Fondé pour donner aux musulmans de France une représentation officielle dégagée des influences étrangères, le CFCM (Conseil français du culte musulman) s’est désintégré à la veille de l’élection de son président. Dix ans après sa création par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur chargé des cultes, le CFCM, qui est plus déchiré que jamais, apparaît comme une juxtaposition de groupes de pression aux ordres des pays d’origine de leurs membres.
Cet échec illustre d’une manière criante une réalité obstinément niée par les hommes politiques français, à savoir que l’ « Islam de France » est un mythe. Les composantes musulmanes sont en effet à ce point diverses, les financements et les rattachements à des pays étrangers (Maroc, Algérie, monarchies du Golfe, Turquie etc.,) à ce point prégnants, qu’il convient en revanche de parler des Islams en France puisque les obédiences se font plus en fonction des pays d’origine des croyants que de la religion. Explication.
Pour tenter de comprendre les enjeux des élections au CFCM, il importe de savoir que :
1) Le président du CFCM est élu par un conseil d’administration de 90 membres dont 45 sont élus et 45 cooptés en fonction de la représentativité de quatre grandes confédérations qui sont :
le Rassemblement des musulmans de France (RMF), d’obédience marocaine ;
la Grande Mosquée de Paris (GMP), d’obédience algérienne ;
le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) ;
l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), vitrine des Frères musulmans. Puissamment soutenue par certaines pétromonarchies du golfe, par l’Égypte et dans une certaine mesure par la Tunisie islamiste, cette dernière organisation a boycotté les élections du 8 juin parce que le RMF et la GMP ont refusé que la présidence tournante soit assurée par un de ses membres.
2) Les actuels 45 membres élus du CFCM le furent à l’issue d’élections régionales qui se déroulèrent le 8 juin dernier. Elles furent remportées par le RMF d’obédience marocaine qui obtint 25 sièges sur 45.
3) À l’origine, le président du CFCM était élu pour six ans, mais, au mois de février 2013, afin d’éviter les conflits entre les diverses obédiences, une réforme du CFCM fut opérée, avec le choix d’une présidence tournante permettant théoriquement aux quatre grandes fédérations rassemblant tant les musulmans étrangers que les musulmans français d’exercer chacune à son tour ce mandat durant dix-huit mois.
4) Le nombre des sièges cooptés par les quatre grandes confédérations dépend de la surface des mosquées. Voilà pourquoi nous assistons aujourd’hui à l’explosion de demandes de créations de gigantesques lieux de culte, souvent sans rapport avec la population musulmane locale. La prise du contrôle du CFCM passe donc par le nombre de mètres carrés construits et comme les États du Golfe ont des moyens illimités, le CFCM sera mathématiquement tôt ou tard sous leur contrôle. Les municipalités qui délivrent de tels permis de construire seraient donc avisées de réfléchir à ce fait.
5) Les quatre grandes organisations sont contestées par une myriade d’associations régionales gravitant autour de mosquées indépendantes comme à Lyon, à Saint-Étienne ou dans la région grenobloise. Bien d’autres divisions existent qui viennent encore compliquer la notion même de représentation ou de représentativité de l’Islam en France. Ainsi à Marseille, où les nombreux Comoriens ne se reconnaissent pas dans ces grandes fédérations ; ou encore dans les régions de forte concentration de musulmans noirs originaires du sud du Sahara, dont l’islam est difficilement soluble dans celui pratiqué au Maghreb ou dans les pays du Golfe. Sans parler des Chiites qui ne reconnaissent aucune de ces diverses organisations sunnites…
6) L’actuel président du CFCM, M. Mohamed Moussaoui, d’origine marocaine, n’étant pas rééligible, la GMP espérait faire élire un des siens en la personne de Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, qui aurait ainsi pu revenir à la tête du CFCM. Il a préféré s’effacer devant Haffiz Chems-Eddine, un avocat parisien d’origine algérienne.
Or, cet homme d’influence présente deux grands défauts aux yeux des Marocains, donc du RMF : en plus d’être un important rouage dans le complexe jeu diplomatique franco-algérien, il est l’avocat du Polisario, mouvement séparatiste soutenu par l’Algérie et qui milite pour le démembrement du Maroc par la création d’un « État » du Sahara occidental. Au mois d’octobre 2012, au nom du Polisario, Maître Haffiz Chems-Eddine a ainsi introduit un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne siégeant au Luxembourg, contre un accord agricole signé entre le Maroc et l’Union européenne. C’est pourquoi l’opposition du Maroc et par conséquent du RMF à sa candidature est totale.
La crise au sein du CFCM est donc profonde et multiforme. En raison de leur diversité, de leurs oppositions et de leurs attaches avec des pays étrangers, les musulmans qui vivent en France, étrangers et nationaux, ne constituent pas un ensemble homogène susceptible d’être organisé d’une manière « géométrique ». Voilà pourquoi la notion même d’Islam de France est une aberration.
Avec le CFCM, héritant d’un processus mis en place par Lionel Jospin, Nicolas Sarkozy pensait pouvoir exercer un certain contrôle sur les groupes islamistes en regroupant tous les musulmans au sein d’un même organisme engerbant leurs diversités. Il aurait pourtant dû savoir que l’unité des musulmans n’existe plus depuis 661, date de la mort d’Ali, dernier des quatre califes dits « bien guidés ». Ibn Khaldoun disait à ce propos que « les musulmans se sont à jamais mis d’accord à ne jamais se mettre d’accord ».
C’est d’ailleurs pour en finir avec la division, la fitna, qui ronge le monde musulman que les fondamentalistes ensanglantent le monde, voulant imposer un retour aux sources du califat universel, époque mythique de l’unité.
Bernard Lugan, le 23 juin 2013
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