Ce livre aurait pu s’intituler Voyage au bout de l’ennui. Car dans une société gouvernée par le capital, c’est bien de lui que les jeux vidéo tirent leur attrait et leur profit : « Notre ennui est tel qu’il finit par devenir un nouveau marché solvable, une perspective de croissance ».
Ainsi, le capital crée le remède, immédiat, mais chimérique, à la maladie qu’il a lui-même engendrée par le désenchantement du monde, sa soumission à l’économie, le délitement des solidarités naturelles, la concurrence acharnée et la solitude qui l’accompagne. Suivant sa nature profonde, il récupère tout, le digère et en extrait des produits ; le jeu vidéo n’échappe pas à cette loi. Mais les jeux en ligne dont il est question dans cet ouvrage vont beaucoup plus loin : alors qu’ils semblent proposer une échappatoire à une réalité dont on n’arrive plus à se saisir, ils n’en sont que des avatars qui, par leur simplicité d’accès, le rétablissement de communautés et de rôles sociaux, donnent l’illusion de vivre.
Au cours de son voyage, le gamer découvrira les mêmes émotions et réalités sociologiques qu’in real life, celles derrière lesquelles il soupire, mais également celles dont il cherche à se soustraire : solidarité, stratégie de groupe, objectif commun, amitié peut-être, mais aussi trahison, volonté de domination, désignation d’un bouc émissaire, perversion. Et tout au bout, le vide.
Adrien Sajous, né en 1989 en France, a été lui-même pendant une quinzaine d’années un gamer. Titulaire d’un BTS industriel et d’une licence en Sciences humaines et sociales, il découvre Marx, Debord et Francis Cousin, prend conscience de son aliénation et s’éloigne petit à petit du jeu pour plonger dans la lecture. Partant de quelques idées jetées sur le papier, il finit par développer une analyse entière et radicale du fonctionnement du virtuel à travers sa substance capitaliste, jusqu’à l’écriture de ce livre, devenue à ses yeux nécessité. Pour ne plus être dupe.