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L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

par Bernard Lugan

La nouvelle selon laquelle le colonel Kadhafi aurait ordonné à son armée de se retirer de la ville de Misrata pour y confier le rétablissement de l’ordre aux tribus qui lui sont loyales, permet de mettre en évidence la grande réalité tribale sur laquelle repose la vie sociale libyenne [1].

Le problème, lorsque l’on parle des tribus de Libye tient au fait que nous sommes en présence d’ensembles divisés en une infinité de clans et de sous clans aux alliances fluctuantes et aux zones d’habitat mouvantes. On recense ainsi environ 150 tribus et clans dont la plupart vivent éclatés sur plusieurs régions et dont les intérêts sont régulièrement contradictoires. Ces tribus ne constituent pas des blocs homogènes unanimement rangés dans un camp ou dans l’autre. Ainsi, au sein même des Gaddafa, la tribu du colonel Kadhafi, l’un des cousins de ce dernier, Ahmed Gaddaf al-Dam est passé chez les insurgés. S’agit-il d’une adhésion sincère ou d’une habitude bédouine de ménager une porte de sortie pour les siens ? L’histoire le dira.

Entre ces tribus et ces clans, les apparentements familiaux sont étroits, ce qui fait qu’en dépit des combats, les liens qui ne sont jamais rompus peuvent donc être renoués à tout moment. Deux exemples :

1) Les liens historiques et matrimoniaux entre la tribu des Gaddafa et certaines composantes des Warfallah sont anciens. Au mois de mars 2011, quand une majorité de clans warfallah abandonna le colonel Kadhafi, le chef de la branche warfallah de Beni Wallid « capitale » historique des Warfallah déclara qu’il ne considérait plus Kadhafi comme un « frère ». Certes, mais les liens du sang demeurent qui permettront, un jour, de procéder à des retrouvailles…

2) Toujours au mois de février, Seif al-Islam, fils du colonel Kadhafi, prononça un discours télévisé dont la portée a échappé à bien des observateurs. S’adressant aux rebelles de Cyrénaïque, il parla de ses « oncles d’el Baida », un des bastions de l’insurrection et centre de la tribu des Barasa. La raison de cette adresse était claire : le coeur de la confédération tribale de Cyrénaïque est la tribu Barasa, celle de l’ancien roi Idriss ; or, la seconde femme du colonel Kadhafi, Safeya Farkash al-Baraasa, mère de Seif al-Islam, est une Barasa. En parlant à « ses oncles d’el Baida », Seif al-Islam tentait donc de rallier le lignage de sa mère au régime de son père.

Pour ce qui est des grandes tribus, à la date à laquelle ces lignes sont écrites (24 avril 2011), la situation est la suivante :

Les Warfallah (Werfella) qui forment la principale tribu de Libye et qui sont divisés en plus de 50 clans que l’on retrouve dans toute la partie septentrionale du pays, avec une assise en Cyrénaïque dans la région des villes de Benghazi et de Dernah, mais qui sont également présents en Tripolitaine, se sont majoritairement rangés dans le camp des rebelles. Plusieurs de leurs clans, notamment une partie de ceux résidant en Tripolitaine sont cependant demeurés loyaux au colonel Kadhafi. Pour mémoire, l’opposition entre certains clans warfallah, essentiellement ceux de Cyrénaïque, et le régime libyen, remonte à l’année 1993 quand plusieurs dizaines d’officiers accusés de complot furent arrêtés et certains exécutés.

L’ensemble Maghara (al-Maghara) de Tripolitaine est en majorité demeuré fidèle au régime du colonel Kadhafi. Quant aux tribus du Sud, elles n’ont pas la même importance démographique que celles du Nord, mais elles sont demeurées loyales. Elles auraient à craindre des représailles de la part des insurgés de Cyrénaïque si ces derniers étaient vainqueurs car elles ont fourni au colonel Kadhafi ceux qu’ils nomment les « mercenaires », alors qu’il s’agit largement de Libyens « noirs », à commencer par les Toubou du Fezzan.

Pour ce qui est des tribus berbères ou dites berbères, soit entre 10 et 15 % de la population totale, la situation n’est pas homogène. Il est important de rappeler que le fond de la population de Libye est Berbère (Amazigh) et que son arabisation s’est produite aux XI-XII° siècles, sous les Fatimides d’Egypte, avec l’arrivée des tribus bédouines arabes Beni Hilal et Beni Salim.Les Touaregs qui sont des Berbères, soutiennent le régime Kadhafi tandis que les Berbères de l’Ouest, notamment ceux de la région du djebel Nefusa et de la ville de Zwara vers la frontière tunisienne, comme d’ailleurs ceux de l’Est se sont clairement rangés du côté des rebelles.

[1] 15 % seulement de la population du pays est détribalisée et vit en majorité dans les villes de Tripoli et de Benghazi (Al-Haram Weekly).

 
 






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7 Commentaires

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  • #11297
    Le 25 avril 2011 à 22:46 par Mansur
    L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

    Intéressant mais il est largement contredit par la génétique lorsqu’il affirme que "le fond de la population lybienne est berbère" (chose vraie pour le Maroc et l’Algérie et peut être aussi pour la Tunisie). D’un point de vue ethnique, la Lybie serait justement le pays le plus arabe de l’Afrique du Nord (bien plus de la moitié de sa population serait racialement arabe). L’histoire de l’arabisation de la Lybie est différente de celle du Maghreb de l’ouest.

     

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    • #11319
      Le Avril 2011 à 00:45 par mahmoud
      L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

      Je suis Algérien ..

      et je trouve cette arabisation du Maghreb qu’on attribue toujours à quelques milliers de Banu Hilal complètement tirée par les cheveux ..

      qu’en est il alors de l’arabisation de l’égypte, de la syrie, de la palestine , de l’irak , etc ?

      la diffusion de la langue arabe s’est fait comme la diffusion du latin pendant l’antiquité .. c’est une langue universelle qui se diffuse partout dans le monde islamique de l’époque. ça n’a pas de rapport avec un transfert de populations arabes vers ces pays là .

       
    • #11378

      petite rectification anodine : maghreb se traduit par "l’ouest", donc le "maghreb de l’ouest" est un pléonasme.

      De plus, c’est indéniable que la lybie est, à la base, amazigh, c’est même un grand pays amazigh, qui a donné, comme l’algérie, de grand administrateurs grecs et latins.

       
    • #11379
      Le Avril 2011 à 12:02 par Mansur
      L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

      Ce que tu dis est à la fois vrai et faux. Premièrement, être arabe aujourd’hui et depuis des siècles, ce n’est pas forcément être arabe par le sang. Est arabe qui est de sang arabe ou qui est de culture/langue arabe. La majorité des Arabes d’aujourd’hui, excepté en péninsule arabique et certains pays limitrophes, sont soit mélangés, soit des autochtones arabisés. C’est un peu comme les Latins, mais en plus fort : les Espagnols, les Italiens, les Français, etc. sont des Latins, pourtant la plupart du temps ils n’ont rien à voir entre eux sur le plan racial. Le Maroc et l’Egypte, qui comptent parmi les pays arabes les plus important, sont pourtant très peu arabes d’un point de vue racial : la grosse majorité des Marocains sont de race berbère et la plupart des Egyptiens descendent des Egyptiens antiques qui forment une race à part entière. La plupart de ces derniers pensent pourtant être de race arabe, ceci est dû à la force assimilatrice de la civilisation arabe (chose qui n’atteint pas ce degré dans la civilisation latine par exemple), des pactes passés entre les tribus arabes et les autochtones durant le Moyen Âge et bien entendu à la ressemblance physique souvent forte entre Berbères, Egyptiens et Sémites (qui formaient à la base, comme l’explique Bernard Lugan, un seul et même peuple avant de se séparer entre proto-Berbères, proto-Egyptiens et proto-Sémites).

      Ceci dit, il y a quand même de grosses minorités racialement arabes au Maghreb, en Egypte, au Liban, etc. Toutes les études génétiques le confirment. Pour ce qui est de l’Algérie, d’après ce que j’ai pu lire, il y aurait entre 30 et 40 % d’Arabes "raciaux", ce qui est considérable, bien que beaucoup parmi eux soient à coup sûr mélangés avec d’autres peuples, notamment berbères. Ces Arabes descendent des tribus et hommes ayant fait souche lors de la conquête arabe (Idriss 1er par exemple), des tribus bédouines expédiées au Maghreb par le pouvoir fatimide dès le XIème siècle en guise de représailles et des Andalous fuyant la Reconquista espagnole ou expulsés à la suite de cette dernière (Andalous qui étaient très souvent d’origine arabe). Tous ces groupes ont contribué à l’arabisation culturelle du Maghreb. Au Maroc, il y aurait entre 5 et 15% d’"arabo-Arabes", ce qui est très peu, sachant qu’il y aurait environ 5millions de Marocains d’origine andalouse. Les Tunisiens seraient quant à eux, comme les Lybiens, majoritairement arabes racialement.

       
  • #11351
    Le 26 avril 2011 à 04:21 par anonyme
    L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

    Arabes ou berbères, on s’en fout..l’important c’est que nous sommes tous musulmans. (je parle des africains du nord).

     

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    • #11463
      Le Avril 2011 à 19:42 par Mansur
      L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

      C’est vrai mais c’est toujours énervant de voir des gens affirmer des bêtises telles que "il n’y a pas d’Arabes au Maghreb", "la race arabe n’est présente qu’en Arabie", etc.

       
  • #11398
    Le 26 avril 2011 à 13:44 par anonyme
    L’alchimie tribale libyenne – Le point de situation

    Excellent article de monsieur Lugan.

     

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