On doit à l’historien/théologien Fabrice Bouthillon un essai intéressant (Nazisme et Révolution), consacré à proposer une « interprétation théologique » de l’histoire moderne (au sens de : 1789-1945).
Bien que germaniste et frotté de Spengler, l’auteur ne maîtrise néanmoins pas le concept d’Occident [1], et produit donc une réflexion très typiquement catholique [2], à la fois presbyte et myope. Presbyte, elle se perd tantôt dans des abstractions pan-humaines [3] projetant la philosophie scolastique non seulement en deçà de la scolastique elle-même et d’Augustin dans l’histoire chrétienne, mais même au-delà du Christ dans l’histoire humaine [4], pour tantôt hypostasier des moments de l’histoire occidentale (en l’occurrence, le IIIe Reich [5]), élevés à une signification pratiquement intemporelle, ou dépassant, en tout état de cause, de loin celle qu’on peut leur assigner à partir d’une lecture de l’histoire événementielle respectueuse de l’immanence.
L’essai, malgré tout brillant, de Bouthillon se signale, entre autres, par une tentative de réutilisation philosophico-historiographique – dans le sillage de K. Schmitt – du concept théologique (plus exactement : eschatologique) de Katechon : cette force d’une valence ambiguë qui, dans l’idéologie de la Culture magique, est censée ajourner la venue de l’Antéchrist – mais, par conséquent, aussi celle du Messie et de l’imam caché, et donc du paradis des justes.
Cette métaphorisation historique du Katechon est d’autant plus intéressante qu’elle est grossièrement contemporaine de celle que tentait, plus ou moins au même moment, mon maître A. Douguine [6], pour qui – l’Antéchrist étant assimilé à la Modernité, destructrice du monde traditionnel – le rôle du Katechon va échoir à la pseudo-Sainte Russie « à Papa et Maman » [7] du successeur légitime de Boris Eltsine. Dans le discours douguiniste, cette modernité est souvent dite « occidentale », mais sans que le concept d’Occident soit beaucoup mieux circonscrit que chez Bouthillon – de façon à ce que le Katechon douguinien puisse (dans le meilleur des cas) n’être autre qu’une résistance rouge-brune [8] dont les bases politico-anthropologiques restent, en réalité, parfaitement occidentales, et donc parfaitement modernes (quoique subjectivement distordues) [9].
Le Katechon comme Négatif
À partir, en revanche, du moment où le concept occidental est bien maîtrisé, pour peu qu’on saisisse l’idée centrale de son axiologie, ainsi que de celle de la culture (magique) qui a précédé l’Occident sur les lieux de sa naissance, comme une idée sotériologique, une lecture eschatologique (c’est-à-dire, pour l’essentiel, dans les termes de la Culture magique) de l’Occident devient possible. C’est dans un tel cadre (méta-douguinien, si j’ose dire) que la dimension luciférienne du Progrès comme idole de la Modernité occidentale devient interprétable au-delà de la rhétorique des valeurs. Car, avant et au-delà de toute valence morale, le Progrès, c’est avant tout le salut immanent, donc le faux salut, donc l’Antéchrist [10].
Le Katechon, du coup, devient métaphore efficace pour la conceptualisation de l’ensemble des forces qui, au sein de l’histoire de l’Occident comme espace-temps, se sont opposées à l’avènement de l’Occident comme projet politico-anthropologique, c’est-à-dire comme Modernité et Progrès. Mais, loin de présenter le caractère massif que Douguine attribue à la fois à l’univers prémoderne, à la Modernité elle-même et à son Katechon des steppes, les forces dont il est ici question se sont manifestées sur le mode de la successivité, et sous la forme de moments hégéliens, selon une sorte de translatio imperii conditionnée par un mécanisme paradoxal : là où ce Katechon conservateur se manifeste avec le plus de force, il crée les conditions de l’épisode suivant dans la série (anti-katéchonique, si j’ose dire – ou, plus simplement : révolutionnaire) des moments de forte accélération de la dynamique du Progrès – si bien que le réactionnaire d’hier devient le trublion à surveiller d’aujourd’hui, quitte à le faire surveiller par ceux-là mêmes qui inspiraient encore des inquiétudes audit trublion, quand il était encore réactionnaire.
Il s’agit, en d’autres termes, d’une dialectique au sens hégélien, dans laquelle la synthèse d’aujourd’hui sera la thèse de demain – le rôle du Katechon étant, bien évidemment, celui de l’antithèse, l’un et l’autre étant caractérisés par l’ambigüité fondamentale du négatif, qui – en termes subjectifs, tout du moins – a pour fonction de faire advenir ce à quoi il pense s’opposer.
Genèse de la dialectique occidentale
Revanche de l’Église contre un pouvoir nobiliaire/guerrier qui, dans l’Europe proto-occidentale (le haut Moyen Âge) l’avait longtemps, faute de structures impériales, tenue en échec, l’idéologie du Premier Occident [11] crée la figure de l’intellectuel, qui s’appuie sur le remplacement du fatalisme de l’ère islamo-orthodoxe par un axiome d’intelligibilité des décisions de la Providence.
Ce trait de la genèse occidentale sera lourd de conséquences, notamment, sur la détermination idéologique du négatif (d’autres diraient : de la Droite) à travers les âges : toujours plus proche, en fin de compte [12], du sabre que du goupillon, la Droite, comme parti de la Réalité, fait toujours plus de concessions à la vision polémique de l’existence – qui implique notamment la nécessité de l’égoïsme collectif, et celle de l’ennemi. Égoïsme de l’État (Deuxième Occident, avant tout français) ou de la nation (Troisième Occident, avant tout allemand), ennemi géopolitique (paradigme westphalien) ou national (épopée napoléonienne), et donc finalement racial (du point de vue de l’hitlérisme comme avatar final du paradigme nationaliste). Pour les mêmes raisons, l’irénisme (avec le cortège de massacres qu’il ne manque jamais de provoquer) est un trait structural de toute gauche occidentale.
Mais revenons au bas Moyen-âge. L’intelligibilité des décisions providentielles étant un mythe, l’interventionnisme socio-politique de l’Église qu’elle encourage débouche sur la Réforme – laquelle, dans un premier temps, conserve ce mythe, mais en le dispersant : divers princes peuvent désormais adosser leurs ambitions mondaines à la bénédiction de diverses églises, et le dernier des duchés peut devenir le théâtre d’une guerre sainte. Ceux dont l’ambition aurait été de reconfiner Rome dans le transcendant auront obtenu l’effet inverse : la sainteté immanentisée se propage, et plus aucun monarque oint ne se laissera intimider par des bulles d’interdiction de l’arbalète.
1648-1789 : le Katechon français
Des guerres de religion à la guerre de Trente Ans, ce grand désordre discrédite par la catastrophe l’ordre aristocratique hérité du Premier Occident (et, au-delà, de l’Europe proto-occidentale) : essor de la France, qui doit au centralisme monarchique de ne pas avoir connu le sort de l’Allemagne à la même époque [13]. Tout en s’accrochant bec et ongles, dans l’idéologie, au principe monarchique (tempéré par tant de constitutions dans le monde anglo-saxon), la France du centralisme absolutiste tire mieux que quiconque les leçons du traité de Westphalie. Elle est donc – conformément aux vœux tardivement réactionnaires de Louis XIV – la puissance katéchonique de la séquence 1648-1789 : celle que les intellectuels trop lucides de l’époque doivent fuir vers le nord protestant pour pouvoir tirer les leçons d’une immanence préparatrice de 1789.
Car, en refusant de laisser la bourgeoisie s’autogérer partiellement comme chez les protestants, Louis XIV et ses descendants ont empêché la dépolitisation maritime de la dialectique occidentale, telle qu’on l’a observée dans le même temps chez les Anglo-Saxons. Comme la Russie conservatrice du XIXe siècle, ils ont créé une classe inutile, privée de fonction sociale par la massification/professionnalisation de la violence militaire, et jouissant de ses privilèges en vertu du seul prétexte idéologique de l’identité dynastique aristocratique, dont la clé de voûte – via la monarchie de droit divin – était le maintien du théisme, donc de la superstructure idéologique héritée du Premier Occident.
C’est ainsi qu’émerge l’État moderne, encore discursivement appuyé sur l’interprétation théiste de l’intérêt commun, héritée de la prise de pouvoir cléricale qui avait créé le Premier Occident. Mais, comme l’unicité impériale de la foi a éclaté comme avait éclaté celle de l’Empire terrestre en Occident (en dépit des remords tardifs d’un Louis XIV), tous les esprits réellement contemporains de leur époque comprennent bien que c’est le cuius regio qui l’emporte sur le eius religio – en d’autres termes : que le théisme n’est plus que le déguisement théocratique d’une religion de l’immanence, qui n’ose pas encore dire son nom.
Simplement, alors que, dans le monde anglo-saxon, cette contradiction est vite diluée dans le dépassement de facto de l’Occident via la conquête coloniale (par le biais de laquelle les chrétiens deviennent les Blancs), en Europe de l’Ouest continentale, il n’y a pas d’échappatoire – il y en a même d’autant moins là où le Deuxième Occident a le mieux fonctionné, en paralysant à la fois l’essor industriel et l’expansion coloniale : en France, où le centralisme, de plus, ne permet pas à la diversité bien réelle des territoires de jouer le rôle de soupape qui a permis à l’Allemagne (au grand dépit de Hegel et Fichte) de rester jusque-là [14] en marge de la dialectique.
1815 – 1945 : le Katechon allemand
Ils ne perdaient rien pour attendre. Les Anglo-Saxons s’étant, pour ainsi dire, absentés d’Occident dès la proclamation des monarchies constitutionnelles [15] – et avant tout du fait de leur essaimage planétaire à la faveur de l’aventure coloniale –, une fois la France matée pour avoir osé être le théâtre du conservatisme le plus aveugle et (donc) de l’aggiornamento le plus radical, c’est à l’Allemagne de la remplacer dans ce rôle – mission dont elle s’acquittera (de plus en plus intensivement) de 1815 à 1945.
Tout comme la Révolution française avait été une conséquence inéluctable du traité de Westphalie, 1914-17 sera une conséquence inéluctable du congrès de Vienne : à Vienne, les pragmatiques, sous l’égide du concept de Sainte-Alliance, confient à des structures de facto westphaliennes le soin d’organiser le containment de la France en tant que cette dernière incarne le péril révolutionnaire. L’Europe bourgeoise du XIXe siècle – alors même qu’elle voit s’affirmer les classes sociales, par définition urbaines et post-nationales – joue au westphalisme (c’est-à-dire au Deuxième Occident), exactement comme la France des Bourbons a joué au Premier Occident (Clovis à Perruque et courtisanes) jusqu’en 1789. Avec des résultats très semblables.
La séquence 1814-1917 peut donc être lue comme une nouvelle séquence katéchonique, au cours de laquelle l’Allemagne (incarnée d’abord par Metternich, puis par Bismarck, et finalement par Ludendorff) s’emploie à convaincre l’Europe de tourner le dos à sa propre conscience historique, en considérant l’épiphanie hégélienne de 1789 comme un accident regrettable et oubliable. En termes psychanalytiques, l’Allemagne peut alors être décrite – tout comme la France des Bourbons – comme une puissance de refoulement.
Précisons néanmoins que, cette fois-ci, l’accaparement national de la dialectique est plus imparfait : tandis que l’Allemagne rhénane et hanséatique reluque vers le monde des protestants maritimes, la Prusse et les Habsbourg – dès 1815, mais surtout en 1848 – ont de plus en plus besoin d’une autre nation hybride (la Russie) pour maintenir l’ordre européen.
Or, le mélange d’extinction étant une fois de plus obtenu à partir de dérivés des combustibles de l’incendie (provisoirement privés de comburant), le résultat de cet effort apparemment réactionnaire, c’est le nationalisme, qui produit en 1914 – paradoxalement, à partir surtout des pays qui s’étaient le plus acharnés contre l’incendie de 1789 – très exactement l’embrasement que le congrès de Vienne s’était ingénié à rendre à jamais impossible.
Ainsi, comme la Sainte Russie n’est que le cache-sexe idéologique d’une Russie de facto westphalienne créée par Pierre le Grand, la droite russe, atteinte d’une maladie auto-immune mortelle, lance en 1914 la Russie dans une guerre considérée comme un moindre mal en comparaison du péril révolutionnaire – et qui débouche, tout naturellement, sur la transformation de cette angoisse en réalité (1917) – de même que le spectre de la guerre sainte conjuré par le traité de Westphalie était réapparu sous une forme encore bien plus radicale sous les traits du fanatique religieux post-théiste Robespierre.
Au terme des deux séquences, ce sont les pays qui incarnaient le mieux l’idéal du ralentissement (la France d’Ancien Régime, la Prusse et la Russie du XIXe siècle), tel que les traités successifs le manifestent, qui finissent par servir de détonateur et de théâtre au grand coup d’accélération. À ceci près que, dans le cas de l’Allemagne, la détonation – du fait de la défaite de 1918, du mythe du coup de poignard et de l’absence de réel turnover élitaire allemand à ce moment – se fait en deux temps : 1933 rejoue 1871, pour que 1939 puisse rejouer 1914, et 1945 à Berlin, le 1917 de Petrograd.
1945-1991 : enrayement de la dialectique
Du coup, en 1945, les produits de 1789 sont devenus (abstraction faite des débuts de la décolonisation) mondiaux – la guerre froide étant, pour l’essentiel, un affrontement mondialisé des jacobins globalisés (sous bannière soviétique) et des girondins globalisés. Elle s’achève par une victoire à double fond d’un Occident néo-girondin dominé par une élite (trotskyste) issu du jacobinisme, mais aliénée au soviétisme par l’épisode stalinien.
Si, à la tête de l’Occident, les « impérialistes » et autres « néo-con » avaient pu garder la main après la fin de guerre froide, on aurait pu imaginer la dialectique occidentale se reproduisant à une échelle globale : un nouveau bastion de la modernité radicale apparaissant en Asie (a priori, à partir de la Chine communiste), rencontrant l’opposition de la thalassocratie qui avait déjà tenu en échec Napoléon et Staline, et leur conflit créant au sein de l’Occident global (historique + pigmenté) un désordre comparable à celui de la guerre de Trente Ans, de l’épisode révolutionnaire/napoléonien ou de la « guerre civile européenne » de 1914-45 – perturbant suffisamment la confiance en soi d’acteurs par ailleurs suffisamment uniformes idéologiquement pour pouvoir décider de s’attabler ensemble aux négociations d’un nouveau traité (sur le modèle : Westphalie, Vienne).
Mais la guerre froide n’est jamais devenue brûlante. À la différence des séquences 1517-1648, 1789-1815 et 1914-45, les acteurs tout désignés du conflit gémellaire suivant ont préféré se parler. De ce fait – en dépit d’une tentative de réchauffage de dernière minute actuellement en cours en Ukraine – la dialectique de l’Occident, depuis 1956 [16], ne trouve plus de nations pour l’incarner.
Staline a été le dernier souverain de l’Occident (périphérique) à croire à la possibilité d’un djihad national – associant de façon paradoxale les éléments de deux crédos transfrontaliers (le panslavisme et le socialisme) dans une resucée du nationalisme maçonnique de Napoléon [17]. Alors même que, en-dehors de l’URSS stalinienne et des territoires qu’elle contrôle, la sous-séquence 1936-1945 était déjà marquée par une très nette domination de la détermination idéologico-universaliste sur la détermination nationale dans l’ethos de ceux qui désiraient réellement en découdre.
C’est donc bien la désaffection post-nationale des masses occidentales qui permet la collusion post-nationale des élites pan-occidentales (Occident historique + Occident pigmenté). C’est parce que l’Occident est déjà terminé – décès paradoxalement acté par ceux du barbare germain Hitler et de son ennemi et allié juré, le kartvèle russisé Djougachvili – que Davos peut apparaître.
1972-2020 : le vrai-faux dépassement kissingérien
Principal artisan de cette neutralisation (précoce ?) de la dialectique occidentale à l’étage des hommes de pouvoir, H. Kissinger est d’ailleurs partiellement conscient du problème : mobilisant constamment le souvenir de Münster (paix de Westphalie) et de Vienne (son sujet de thèse), il est pourtant bien conscient du fait qu’à la différence de 1648 et de 1815, les négociations qu’il dirige à partir de la fin des années 1960 et qui (à travers Davos) sont encore en cours aujourd’hui ne rassemblent pas des protagonistes dont les ancêtres seraient revenus ensemble des croisades. Croisades auxquelles, soit dit en passant, ses propres ancêtres n’étaient pas invités non plus – en ayant même plutôt, par ricochet, fait les frais [18].
Mais cette lucidité est de celles qui rendent plus facile de se tromper (au sens le plus littéral de l’expression). Le néo-kantien Kissinger a-t-il bien conscience de ce qu’il a fait en postulant une perpétuation post-dialectique et post-nationale [19] de l’Occident ? Les post-nationaux et « pré-nationaux » [20] parlent-ils vraiment la même langue ?
Kissinger a bien conscience (et doit, en homme des Lumières, être assez fier) d’avoir fédéré au sein des élites occidentales le camp des fossoyeurs d’une certaine forme d’Occident : celle qui le rendait encore capable d’égoïsme collectif – à la fois interne (rivalité des États-nations) et externe (épopée coloniale).
Et, comme aucun des égoïsmes collectifs de l’immanence extra-occidentale n’a pour l’instant réussi à accéder à une conscience culturelle de lui-même, il pense (avec toute la domesticité intellectuelle de Davos) que le lendemain de ces funérailles ne peut être que le début de la fin de l’Histoire. De l’histoire humaine, évidemment, puisque identifier l’histoire de l’Occident en tant que telle reviendrait à admettre la possibilité que cet optimisme ne soit qu’une illusion tragique (la dernière illusion occidentale : l’illusion du mourant). De ce point de vue, la Weltanschauung de Kissinger – matrice de celle des rares davosiens intellectuellement sérieux – peut être décrite comme un dernier universalisme, ou encore comme un dernier absolutisme historique – si l’on désigne par cette expression une vision unificatrice de l’histoire humaine, ignorante (par choix ou par nécessité) de la leçon relativiste de Spengler.
Conclusion : eux ou nous
Le revers de l’erreur complaisante de Kissinger, c’est Køvíd, comme prise de conscience hégélienne du fait que, dès qu’on comprend la notion d’Occident, on comprend simultanément et nécessairement :
1) Que c’est fini.
2) Qu’il n’y a pas de nécessité intemporelle de l’Occident : tout ce qui l’a précédé n’a pas existé dans le dessein exclusif de le faire apparaître, et tout ce qui le suivra n’est pas forcément prédictible à partir des prémisses de sa propre idéologie.
En d’autres termes : que ce soit vrai ou non d’autres cultures, le fait que des Occidentaux parviennent à comprendre (dans tous les sens du terme) le concept d’Occident implique que ce dernier a déjà quitté le présent.
Objectivement aussi post-occidentale que Køvíd lui-même, la doctrine davosienne reste donc subjectivement occidentale, en cela qu’elle postule l’unicité doctrinale (autour du totem Progrès) de l’Occident historique et de l’Occident pigmenté – alors même que le seul point programmatique sur lequel les élites de ces deux sphères imbriquées sont capables d’un accord stratégique sincère est l’élimination des Blancs, dont le discours onusien reconnaît presque ouvertement qu’ils doivent être brimés dans le cadre des politiques décoloniales – ce qui revient aussi implicitement, pour le cas où ils auraient des objections à formuler à l’encontre de ce programme, à faire de leur anéantissement biologique une perspective historique acceptable.
En ce sens, la chute des Katechons successifs (le dernier – pour l’essentiel – en 1945) ouvre bien la voie à l’avènement de l’Antéchrist Progrès comme synthèse finale de la dialectique occidentale. Et, dans la mesure où l’homme blanc est le support biologique de cet avènement, le schéma eschatologique impose effectivement sa mise à mort dans la mesure où il ne sera pas capable de s’abjurer lui-même en tant qu’Occident.
C’est du moins ainsi que, dans le langage théologique hérité de la Culture magique, on peut reformuler cette vérité simple, dont l’énoncé, dans un français plus quotidien, serait que : l’homme européen peut survivre à l’effondrement du monde occidental, à condition de renoncer à l’universalisme et au progressisme.
Mais cette reconquête du nécessaire égoïsme collectif ne peut pas faire l’impasse sur la nécessité d’instituer un néo-ostracisme à l’encontre des élites davosiennes pan-occidentales, à titre de légitime défense de l’homme européen : règle bien entendu non universalisable, et qui ne relève donc pas du droit au sens de la tradition juridique romaine et chrétienne. Loin de découler de quelque tradition (occidentale ou autre) que ce soit, cet ostracisme sera – s’il doit advenir – l’acte fondateur d’une nouvelle Culture – si tant est qu’elle doive advenir.
On peut donc filer plus avant la métaphore eschatologique : il y aura bien, en tout état de cause, un corps sacrifié (au sens politique) de l’Antéchrist occidental. Reste à décider : le corps de qui ?