À la suite de ma révélation de la campagne de Jewish Voice for Peace (JVP) contre le grand patriote américain Alison Weir, je fus approché par Berta Schwartz, une activiste américaine de JVP. Berta est bien entendu un pseudonyme. Tout comme Ned Rozenberg, nos Juifs libéraux dissidents ont peur de leurs synagogues « progressistes ». Exprimer leurs idées au grand jour peut conduire à l’exclusion sociale, et même l’excommunication. Tandis que les juifs orthodoxes ont peur de Dieu, nos juifs libéraux sont en fait terrorisés par leurs amis. Avant de publier cet entretien, Berta me demanda de ne pas dévoiler son nom et de dissimuler l’emplacement de sa section JVP. J’ai accepté sa demande.
Berta Schwartz : Que pensez-vous que les hypothétiques Palestiniens en Cisjordanie, à Gaza ou dans les camps de réfugiés, veulent et qu’attendent-ils du monde ?
Gilad Atzmon : Il y a actuellement plusieurs discours palestiniens de libération, de résistance et même de collaboration qui sont différents et parfois contradictoires. Hypothétiquement, j’imagine qu’à Gaza ils puissent espérer une journée sans drones, et la possibilité de se déplacer sans craindre un sniper ou un missile israélien. En Cisjordanie, il est possible qu’ils espèrent conduire d’un point A à un point B sur une route droite. À Yarmouk, il est probable qu’ils ne puissent pas même s’imaginer un avenir différent. À Lod et à Jaffa, les Palestiniens demandent des droits civiques. Il est clair que les Palestiniens ne sont pas nécessairement d’accord entre eux sur leurs objectifs, mais il est bien plus intéressant de noter que cette division est entretenue par la législation et les politiques israéliennes.
La domination juive sur le mouvement de solidarité avec les Palestiniens n’améliore pas les choses. Au lieu de se battre pour le « droit au retour » des Palestiniens, qui unissait autrefois tous les Palestiniens autour d’un seul esprit, le mouvement a été entravé par une terminologie alambiquée qui se trouve être judéocentrée jusqu’à l’os. Comme je l’explique ici, la nouvelle terminologie de solidarité (BDS, le colonialisme, l’apartheid, la fin de l’occupation, etc.) se préoccupe avant tout de la Cisjordanie, parce que c’est le seul territoire qui intéresse les juifs libéraux qui guident le mouvement.
Si les Palestiniens lancent un appel pour un boycott à l’échelle internationale, pourquoi d’autres personnes ne devraient-elles pas soutenir cet appel ?
Il n’y a aucun problème avec l’appel à boycotter ou à sanctionner Israël. Mes critiques du mouvement BDS sont simples. Je fais la différence entre un artiste et une tomate. Je crois en la liberté d’expression et je ne pense pas que faire des Palestiniens des opposants au Premier amendement soit une idée si intelligente. Dès 2005, je prédisais que le mouvement BDS deviendrait un outil de police de la pensée et malheureusement, j’avais raison. Nous avons observé la campagne BDS contre George Galloway, Norman Finkelstein, Ken O’Keefe, Silvia Cattori, Greta Berlin, Daniel Barenboim, Jacob Cohen, moi, et d’autres intellectuels. Il est devenu clair que bien que le principe fondamental du mouvement BDS soit légitime et puisse avoir aidé la cause palestinienne, le mouvement est corrompu en profondeur. Il opère maintenant comme un dispositif juif libéral de police de la pensée. Norman Finkelstein décrit ce dispositif comme une « secte ».
Un autre problème que j’ai avec le mouvement BDS est qu’il a modifié ses objectifs officiels de manière clandestine et éhontée. Il a compromis le principe palestinien le plus précieux – ce dernier étant devenu un tampon par procuration pour l’État juif et j’explique ici cette transition.
À part ça, je soutiens toute forme de sanctions et de mesures possibles contre Israël et son lobby juif.
Pensez-vous que le mouvement BDS ait une quelconque utilité, qu’elle soit politique, éducative, de prise de conscience, etc. ?
Je ne suis pas un activiste, ni un grand croyant en l’activisme. Il est très clair que le mouvement BDS a une immense capacité à unifier les juifs soi-disant « pro » et « anti ». Il prive les Palestiniens du débat sur la Palestine et le transforme en un débat interne à la communauté juive. Je vais vous dire… c’est très bon pour les juifs. J’imagine que c’est aussi bon pour les quelques ONG palestiniennes qui sont assez corrompues pour accepter de l’argent du sioniste libéral George Soros et compagnie.
J’ai lu des comptes rendus disant que les officiels israéliens et les organisations juives américaines craignent la montée en puissance du mouvement BDS et veulent le stopper. Pensez-vous que cela indique qu’il s’agit de la bonne stratégie ?
Comme je l’ai dit précédemment, vous avez raison, cela prouve sans le moindre doute qu’Israël et la Hasbara sont déterminés à faire du « droit au BDS » sa principale bataille de propagande. Nous y voilà encore une fois : au lieu de se battre pour le « droit au retour palestinien », nous laissons quelques juifs débattre du « droit au BDS ». Est-ce bon pour la Palestine ou est-ce bon pour les juifs ? Mon opinion est que le mouvement BDS est tombé dans une embuscade israélienne et ses leaders étaient et sont trop naïfs pour saisir les enjeux, et cela n’est pas surprenant. Après cette purge continuelle menée par les mouvements BDS et JVP contre les intellectuels, il ne reste du mouvement de solidarité qu’un réseau décapité d’activistes qui manquent de capacité cérébrale pour penser stratégiquement et tactiquement tout en faisant leur autocritique. La bonne recette... si l’on veut un désastre.
Quelle stratégie activiste ou politique serait selon vous efficace pour changer les choses dans la région ?
Mon rôle d’intellectuel est d’affiner la question plutôt que de délivrer des réponses ou un programme pour les « activistes ». Je crois que lorsque nous sommes assez courageux pour regarder en face le sens de la judaïté d’Israël et la puissance de la politique juive, c’est seulement alors que nous sommes capables de produire des réponses différentes et adéquates. Plutôt que de penser « activisme », nous ferions mieux de nous assurer que l’on comprend la « cause ». Est-ce là une suggestion si scandaleuse ? Cependant, après avoir assisté à la purge des mouvements BDS et JVP contre Weird, Cohen, O’Keefe et moi-même, il est clair que nos « alliés » juifs libéraux sont au comble du désespoir. Ils ne peuvent dissimuler plus longtemps leur peur de la vérité.
En revanche, je crois que les Palestiniens devraient se libérer, et notre rôle est de les soutenir et d’appuyer leur résistance. Pour l’instant, nous faisons l’exact contraire. Nous inventons une tactique imaginaire « non violente » infantile qui sert uniquement à nous rassurer aux dépens des Palestiniens.
Pensez-vous que toute organisation incluant « juif » dans son nom soit condamnée à faire seulement ce qui est bon pour les juifs ?
Tout dépend de ce que nous entendons par le « mot en J ». Les juifs de la Torah voient la Torah comme le cœur de leur approche humaniste du conflit. Il s’agit d’un appel légitime que je soutiens et que j’ai encensé tout au long de ma carrière. Cependant, les organisations juives laïques telles qu’IJAN, J-BIG et JVP vendent un produit ethnocentriste. Elles célèbrent l’exclusivisme juif, et leurs comités directeurs sont intégralement juifs et imperméables à la notion de diversité qu’elles défendent. La Knesset, dont le troisième plus gros parti est un parti arabe, est bien plus diversifiée, pluraliste et tolérante que JVP ou n’importe quel autre groupe juif progressiste.
Qu’en est-il des organisations au sein du Mouvement des droits civiques aux États-Unis telles que le Southern Christian Leadership Conference ou des groupes tels que Sabeel qui sont chrétiens ? N’ont-ils pas fait/ne font-ils pas du bon travail ?
Nous abordons ici une distinction importante et cruciale entre la judaïté qui est nationaliste, ethnocentriste et associée à une religion (le judaïsme), et le christianisme, qui est seulement un système de croyance. Comme je l’ai dit précédemment, il n’y a aucun problème avec les juifs de la Torah appliquant leur système de croyance au conflit et à sa résolution. De manière similaire, il n’y a aucun problème avec les chrétiens faisant la même chose. Par contre, j’ai un problème avec les juifs laïcs qui ont bâti une idéologie exclusiviste centrée sur leur confrérie raciale imaginaire. Que penseriez-vous d’un « Aryan Voice for Peace » (Voix Aryenne pour la Paix), ou d’un « White Solidarity with Palestine » (Solidarité Blanche avec la Palestine) ? Ces groupes seraient-ils casher à vos yeux ?
Pensez-vous que les juifs américains déclarant « Pas en mon nom » peuvent apporter un changement politique positif ou être utilisés stratégiquement, d’une manière efficace, pour contrer les personnes – juifs et autres – qui soutiennent les transferts de fonds de l’État américain vers Israël ?
« Pas en mon nom » est une approche banale, qui consiste à fuir la réalité. Elle revient en gros à accuser les autres. En disant « Pas en mon nom (juif) », vous admettez que les crimes israéliens sont commis par les juifs et en leur nom. Si c’est ce que vous voulez accomplir, alors je ne peux que vous en féliciter. En fait, je suis même d’accord.
Je reconnais que j’adore la cuisine, la musique, la littérature et les vacances juives, le yiddish… et je suis tellement heureuse d’avoir une culture, si je la compare à celle de si nombreux Américains qui ont McDonald’s. Un monde sans cultures ne serait-il pas comme un grand McDonald’s ? N’est-il pas bon pour les gens de pouvoir avoir différentes cultures ?
Pour commencer, je respecte votre amour pour la culture et la cuisine juives, mais vous devez accepter que la soupe de poulet ne constitue pas exactement un argument politique. Essaieriez-vous de libérer les Palestiniens avec des boulettes de matza ?
J’adore vivre et faire partie d’une société multiculturelle. Je ne souhaite en aucune manière vous priver de votre culture et de votre héritage. Il est possible que l’élection juive que vous célébrez au sein de JVP soit supérieure à la « culture McDo ». Permettez-moi donc de vous demander : s’il est bon que vous aimiez la cuisine, la musique, la littérature et les vacances juives, est-il aussi casher que les Allemands, les chrétiens ou même les WASP aiment leur cuisine, leur musique, leur littérature et leurs vacances ? Seriez-vous prête à accepter que l’amour de votre propre culture soit une qualité universelle, ou est-ce un domaine « réservé aux juifs » ? Les Blancs peuvent-ils s’aimer eux-mêmes ? Dieudonné peut-il s’aimer lui-même en tant que Noir ? Je me pose la question, car le mouvement BDS a excommunié le célèbre écrivain français Jacob Cohen pour ses liens avec Dieudonné.
J’imagine que lorsque JVP et les juifs libéraux seront assez courageux pour répondre à ces questions, ils pourront être intellectuellement et moralement matures pour abandonner l’exceptionnalisme juif et rejoindre l’humanité pour de vrai.