La mediasphère va-t-elle resservir le vieux plat black-blanc-beur, mitonné sauce 98, dans le micro-ondes du pathos multiculturaliste avec l’équipe nationale allemande de 2014 ?
Sauf que la Mannschaft n’est pas une équipe multikulti, n’en déplaise à l’improbable Domenach, qui tente déjà de nous repasser le disque rayé du métissage prodigue.
Même constat pour Zemmour, qui lui au contraire s’en désole, mais qui utilise le même prisme tout en l’inversant. Envolées lyriques grotesques contre déplorations surjouées. Où est le vrai dans ce théâtral numéro de claquettes ?
Rappel des faits : sur vingt-trois sélectionnés, seuls trois joueurs emblématiques sont réellement susceptibles d’être qualifiés en langage orwellien de représentants de la diversité.
Özil est d’origine turque, Boateng d’origine ghanéenne (son demi-frère Kevin-Prince évoluant d’ailleurs pour le Ghana, ô merveille du mondialisme !) et Khedira est d’origine tunisienne. Et si vraiment on souhaite pousser le bouchon, citons Klose (désormais meilleur buteur de l’histoire des coupes du monde) et Podolski, tous deux d’origine polonaise. À peine de quoi assurer la prochaine campagne d’affiches d’Olivero Toscani pour United Colors of Benetton…
Sentant bien que cette entourloupe idéologique usée jusqu’à la corde, bien qu’encore efficace auprès de certains bourgeois gogos, ne fonctionne plus auprès de populations européennes de plus en plus rétives aux injonctions conjuguées de Jacques Attali, Dany Cohn-Bendit, Aymeric Caron ou Jamel Debbouze, il faut donc trouver une justification sportive à ce fantasme.
« Si l’Allemagne développe aujourd’hui un beau jeu, c’est parce qu’elle bénéficie de l’apport de ces joueurs venus d’ailleurs », c’est en substance le commentaire rabâché ad nauseam par tous les thuriféraires du mélangisme heureux et obligatoire.
Effectivement, pour qui se rappelle des matchs proposés par la Mannschaft lors de la coupe du monde 90 et même lors de l’Euro 96 (l’Allemagne sortit vainqueur de ces deux compétitions), l’équipe nationale allemande de 2014 propose un jeu hors du commun qui n’a rigoureusement rien à voir avec les purges dont elle gratifiait les téléspectateurs durant la décennie 90.
Mais les causes profondes de ce nouvel essor ne peuvent s’expliquer sommairement à travers une grille de lecture ethnico-culturelle, mais bien plus en raison d’une refonte structurelle du football allemand.
C’est depuis la coupe du Monde organisée en 2006 en Allemagne que la Mannschaft offre à ce point un spectacle offensif, réjouissant et le tout sans avoir perdu son incroyable sens du réalisme, une vision tactique hors-pair, et une efficacité à toute épreuve. Ces dernières qualités faisaient déjà les beaux jours de la Mannschaft même quand celle-ci était absolument indigeste et rédhibitoire à regarder pour l’amoureux du beau jeu. Après avoir été sortie en quart de finale en 1994 aux États-Unis, et au même stade du tournoi en 1998, les dirigeants du football allemand ont décidé, eux qui étaient toujours habitués à se retrouver au minimum dans le dernier carré, à revoir totalement leur méthode d’organisation pour retrouver un niveau de compétitivité presqu’inégalable. Les huiles de la Bundesliga ont essayé de privilégier la bonne santé financière des clubs, un encadrement de haut niveau, des systèmes de formation novateurs pour les joueurs. On assista à une véritable révolution copernicienne dans l’univers du football allemand.
Les résultats ne se firent pas attendre. En 2002 l’Allemagne échoua en finale face au Brésil, en 2006 elle termina troisième de sa coupe du Monde, en 2008 elle fut finaliste malheureuse de l’Euro, en 2010 elle fut éliminée en demi-finale face à l’Espagne (future championne du Monde), en 2012 à l’Euro l’Allemagne perdit seulement en demi-finale face à la Squadra Azzura de Pirlo, et en cette année 2014 elle est une nouvelle fois finaliste. Leurs détracteurs répondront : « Ils sont toujours placés mais ils ne l’emportent pas. »
Certes. Mais combien de nations aimeraient se retrouver ainsi systématiquement dans le dernier carré des plus grandes compétitions du football mondial ? Et rien ne dit que ce dimanche ce ne sera pas enfin la bonne…
D’autres rétorqueront que Mesut Özil évolue à Arsenal en Angleterre, et Sami Khedira au Real Madrid et que la clef réside dans ce nomadisme footballistique. Sauf que là encore, la vérité est plus complexe : la colonne vertébrale de la Nationalmannschaft est composée très largement de joueurs du Bayern Munich. Si influences il y a dans tout cela, elles sont européennes et uniquement européennes. En effet, depuis l’arrivée du Catalan Guardiola à la tête de l’équipe bavaroise [1], le Bayern propose un spectacle rappelant celui du Barça, lui-même hérité de l’école Cruyff, prodige de la fabuleuse équipe des Pays-Bas des années 70. Mais ce type de constatations intéresse beaucoup moins les chantres du cosmopolitisme intégral.
L’idéologie s’insinue si sournoisement qu’elle en viendrait presque à dégouter les amoureux du ballon de l’enthousiasmante Mannschaft et pousserait même à souhaiter secrètement la victoire de la morne cuvée 2014 de l’Albiceleste [2]. Preuve s’il en est encore besoin que ces « élites » dogmatiques nous refluent constamment vers le médiocre.
Une pièce de plus à porter à leur acte d’accusation.
Maurice Gendre, 12 juillet 2014