Posons-nous toujours cette question désormais un peu plus délicate : qui gagne aux États-Unis à renverser Bachar el-Assad ? Était-ce une offensive de l’administration Biden, ou de la future, mais déjà en place de manière parallèle depuis 2020, administration Trump ? L’on sait la CIA acquise aux intérêts des faucons apatrides du Pentagone. Rien de nouveau sous le soleil pour l’administration démocrate. Le renversement syrien de 2024 marquerait alors une nouvelle, peut-être, espérons-le, dernière salve meurtrière désespérée de cet Empire décadent.
Et si c’était Trump ? L’hypothèse n’est pas dénuée de sens. Car ceux qui admettent aisément qu’il est, avec son propre État profond parallèle, aux manettes depuis au moins 2020, ne peuvent pas l’exempter de toute responsabilité sur le dossier. En outre, la chute de Bachar el-Assad entraîne avec elle un affaiblissement stratégique de la Russie, pour ne pas dire critique, si la base navale de Tartous venait à être perdue. Ce coup dur porté à Moscou se présente comme un incroyable rééquilibrage des forces dans le contexte de négociations imminentes, entre la Russie et les États-Unis sur la fin de la guerre en Ukraine. Voilà Trump doté d’une carte exceptionnelle dont manquait terriblement sa main pour faire courber le tsar largement victorieux sur le front européen. En l’état, rien ne permet de dire que la Russie ait un quelconque ascendant sur le nouveau régime américano-« joulanien ». Si Trump est vraiment le nouveau héros du combat contre l’empire du Mal, c’est sur le dossier syrien, et les futures négociations avec la Russie et l’Iran, qu’il devra le prouver.
Cui bono israélite : bis repetita
Le lecteur aura compris l’effet d’ascension argumentative qui ne doit pas empêcher une relecture enrichissant chaque phrase de la reine signature : sioniste. Erdoğan n’a pas pu dire non aux sionistes. La créature al-Joulani est un pur produit d’une CIA aux mains d’un pouvoir américano-sioniste. La réponse à une question toujours aussi simple, mais tout à fait interdite, est celle-ci : le grand gagnant du renversement de la Syrie de Bachar el-Assad est Israël. Dans sa guerre à mort contre l’Axe de la Résistance, Israël a frappé d’un grand coup (fatal ?). La Syrie de Bachar el-Assad était le corridor logistique vital du Hezbollah. Décapité de son chef charismatique Nasrallah, amputé de ses approvisionnements iraniens par la Syrie, combien de temps encore pourra tenir la principale force d’opposition au projet du Grand Israël ? Plus rien ne semble pouvoir désormais arrêter l’avancée sioniste sur les terres promises. Lundi 9 décembre, Israël a annexé le plateau du Golan. Netanyahou a affirmé qu’il appartenait à Israël « pour l’éternité » dans l’impunité la plus totale, et la passivité de toute la communauté internationale. Cui bono ?
L’avenir de la Syrie et du Nouveau Monde dans sa lutte contre le Mal
Quand Trump se présentera face à Poutine, le dossier syrien sera nécessairement au cœur des négociations. Sans parler du pétrole (qui a toujours été au cœur du dossier syrien pour les parties américaines et turques), la question de la base navale de Tartous est centrale. La Russie, qui se veut être la puissance mondiale, tête de file du Nouveau Monde, ne peut pas renoncer à Tartous. C’est sa seule base navale de projection militaire en Méditerranée. Elle pourrait certes être remplacée dans le cadre d’un renforcement des accords déjà existants avec la Libye ou le Soudan (mais aussi l’Algérie). Mais la Russie pourrait-t-elle également envisager de déplacer tous ses capteurs électromagnétiques hautement critiques à son système de renseignement vers le continent africain ? Sur des territoires aussi instables que la Libye ou le Soudan ? Les analystes russes ne se sont pour l’instant pas empressés d’en faire la proposition.
On peut formuler trois scénarios pour l’avenir de la Syrie. Aucune décision sur l’avenir du pays ne sera prise sans le concours des agents d’Israël et de Washington, mais aussi de Moscou et de Téhéran. Disons-le, ces perspectives ne laissent pas augurer l’avènement prochain d’un Nouveau Monde pacifique triomphant contre l’Empire du Mal. Mais cet avenir, plein d’incertitudes, de violence et de chaos, peut-être celui où se révèlent pour l’Histoire les vrais combattants du Bien.
Un morcellement ethnique pour la Syrie
Dans le cadre d’un accord où la Russie serait largement gagnante, la Syrie pourrait être découpée en fiefs ethniques. Un fief kurde qu’Erdoğan devra surveiller de très près. Un fief alaouito-chrétien, où la Russie pourrait conserver ses bases. Un fief arabe sunnite où les Américains devraient prendre la responsabilité d’anéantir les germes djihadistes qu’ils ont semés. À supposer que Trump ait dans le même temps le pouvoir de regagner la main sur sa CIA. Un (petit) fief chiite où les Iraniens pourraient tenter, face au lobbying sioniste, de rétablir les bases d’un nouvel Axe de la Résistance. L’une des failles majeures de ce scénario est qu’il franchit une ligne rouge fondamentale turque : celle de l’établissement de fait d’un Kurdistan. Erdoğan aurait-il encore les moyens de s’opposer à un tel scénario ? Sûrement pas. Mais son pouvoir de nuisance au sein de l’OTAN n’est pas négligeable. Et Washington ne pourra pas non plus ignorer que l’adoubement d’un Kurdistan entraînera nécessairement une nouvelle guerre, celle opposant les Turcs aux Kurdes.
Un État fantoche sous contrôle américano-sioniste
L’épisode a déjà été joué, en Afghanistan, en Irak, en Libye, et il est terrible. La création d’un gouvernement arabe sunnite sous contrôle américano-sioniste total. Ce scénario serait la consécration d’un trumpisme sioniste intégral. Il ne laisserait pas de marge de manœuvre à la Russie pour conserver des bases aussi stratégiques dans le cadre de sa rivalité de puissance avec les États-Unis. Il ne laisserait également aucune chance à l’Iran dont la mise à mort sera poursuivie par les lobbyistes sionistes derrière Washington. Entre autres, le Liban pourra s’attendre à une vague de migration conséquente des chrétiens syriens répudiés par un gouvernement œuvrant à la division et la destruction régionales. Plus généralement, une nouvelle vague de migration syrienne massive vers l’Europe par la Turquie pourrait avoir lieu, elle-même savamment organisée par les mêmes qui l’ont déclenchée.
Embrasement djihadiste de la région
La CIA a-t-elle totalement la main sur la nébuleuse djihadiste qu’elle vient de lâcher ? Et si al-Joulani, ou l’un de ses hommes renversait à nouveau la table et qu’un scénario à l’Irak 2014 se répétait ? Des milliers de combattants de l’État islamique sommeillent dans des prisons kurdes au nord-est de la Syrie, prêts à être libérés. La possibilité d’un embrasement général qui aurait largement débordé le contrôle de Washington viendrait déstabiliser tous les acteurs : américains, turcs, russes, iraniens. Tous, sauf ceux qui fleurissent sur la division et le chaos ; ceux qui se déploient au service du Mal.