L’année 2013 avait déjà vu disparaître Hugo Chávez, héraut de l’anti-impérialisme sud-américain et homme politique irremplaçable. Dans un registre moins tragique mais pouvant soulever d’autres inquiétudes, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’apprête à laisser la place à son successeur Hassan Rohani. Petit retour sur la double présidence d’un maître quenellier hors pair.
Dans la sphère occidentale du mensonge médiatique généralisé, les propos les plus célèbres du président iranien restent, symboliquement, ceux qu’il n’a jamais prononcés : le fameux « rayer Israël de la carte ». Le 25 octobre 2005, suite à son intervention lors d’une conférence intitulée « Le monde sans le sionisme », Ahmadinejad, pour avoir osé citer l’ayatollah Khomeiny selon lequel « le régime occupant Jérusalem » devait « disparaître de la page du temps », se transformait en nouvel Hitler. Dans les pays sous domination américano-sioniste – au premier rang desquels : la France – une manipulation grossière opéra une diabolisation en règle de l’Iran, et les populations furent sommées de faire le raccourci entre « programme nucléaire » et « rayer Israël de la carte » pour intégrer à jamais l’angoisse shoatique d’un Israël vitrifié.
Car l’enjeu d’une telle manipulation était bien celui-là : lier de manière éternelle (quand même !) le programme nucléaire iranien à la Shoah. Peu importe que l’information circulât très tôt sur l’Internet selon laquelle la traduction était bidon [1] ; il fallait faire de l’Iran le territoire du Diable pour préparer l’opinion à une attaque « préventive » par l’Axe du Bien. Comme on pouvait le comprendre par les propos du général Wesley Clark durant sa fameuse interview de 2007 [2], l’Iran n’est pas seulement l’une des sept nations à abattre dans la vision « néo-conservatrice » (qu’Obama a, depuis, incarnée avec d’autant plus de brio qu’il est « démocrate » !) : c’est aussi la dernière de la liste, et la plus puissante. Et le programme nucléaire militaire, qu’il soit réel ou fantasmé par les Occidentaux, est depuis de nombreuses années le prétexte en or pour justifier – par le spectre d’une Shoah II – cette hostilité totale à la nation iranienne.
Outre son programme nucléaire très tôt associé à une promesse d’holocauste, Mahmoud Ahmadinejad a lui-même, de surcroît, donné du grain à moudre à ceux qui cherchaient absolument à faire de lui le prochain génocideur des juifs. En décembre 2006, il organisa notamment à Téhéran une conférence internationale intitulée « Révision de l’Holocauste : une vision globale ». Parmi les invités, entre autres : David Duke, le rabbin Moshe Aryeh Friedman ou encore Robert Faurisson. La réaction des chancelleries occidentales et des médias aux ordres fut assez peu enthousiaste... Étonnant, quand on pense que les conclusions de la conférence, appelant à « trouver la vérité [3] » sur un événement historique, se situaient dans la droite ligne d’un humanisme des Lumières prenant appui sur la raison pour terrasser l’obscurantisme !
Fut-ce contre ce genre d’impertinence ou pour de basses raisons géopolitiques ? Toujours est-il que l’Iran et Ahmadinejad essuyèrent une tentative peu discrète de révolution colorée (en vert, cette fois) durant les élections présidentielles de 2009. Rappelons que le 12 juin 2009, Mahmoud Ahmadinejad, président sortant, fut réélu avec 62,6 % des voix contre 33,7 % pour son adversaire Mir Hossein Moussavi, mais que ces résultats furent rapidement contestés par le perdant et les médias occidentaux, évoquant des fraudes massives [4]. Curieusement, on entendit moins les mêmes médias hurler à l’imposture lorsque le successeur d’Ahmadinejad recueillit plus de 50 % des voix dès le premier tour en juin dernier... En 2009, suite aux contestations, des manifestations eurent lieu et l’on tenta par tous les moyens de montrer à quel point le « régime » du « dictateur » les réprimait dans la violence. Peine perdue, la « révolution » soutenue par Bernard-Henri et consort [5] ne prit pas. Dans la même veine, ledit Lévy et ses acolytes atlanto-sionistes [6] tentèrent une exploitation sans vergogne du cas dramatique de Sakineh Mohammadi Ashtiani, condamnée à mort pour le meurtre de son mari, campagne qui n’eut aucun résultat particulier sinon celui de ternir encore davantage l’image de l’Iran d’Ahmadinejad dans l’esprit des consciences occidentales endormies (dont la plupart pensent encore probablement que la jeune femme fut « condamnée à la lapidation pour adultère » comme on le clama à l’époque).
Impassible, Mahmoud fut réélu et propulsa par la suite l’art du glissage de quenelle à un niveau encore jamais atteint. Lors de son intervention à la tribune des Nations unies le 23 septembre 2010 à New York, dans la ville même des attentats du 11 septembre 2001, le président iranien osa expliquer l’évidence, à savoir que la thèse selon laquelle les terroristes d’Al-Qaïda furent les uniques et entiers responsables des attaques contre le World Trade Center et le Pentagone n’était pas la seule possible, et rappela notamment que deux autres points de vue devaient être envisagés : que les autorités américaines aient « laissé faire » les terroristes, ou que certaines parties de l’appareil de gouvernement aient elles-mêmes organisé ces attentats [7]. Les médias se précipitèrent pour déformer ses propos en ne rapportant bien entendu que cette dernière option, le désignant ainsi à la vindicte populaire occidentale comme un négationniste du 11 Septembre – selon un procédé d’amalgame « 11 Septembre = Shoah » qui rappelle fortement « programme nucléaire iranien = Shoah » et que Marin Karmitz a rappelé au naïf Matthieu Kassovitz dans Ce soir où jamais [8].
Bref, maître quenellier devant l’éternel, immortalisé d’ailleurs comme tel et avec humour par Dieudonné dans son spectacle Mahmoud, le président Ahmadinejad fut l’un des résistants à l’empire les plus sérieux de ces dernières années. Aujourd’hui, l’homme est fustigé pour sa gestion « désastreuse » de l’économie durant ses mandats. Que l’Iran soit victime d’un programme de sanctions économiques d’une violence sans précédent de la part des pays occidentaux à la solde d’Israël n’est bien sûr que rarement mis en rapport avec les difficultés du peuple iranien [9]. Que l’on songe par ailleurs à la crise financière et économique dans laquelle nous ont plongés nos élites de l’Axe du Bien... On n’ose imaginer les résultats brillants des Obama, Barroso, Hollande et autres pour l’Amérique et l’Europe s’ils avaient subi le quart de ce qu’ils ont imposé à Ahmadinejad et à l’Iran.
D’après l’agence Fars et le journal israélien Haaretz [10], avant de passer le relais, le président iranien serait revenu sur son bilan et se serait permis d’en envoyer une petite dernière à Israël et à tous ses alliés. Il aurait ainsi déclaré que démystifier le « conte de fées » de la Shoah a été l’une des plus grandes réalisations de sa présidence.
Tu vas nous manquer, Mahmoud !