Ayant passé une partie de ma vie à soutenir l’Irak dans ses combats, je ne pensais pas aller un jour en Iran. Aussi, lorsque j’ai reçu un courriel m’invitant à participer fin octobre dernier à la conférence des « Penseurs et des cinéastes indépendants », organisée par l’ONG New Horizon à Téhéran, j’ai cru qu’il s’agissait d’une plaisanterie… J’ai remercié les organisateurs et leur ai demandé de consulter ma biographie sur Wikipédia pour vérifier s’ils ne s’étaient pas trompés !
C’était bien une invitation. La réponse est arrivée le jour même par la voix de Hamed Ghashghavi, coordinateur de l’opération, qui m’a dit dans un français impeccable : « Nous savons qui vous êtes, nous connaissons vos engagements, venez si vous êtes intéressé, vous êtes le bienvenu… »
J’y suis allé, via Dubaï, la ligne Paris-Téhéran étant fermée à titre de sanction contre l’Iran. Cela me rappelait les treize ans d’embargo imposés à l’Irak, la traversée du désert en taxi – Amman-Bagdad ou Damas-Bagdad – en moins.
Lobbies sionistes… 11 septembre
La conférence se tenait dans un des grands hôtels de la ville. Principal thème du programme : la campagne des lobbies israéliens contre l’Iran, notamment aux États-Unis avec Gareth Porter, un journaliste d’investigation américain de renom – auteur de Manufactured Crisis : The Untold Story of the Iran Nuclear Scare, qui va être traduit en persan – et par le journaliste brésilien Pepe Escobar, qui en ont démonté les mécanismes.
J’ai toujours considéré que l’Iran a le droit d’effectuer des recherches dans le domaine nucléaire à des fins pacifiques, comme je l’ai été pour l’Irak, dont le réacteur Tamouz a été en partie détruit par l’aviation israélienne en 1981. Et je ne vois pas pourquoi les Iraniens n’en feraient pas autant dans le domaine militaire puisqu’Israël possède – selon l’ancien président Jimmy Carter – entre 150 et 300 ogives nucléaires. Cela dit, il serait préférable qu’aucun pays du Proche-Orient n’en possède. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : aucune grande puissance n’imposera à Israël la destruction de son arsenal nucléaire, en tout cas pas la France qui en est à l’origine, comme elle l’a été des centres de recherches irakien et iranien (du temps du Chah).
Les activités des lobbies pro-israéliens en France, en Italie, en Belgique et en Grande-Bretagne ont été décrites par, respectivement, María Poumier – ancienne maître de conférences aux universités de La Havane et de Paris VIII – Claudio Moffa – professeur d’histoire à l’Université de Teramo – Isabelle-Soumaya Praile, vice-présidente de l’Exécutif des musulmans de Belgique et Stefen Sizer, un pasteur anglican britannique.
Maria Poumier était depuis quelques semaines en Iran, où elle présentait Amia repetita, son documentaire sur l’attentat commis à Buenos Aires en 1994 contre le Centre communautaire juif dont l’Iran a été accusé. Pour elle qui est allée enquêter sur place, il s’agit d’une opération sous faux drapeau effectuée par les services secrets israéliens. L’intervention du pasteur Sizer portait principalement sur la montée de l’évangélisme chrétien sioniste, sujet auquel il a consacré plusieurs ouvrages.
La séance consacrée aux attentats du 11 septembre, avec les interventions de l’américain francophone Kevin Barrett, de Wayne Madsen – ancien consultant à la NSA – du cinéaste Art Olivier, et de Thierry Meyssan, réfugié à Damas, n’ont rien révélé de vraiment nouveau sur le sujet. La demande d’ouverture d’une enquête internationale sur ces attentats, formulée par ce dernier, a été retenue dans le communiqué final de la conférence.
État islamique en Irak et au Pays de Cham
L’émergence de l’État islamique – autre sujet abordé – a été présentée comme une sorte de complot américano-israélo-saoudien. Interviewé par des journalistes iraniens, je n’ai pas caché qu’il s’agissait d’une analyse spécieuse et contre-productive. « Vous devriez poser la question au général Qasem Soleimani, leur ai-je dit, il est bien placé pour savoir ce qui se passe en Irak ! » « La montée en puissance d’Al-Qaïda, puis de l’État islamique est d’abord à porter au compte de l’invasion et de l’occupation de l’Irak, puis à la politique sectaire et obtuse de Nouri al-Maliki », et qu’à mon avis, ai-je ajouté, « les États-Unis vont en profiter pour entraîner l’Iran dans le bourbier irakien, ce qui n’est pas dans l’intérêt de Téhéran, visé aussi par le plan de remodelage du Moyen-Orient. » Je n’ai pas eu l’impression de choquer mes interlocuteurs. La seule prise de parole intéressante concernant l’Etat islamique fut celle d’Imran N. Hosein, spécialiste sunnite de l’eschatologie musulmane, qui entrevoit dans le bouleversement causé à l’équilibre proche-oriental le risque à terme d’une guerre opposant les sunnites aux chiites au niveau mondial dont les Israéliens tireraient le plus grand profit.