Ces dernières semaines ont été généreuses en très bons films : Le discours d’un roi (Tom Hooper), Black Swan (Darren Aronofsky), True Grit (les frères Coen) ou encore l’excellente surprise We want sex equality (Nigel Cole). Et pourtant, le film le plus remarquable (au sens littéral du mot) passera sans-doute tristement inaperçu.
Le long-métrage en question : The company men de John Wells.
Avec The company men, la Great Recession (telle qu’on l’appelle désormais aux États-Unis) démarrée en 2007/08 tient enfin son film.
Car entre le néo-cinéma hexagonal ontologiquement incapable de se coltiner aux seuls sujets qui méritent vraiment le détour et le très très poussif Wall Street 2 d’Oliver Stone, on était en droit de penser que le 7ème art avait définitivement rendu les armes dans ce domaine.
Heureusement, The company men vient définitivement nous rassurer sur le potentiel d’un certain cinéma américain à s’attaquer de front aux thématiques les plus brûlantes.
Le film s’attache au parcours de trois cadres d’une grande entreprise virés comme de vulgaires mouchoirs usagés.
John Wells réalise ici son premier film à l’âge de 55 ans, et ce, après avoir produit des séries telles Urgences ou A la Maison-Blanche.
Un élément intéressant dans la démarche de Wells : l’idée de faire ce film n’a pas germé dans son esprit avec le déclenchement de la crise des subprimes mais dès les années 1990 lorsque son beau-frère s’est brutalement fait licencier après l’éclatement de la bulle Internet. Il l’explique d’ailleurs au Figaro : « Je m’en souviens encore. Le mari de ma sœur, ingénieur en électricité, a été renvoyé comme un malpropre avec quelques milliers d’autres collègues. Six mois plus tard, toujours sans emploi, il a dû emménager avec sa famille dans les sous-sols de la maison de mes parents ! Ce sujet me touche donc de près. Croyez-moi, cela n’arrive pas qu’aux autres ».
The company men est sous certains aspects un hymne à la working-class US. Le maçon interprété par Kevin Costner (qu’on avait pas vu jouer aussi juste depuis le superbe western Open Range) ne laisse d’ailleurs aucun doute quant aux intentions réelles de Wells sur ce terrain.
Le discours final de Tommy Lee Jones (formidable comme très souvent) sur la dignité des anciens ouvriers du chantier naval, leur savoir-faire, l’amour de leur travail ne fait que renforcer ce très agréable sentiment.
En conséquence, The company men est une charge tonitruante contre la financiarisation de l’économie et son virtualisme délirant générateur de désastres humains et source à terme d’une lente mais certaine destruction de la civilisation.
The company men insiste également sur la façon dont ce système transforme chaque individu à la fois en simple pion et en courroie de transmission de son intrinsèque abjection. L’exemple le plus frappant étant le personnage de la DRH en charge des plans de restructuration joué par Maria Bello, que le spectateur se surprend de vouloir tantôt giflé tantôt prendre dans ses bras, bien conscient qu’elle aussi, n’est finalement qu’un instrument et une victime de cette névrose collective qu’est devenue le pan-capitalisme mondialisé.
Autre point important, The company men rappelle sans sombrer dans le mélo et le pathos qu’une vie ne peut se résumer à une belle voiture, une paye obscène si on la compare à celle d’un ouvrier ou à un costard à 3000 dollars, mais qu’il est beaucoup plus gratifiant de partager une partie de basket avec son fils, construire de ses mains une jolie maison ou faire l’amour à son épouse.
En conclusion, voici ce que déclarait John Wells toujours au Figaro : « Il est important qu’aux États-Unis on continue de réaliser de tels films, plaide Wells. J’observe aujourd’hui que le sens de la loyauté est en train de disparaître dans les grandes compagnies. » Avant, les Américains se définissaient en une question : Qu’est-ce que vous faites ? Aujourd’hui, la question a changé : Combien gagnez-vous ? ou Quelle voiture conduisez-vous ? Les grosses boîtes ont détruit peu à peu l’attachement et le respect qu’un employé pouvait avoir pour son entreprise, poursuit-il. Ce changement de société secoue les mentalités. Mais je reste confiant. Je crois que la récession économique américaine de 2008 aura permis à la société de rebattre les cartes. »
Constat d’une très grande lucidité. En revanche, il est difficile de partager son optimisme concernant la capacité de la société américaine de « rebattre les cartes ».
Espérons de tout cœur nous tromper...
Petit conseil : visionner dans un premier temps l’indispensable documentaire Inside job de Charles Ferguson pour saisir les mécanismes qui ont provoqué la crise et dans un second regarder The company men pour voir les conséquences sociales immédiates de ce marasme.