Récemment les médias occidentaux ont opéré un tournant radical à propos du wahhabisme. Ils en parlent ouvertement, alors que jusqu’ici ils faisaient silence sur cette doctrine. Cela signifie que les USA s’apprêtent à lâcher l’Arabie Saoudite et le Qatar. Cela fait des mois que je dis publiquement que l’Arabie Saoudite va bientôt imploser.
Le présent texte est une clarification s’appuyant sur de solides et incontestables documents et faits historiques ; loin du storytelling saoudien. Il s’est imposée à moi après qu’un certain nombre de jeunes musulmans, ayant acquis une éducation religieuse et des certitudes sur YouTube, m’ont réclamé des preuves quant à ce que j’avançais à propos de l’histoire et de la doctrine wahhabite, dont ils ignorent apparemment tout, s’accrochant à la fable que les wahhabites leur racontent, à savoir que Mohamed Ibn Abd al-Wahhab aurait revivifié la religion musulmane, qu’il aurait été un fondamentaliste ayant appelé les musulmans à revenir au véritable islam.
Je ne reviendrai pas ici sur l’alliance fondatrice entre Mohamed Ibn Abd al-Wahhab et la tribu des Saoud, les différentes phases d’expansion des wahhabo-saoudiens (du milieu du XVIIIe siècle à l’instauration du dernier royaume saoudite en 1932), les grands massacres qui les ont accompagnés [1] – qui ont servi de modèle à l’Armée syrienne libre (ASL), al-Nosra (al-Qaïda) et Daech… –, le soutien que les wahhabo-saoudiens ont reçu des Britanniques, puis des Étasuniens, combiné au sponsoring des pétrodollars, dans le but de faire de la doctrine wahhabite la nouvelle orthodoxie de l’islam. Sans oublier la façon dont les réformistes de l’islam, les disciples de Mohamed Abduh, dont Rachid Ridha (le maître de Hassan al-Banna), ont au préalable promu et légitimé, avec l’argent des Saoud, le wahhabisme dans les pays arabes.
Tout ceci je l’ai exposé dans mon ouvrage Occident et Islam – Sources et genèse messianiques du sionisme, en replaçant dans une perspective historique, eschatologique et géopolitique, le rôle du wahhabisme et du réformisme islamique, dont l’origine est, comme je l’ai expliqué, messianique.
Je me limiterai ici aux débuts du wahhabisme, à sa doctrine et à l’attitude des grands savants et muftis contemporains de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, afin de livrer un point de vu exclusivement islamique sur le wahhabisme.
Mohamed Ibn Abd al-Wahhab et sa doctrine
Mohamed Ibn Abd al-Wahhab [2] (1703-1792) est issu d’une famille de savants ; son père, Abd al-Wahhab, était un juge respecté auprès duquel il apprit les bases de la théologie, mais avant qu’il ne termine le cursus, il quitte sa terre natale (le Nadjd) afin de trouver des maîtres auprès desquels il pourrait étudier. Il se rend d’abord dans le Hedjaz (région de la Mecque et de Médine), revient chez lui avant de partir en Irak, à Bassora (ville majoritairement chiite). Après un séjour de quatre années, vers 1727, il en est expulsé, et retourne dans le Nadjd, dans la province de Huraymala, où se trouve son père.
Vers 1740 il rédige son plus célèbre ouvrage : Le livre de l’unicité divine (qui fait seulement 50 pages), et décide de prêcher publiquement, mais son père l’en empêche ; nous comprendrons par la suite pourquoi. Par ailleurs, la tradition voulait que le fils ainé du juge lui succède, or, le père de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab nomme à sa place son frère cadet, Suleyman, qui succède donc au père au poste de juge. De fait, Mohamed Ibn Abd al-Wahhab est désavoué par son père.
Si vous voulez, comme Olivier Cromwell (1599-1658) ou Ibn Abd al-Wahhab, imposer une nouvelle idéologie pour subvertir une religion majoritaire et bien établie, vous devez commencer par vous présenter comme étant un fondamentaliste – au sens du retour à la pureté originelle –, et dans le même temps, pointer du doigt vos « coreligionnaires » comme étant déviants au regard des fondements de la religion dont vous prétendez être le revivificateur et le représentant.
C’est précisément ce qu’a fait Ibn Abd al-Wahhab. Dans son ouvrage Le livre de l’unicité divine – pauvre du point de vu intellectuel et théologique –, il énonce des banalités relatives à l’unicité divine, dogme fondamental de la foi monothéiste dont tout musulman d’hier et d’aujourd’hui est familier. Mais le but du livre d’Ibn Abd al-Wahhab n’était pas, comme il le prétendait, de rétablir les fondements de la foi que les musulmans auraient oublié, mais plutôt, les accuser d’être des associateurs, des impies et des mécréants, avec pour objectif de leur imposer sa doctrine. Il accusera ouvertement les musulmans d’Arabie et des régions avoisinantes d’être des païens, des adorateurs des saints et de leurs tombeaux.
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Illustration : Abdel Aziz ibn Saoud, le roi d’Arabie Saoudite, en compagnie du président des USA, Roosevelt, à bord de l’USS Quincy en février 1945.