Avec l’aide des camarades de la section Economie naît une chronique bimensuelle sur la deuxième Grande Dépression, découpée en cinq épisodes quotidiens.
Pas de blabla : les faits, et une proposition d’interprétation. Nous commençons avec un état des lieux sur la première quinzaine de janvier 2009 : un tour d’horizon, pour se fixer les idées, en insistant sur l’aspect monétaire et financier, puisqu’à ce stade, c’est encore là que se trouve le cœur de la crise. L’objectif de cette première chronique est de cerner les enjeux principaux à court et moyen terme, enjeux que nous approfondirons dans les chroniques ultérieures. E&R
1.1
LE CHAPITRE MONÉTAIRE
a) Le dollar
Les faits : depuis septembre 2008, le dollar est en apesanteur. Son cours a été manipulé par la FED de Paulson, dans le cadre d’un très immoral mais très efficace travail d’ingénierie financière. Combinée avec le rapatriement de capitaux des hedge funds vers les USA, rapatriement dû au « deleverage », c’est-à-dire en fait à la couverture en catastrophe des pertes induites par le krach, cette manipulation géante a permis, pour l’instant, de maintenir la monnaie américaine à un niveau de cours assez élevé. Le dollar se tient aux alentours de 1 euro pour 1,3 dollar, la moyenne de son cours de ces trois derniers mois. Après avoir reculé de 20 % en quatre mois face au Yen, il semble stabilisé à un bas niveau.
Interprétation possible : le dollar se maintient pour l’instant parce que personne ne sait si la gestion Obama va déboucher sur l’hyperinflation ou sur la déflation d’actifs* à court terme, ni, surtout, si l’implosion financière des USA précèdera ou pas l’éventuelle explosion de la zone euro. C’est ce qui permet pour l’instant à la FED d’éviter l’implosion de la monnaie US, alors qu’objectivement, étant donné les fondamentaux économiques, cette implosion devrait être constatée aujourd’hui (voir ci-dessous). C’est donc une situation de calme avant la tempête. Logiquement, le dollar devrait imploser (sauf si l’euro le précède dans la tombe) avant fin 2009.
b) L’Euro et la Livre Sterling
Les faits : l’explosion de la zone euro, ou en tout cas son réaménagement, commencent à être ouvertement évoqués – officiellement, pour démentir les rumeurs à ce sujet. Deux pays européens ont en effet vu leur note dégradée récemment : la Grèce et l’Espagne. Cette dégradation n’est pas absurde, puisque ces deux pays sont effectivement très fragilisés financièrement (Grèce : 100 % de dette public/PIB, Espagne 6 % de déficit public prévisionnel en 2009, étant donné que l’économie sortira sinistrée de l’implosion de l’énorme bulle immobilière locale). Cependant, on s’explique mal pourquoi l’Italie (dette publique ingérable), ou la Grande-Bretagne (en route vers des déficits publics colossaux) n’ont pas vu leur note dégradée.
Interprétation possible : rappelons tout d’abord que les agences de notation ne disent pas ce qu’elles pensent qu’il va arriver, mais ce que leurs clients et donneurs d’ordre leur disent qu’il faut que le marché pense probable. Cette notation défavorable s’inscrit peut-être dans le cadre d’une guerre monétaire en cours entre les USA et l’Europe, la FED ayant intérêt à laisser planer des doutes sur l’avenir de l’euro, pour que le capital continue, contre toute logique, à se réfugier aux USA. La dégradation de leur notation va en effet renchérir le coût du crédit pour la Grèce et l’Espagne, déjà au bord de la faillite, ce qui revient à dire que l’agence Standard & Poors a en réalité passé le message suivant aux marchés : méfiez-vous de ces pays-là, nous allons les piller pour financer la faillite du système global. Ce qui n’enlève rien au fait que ces pays sont effectivement non fiables – et une autre interprétation est qu’il ne s’agit pas de tactique, mais simplement d’un constat de faillite.
c) Les autres monnaies
Les faits : le Yen est en croissance face à toutes les autres monnaies, ce qui est a priori surprenant, puisque l’économie de l’archipel nippon est en récession, et alors que les investissements japonais aux USA sont menacés par la potentielle faillite américaine. Le Yuan reste pour l’instant couplé au dollar.
Interprétation possible : la hausse du yen s’explique par la baisse des taux d’intérêt américains. Le Japon avait des taux d’intérêt bas, pour soutenir une économie en stagnation grâce à d’énormes disponibilités (la position extérieure nette du Japon est aussi positive que celle des USA est négative). Les investisseurs empruntaient donc au Japon, à taux bas, pour aller placer quasiment sans risque aux USA, à des taux relativement plus élevés. Du coup, le Yen a été structurellement sous-évalué face au dollar, depuis quelques années. Nous assistons au rattrapage de cette sous-évaluation, puisque les taux américains sont presque tombés à zéro.
Concernant le Yuan, il a cessé de s’apprécier face au dollar depuis quelques mois. Il y a eu des fluctuations annonciatrices d’une dévaluation compétitive potentielle au mois de décembre. Une interprétation possible est que Pékin, menacé par la perte de sa croissance tirée par l’export, refuse délibérément de poursuivre le mouvement de réévaluation. Une autre interprétation est que les manipulations de la FED pour faire remonter le dollar ont contrebalancé la poursuite de la politique chinoise de réévaluation progressive.
* Une déflation d’actifs, c’est ce qui se passe en période de crise de solvabilité. Crise de solvabilité : tout le monde a trop emprunté. Certains acteurs font défaut. Ils plantent tout le monde. Plus personne n’est solvable. Les emprunts ne peuvent plus être remboursés. Déflation d’actifs : les gens qui ne peuvent plus payer leurs traites sont obligés de vendre. Donc le marché est inondé d’actifs à vendre. Donc les prix des actifs baissent. Il y a donc "déflation d’actifs".