Interventions d’Alain Soral
Alain Soral : On va déjà remercier E&R Nice d’avoir organisé cette conférence, parce qu’il ne faut pas oublier que tout cela fonctionne grâce à un réseau de militants. Donc je remercie les gens qui nous accueillent et qui ont organisé cette conférence. Dans une ville communiste, trouver une salle pour ce genre d’événement, c’est une gageure. (…)
La domination sur l’Europe passe en général par la mise au pas de la France.
Le côté très intéressant de l’expérience de mon camarade, c’est qu’en Europe, il y a eu un endroit où s’est jouée cette manipulation qui poussait l’extrême gauche contre l’extrême droite, c’est-à-dire la jeunesse idéaliste et engagée, afin de s’annuler réciproquement : c’était l’Italie. En Allemagne, il y a eu la bande à Baader. Il n’y avait pas tellement l’extrême droite en face, à cause du pathos national-socialiste et de la culpabilité nazie. En France, il ne s’est rien passé en réalité, ce dont on peut se réjouir, à part Action directe. Il y a eu très peu de passages à la lutte armée. En mai 68, c’est quelque chose de très étudiant, de très culturel. En Italie, par contre, tout s’est joué…
L’Italie des années soixante-dix est un très bon laboratoire pour comprendre comment le pouvoir, que moi j’appelle « le pouvoir impérial », manipule la jeunesse, notamment idéaliste du monde étudiant, pour pousser [les jeunes] les uns contre les autres, afin d’annuler totalement leur potentiel d’émancipation et de prise de conscience des rapports réels, afin que le pouvoir se maintienne toujours sur une logique de pourrissement. Et c’est vrai que c’est très intéressant, parce que la France d’aujourd’hui, à mon avis, est un enjeu majeur puisque, historiquement, c’est un modèle alternatif au modèle anglo-saxon ; et la domination sur l’Europe passe en général par la mise au pas de la France.
D’ailleurs, il y avait des déclarations qui disaient que la France devait être punie pour son espèce d’indépendance, dont les dernières traces remontent au gaullisme, pour ceux qui comprennent bien. Et finalement ce qui s’est joué en Italie dans les années soixante-dix, avec la stratégie de la tension, dont le point culminant était l’attentat de Bologne, qui est quelque chose de monstrueux puisque c’est un attentat dans une gare, où il y a plus de quatre-vingts morts, attribué je crois à l’extrême droite, afin de pousser au massacre des militants d’extrême droite, notamment d’ailleurs par les militants d’extrême gauche, alors qu’on sait qu’en dernière instance, c’est une bombe qui est posée par les services secrets. On est dans des manipulations meurtrières, ce qui d’ailleurs vous fait bien comprendre que le pouvoir occulte, le pouvoir profond, est capable de recourir à des massacres sur ses propres populations. Si on comprend l’attentat de Bologne, qu’on sait que cet attentat de Bologne est une manipulation politique de services, on peut aussi comprendre que le 11 Septembre est peut-être une manipulation aussi.
Il faut admettre, casser ce carcan de naïveté, que les États profonds sont capables, pour maintenir le pouvoir, par une vieille stratégie de diviser pour régner, de poser des bombes, de tuer des gens dans les populations civiles, etc. C’est important de le comprendre, et notamment de comprendre les dangers de manipulation, notamment chez les jeunes qui sont souvent extrémistes, révolutionnaires, pressés et très manipulables. Et, comme le disait Gabriele, ce qui s’est passé en Italie dans les années soixante-dix peut aider à comprendre ce qui se passera en France aujourd’hui et demain, dans un autre contexte puisqu’on a effectivement une très grande domination sur le milieu étudiant et sur le milieu culturel de gauche des réseaux trotskistes en France, dont le fleuron le plus emblématique est Daniel Cohn-Bendit. Ces trotskistes sont ouvertement aujourd’hui des atlantistes libéraux. Regardez récemment le commentaire très agressif de Cohn-Bendit envers Chavez mort. Il a été le plus anti-chaviste de tous. Et aujourd’hui, de façon très habile, après avoir joué notamment la carte de l’immigration contre la population de souche au nom de la chance, etc., ils se sont servis d’une diabolisation de l’Islam et de manipulations qui remontent au 11 Septembre pour finalement inverser leurs alliances et faire de l’ancienne chance pour la France immigrée un dangereux islamiste. Et l’on voit que dans un premier temps, on nous a construit des soi-disants réseaux islamistes arabo-maghrébins, et que même aujourd’hui on est en train de nous construire des soi-disants réseaux islamistes maliens, ce qui permet de manipuler des jeunes issus de l’Afrique saharienne et sub-saharienne, c’est-à-dire des Noirs et des Maghrébins, pour s’en servir dans une stratégie d’horizontalisation des luttes ou plutôt qu’il y ait une solidarité des dominés contre cette manipulation ultraviolente qu’ils appellent le « Nouvel Ordre mondial », qui est le néocapitalisme financiarisé ultraviolent, on pousse aujourd’hui, et c’est très important de le comprendre, parce que ça explique notamment la démarche d’E&R, on pousse le petit peuple, manipulé et victime, à la guerre civile horizontale, notamment sur une ligne ethnico-religieuse, entre soi-disant Français de souche et Français d’origine immigrée, requalifiés en islamistes potentiels. Et là vous pensez à Merah, qui permet d’ailleurs à Netanyahou de venir à Toulouse et de faire chanter « Israël vivra » au gouvernement socialiste. Donc ce sont des schémas globaux qu’il faut bien comprendre, et, comme je le disais, on a le recul historique pour savoir exactement ce qui s’est passé en Italie, et réellement ce n’est pas du complotisme ou du délire.
Toutes les preuves sont là, et il est très important de comprendre l’histoire de l’Italie des années soixante-dix pour comprendre le piège qui nous est tendu, avec les mêmes méthodes profondes de diviser pour régner, de manipulation, de pousser aux extrêmes, sur un peu d’autres critères puisqu’on est aujourd’hui sortis d’un critère droite-capitalisme/communisme. On est plus sur un critère Occidentaux chrétiens/danger islamisme radical. Et c’est très important de comprendre ce contexte et ces pièges parce que notre alternative ce sera : est-ce que l’on tombe dans ce piège ou est-ce qu’on y échappe ? Et vous voyez bien que toutes les forces et de droite et de gauche nous y poussent, puisqu’aujourd’hui les trotskistes montrent du doigt les musulmans au nom du danger de l’islamisme, en prétendant défendre la laïcité. Et vous voyez bien notamment l’évolution de Charlie Hebdo, qui est un bastion trotskiste historique, qui aujourd’hui relaye la propagande danoise d’extrême droite sur les caricatures de Mahomet, dans le but de pousser, en humiliant les musulmans pauvres, de les pousser à la radicalisation. Et c’est tout ça qu’il faut bien analyser, quel que soit son sentiment profond et ses colères profondes ou ses réactions d’angoisse par rapport à un monde qui nous échappe. C’est comprendre les manipulations, et au moins quand on choisit des positionnements, de savoir si ce sont des positionnements intelligents ou si on est victime d’une manipulation supérieure, dans laquelle en dernière instance on fera partie des perdants. C’est comme ça que je commenterais cette première partie.
Concernant le bouquin La France orange mécanique, effectivement je pense que les gens ont regardé récemment l’émission de Ruquier où le jeune homme est venu présenter ce bouquin. C’est très intéressant à étudier, parce qu’un Français honnête qui voit ça est d’instinct avec l’écrivain du livre, tellement c’est scandaleux la façon dont les petits privilégiés médiatiques qui étaient là le méprisent, lui crachent à la gueule, disent des absurdités comme quoi on peut faire tout dire aux chiffres. Non. Quand il y a une multiplication, par un certain nombre de facteurs, de cambriolages, de viols, etc., ce sont des phénomènes objectifs. Le problème, c’est qu’à un moment donné on voit que finalement ce genre de livre qui n’aurait pas pu être publié il y a quelques années, le système les accompagne de façon assez subtile parce qu’en plus il donne accès aux médias à ce genre de livre qui avant était totalement je dirais… empêché, parce qu’il ne faut pas oublier que d’être invité chez Ruquier, c’est quelque chose d’important comme décision. Vous avez remarqué que moi, j’ai publié un livre il y a deux ans, qui s’appelle Comprendre l’Empire. J’en ai vendu 50 000, je n’ai pas été invité chez Ruquier. Donc, il y a le diabolisé qu’on invite, et le diabolisé qu’on n’invite pas. Et quand on voit ce livre, La France orange mécanique, le constat est objectif, il est vrai.
Il y a un ensauvagement de la France, une montée de la délinquance, une montée de la criminalité, qui a forcément un lien avec l’immigration. C’est une évidence qu’on ne peut pas nier, etc. Mais après, on voit très bien qu’il y a dans ce constat une volonté de n’être que sur les effets et de ne pas remonter aux causes. Et donc, en fait, il y a quand même une manipulation politique assez habile, en laissant s’exprimer un auteur de livre, en l’agressant pour que nous on prenne parti pour lui, c’est assez habile, et pour finalement tomber dans une réaction, je dirais, assez immédiate de colère qui nous empêche finalement l’analyse des causes. C’est l’analyse des causes qui produit un effet politique, je dirais… possiblement positif. Et ce qui est assez intéressant, parce que moi c’est un sujet qui m’intéresse, c’est qu’à la fois je me retrouve solidaire avec l’auteur du livre quand je le vois passer à l’émission, j’admets que son constat est totalement vrai, et que c’est stupide de la nier, et en même temps, je me dis : « À quoi sert ce livre et pourquoi finalement, en même temps qu’on dit que c’est un livre maudit, tous les médias en parlent ? » En ce moment, effectivement, il y a eu un retournement d’alliance, comme je le dis, où aujourd’hui les gens qui sont au pouvoir et qui ont une énorme crise à gérer, qui est une crise objective, ont besoin de dévier les colères pour que ces colères ne remontent pas à eux, et si on remonte à eux, on remonte à Wall Street, on remonte à la vision du monde d’Attali, on remonte au capitalisme financier, et qui d’ailleurs produit aussi la délinquance de banlieue. Il ne faut pas oublier. Les délinquants de banlieue finalement sont des libéraux du sous-prolétariat. Ils sont sur ce modèle-là. Et aujourd’hui, on donne au peuple le droit finalement d’exprimer sa colère contre ces gens et contre les effets de toute cette manipulation. Et ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le pouvoir en place veut que notre colère se déverse sur ces nuisances qui sont réelles, mais sans jamais vouloir les amoindrir et les atténuer, parce que si jamais on règle ce problème-là, on s’en prendrait après aux causes.
Donc il y a une double stratégie aujourd’hui qu’il faut comprendre, c’est qu’on laisse s’exprimer la colère, notamment sur l’immigration, et on a aujourd’hui le droit de montrer du doigt et de stigmatiser des gens qu’on n’avait pas le droit de stigmatiser avant. C’est-à-dire qu’on a d’autant plus envie de le faire que ça nous a été interdit pendant des années. Mais à aucun moment le pouvoir politique ne va freiner l’immigration ou lutter efficacement contre l’immigration. C’est même l’inverse. Ils montrent à la fois du doigt une jeunesse immigrée, chômeuse et ré-islamisée, et en même temps ils font tout pour qu’elle se maintienne dans le chômage, que l’immigration continue, et que l’Islam s’installe en réalité par tous les moyens. Donc on voit bien cette stratégie de la tension, de la délation, de la colère et c’est pour ça qu’il faut avoir un niveau de plus de réflexion ; c’est de dire : ce constat est objectif mais qu’est-ce qu’il faut faire derrière, qui sont les responsables et qu’est-ce qu’il faudrait faire politiquement ? En fait, ce genre de bouquins pousse à la colère. Et après, on voit bien, quand on a une vraie culture politique, la malhonnêteté. Ruquier… Je me sers de cet exemple parce que je pense que beaucoup ont vu cette émission. Et Ruquier se dit : « Je ne sais pas quoi penser de vous parce que je ne sais pas d’où vous venez. »
Or ce n’est pas vrai. Moi, je sais exactement d’où vient le type qui a écrit le livre. Il suffit de regarder qui édite le livre. Ce sont les éditions Ring. Vous, les Niçois, vous savez un peu qui c’est. C’est David Kersan qui est derrière. David Kersan c’est le réseau Dantec, vous voyez ? Donc, en fait, ce sont des identitaires sionistes qui ont en réalité un gros soutien du pouvoir. David Kersan était invité dans un dîner privé à l’Élysée, reçu par Sarkozy. Il faut le savoir. Donc, en fait, les gens initiés, les gens qui ont la culture, savent très bien ce qui se joue en ce moment, et ils manipulent subtilement. Et ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on manipule toujours sur des faits réels. Évidemment, on n’invente rien, on ne fabrique rien. Simplement, on regarde des lignes de force, on regarde des choses qui se passent, et on décide de plus ou moins s’en servir dans un sens ou dans un autre. Et aujourd’hui, la réalité objective, c’est qu’il y a une énorme crise économique qu’on ne peut plus cacher par de l’habillage et du baratin médiatique. On ne peut plus, comme dans les années quatre-vingts, revenir à Bernard Tapie, qui vous dit : « Gagnez, entreprenez, etc. » On est passé à un moment donné où le baratin médiatique ne peut plus cacher la crise, et qu’effectivement les politiques, qui sont des animateurs sans aucun pouvoir politique sur le politique réel, qui est en dernière instance l’économico-social, aujourd’hui sont des animateurs qui sont démystifiés comme purs animateurs et impuissants. C’est pour ça que Sarkozy était agaçant, Hollande est inexistant. Et le pouvoir de domination, qui est toujours un pouvoir de domination économique, vous donne le droit aujourd’hui d’être en colère et vous désigne contre qui vous devez être en colère, et cette colère est légitime, et celui qui vous est désigné mérite la colère. Et pourtant, tout ça va conduire à quelque chose de pourtant totalement stérile, dont vous serez les victimes, puisqu’il n’y aura plus au niveau du peuple que les victimes, et qui permet en dernière instance à ceux qui ont monté toute la combine, à ces tenants du système, de se survivre à eux-mêmes, de ne pas se faire attraper comme responsables, et même de se servir du chaos pour aggraver leur domination, avec la stratégie du pompier pyromane. C’est-à-dire qu’ils feront monter une violence horizontale, et ils vous proposeront de vous sécuriser en même temps alors qu’ils créent ses propres violences, exactement comme un racketteur vient mettre le feu à votre restaurant et le lendemain vous proposer de vous protéger contre les incendiaires. Le racketteur est toujours le protecteur et le menaçant. Et en fait, ces logiques mafieuses ne sont jamais que des applications très vulgaires du système de domination politique.
C’est ce que j’ai souvent dit dans mes livres. Le pouvoir politique ne ressemble pas à la mafia, c’est l’inverse. La mafia ressemble au pouvoir politique. Et c’est pour ça qu’il faut – enfin moi, c’est le travail que j’essaye de faire –, c’est comprendre comment ça marche, ne pas nier les colères, ne pas nier la réalité des problèmes, mais essayer de comprendre comment réagir intelligemment à cette réalité, à ces stimulus et voir à quel point le système est très pervers. Et cet exemple de La France orange mécanique est très subtil parce qu’effectivement, ce bouquin est vrai. Le mec est relativement respectable. Il se fait injurier dans les médias, ce qui donne envie d’être solidaire avec lui. Et pourtant, quelque part, il fait un sale boulot, et il le sait. Et moi, je sais qu’il le sait.
Présentateur : Que faire concrètement ?
Alain Soral : Je continue ma réflexion sur le pouvoir en période de crise. Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’est plus dans l’époque des Trente Glorieuses où finalement, il y avait un taux de croissance élevé, un peu de redistribution, donc la situation était plus facile à gérer. Aujourd’hui, il y a une crise très très violente. On voit que le destin de la France est de passer par l’Italie, l’Espagne puis la Grèce, et à moins qu’une rupture politique radicale [intervienne], on n’y échappera pas. Or cette rupture politique radicale n’est pas possible, compte tenu de l’ingénierie politique en place, qui s’appelle la démocratie de marché et d’opinion, et ce qu’on appelle la démocratie représentative, qui est antidémocratique profondément. On a pu le vérifier par la manière dont l’Union européenne nous a été imposée malgré le référendum, etc. On a aujourd’hui toutes les preuves que tout ça n’est pas du complotisme ou du délire ou de la spéculation, mais que ce qui rend la période intéressante d’ailleurs, c’est que c’est une période d’accélération, d’aggravation, où tout devient assez lisible assez facilement, ce qui d’ailleurs explique qu’aujourd’hui les animateurs du système ne se fatiguent même plus à m’apporter la contradiction. Ils se disent : « Bon, on l’a cantonné sur Internet, au niveau quantitatif il ne touche pas encore assez de monde pour atteindre un seuil critique d’opposition problématique. » Donc aujourd’hui, on a presque une espèce de confort que je n’avais pas avant. C’est-à-dire qu’on fait silence, parce qu’il n’y a plus de critique à apporter, on le voit très bien. On se dit simplement que cette marginalité du commentaire et de la critique est gérable et n’est pas problématique.
C’est simple : mes vidéos qui font 200 000 personnes, sur TF1 un taux d’audience, c’est 5/6 millions. Ici on est 300, on n’est pas 30 000. À un moment donné, si au lieu d’être 300 on est 30 000, là, on accède à une phase révolutionnaire, mais tout est changé. Ça donne les années trente, le mouvement rexiste belge, la survie devient problématique… Donc là, on n’est pas encore dans une période très très dangereuse et on voit très bien qu’aujourd’hui le système oriente les colères : vous avez accumulé de la colère, de l’incompréhension, maintenant vous avez le droit de passer votre colère, on y va étape par étape, sur l’immigré musulman qui en plus a été éduqué de manière telle que vous avez beaucoup de choses à lui reprocher, ce qui est assez bien fait puisque le travail des éducateurs trotskistes en a fait des sauvageons pendant des années pour effectivement qu’au moment où l’on veut le bouc émissaire soit toujours bien choisi. C’est une phrase très importante qu’il faut comprendre. La stratégie du bouc émissaire, ça existe, mais le bouc émissaire est toujours bien choisi, sinon ça ne peut pas fonctionner. Vous ne pouvez pas écrire un Protocole des sages de Sion en expliquant qu’il y a un complot mondial des coiffeurs, ça ne peut pas marcher. Par contre, sur d’autres sujets, on se dit même si c’est un faux, c’est bien imité, c’est plausible.
Donc on a cette stratégie de désigner l’objet ou le sujet de votre colère, et puis aussi là on a les espoirs déviés. Effectivement, Beppe Grillo fait partie de cette stratégie. Il faut de l’espoir aujourd’hui, on sait que le politique est disqualifié. Maintenant, on vote systématiquement pour chasser celui qui est au pouvoir. Hollande est président parce que les gens voulaient virer Sarkozy. N’importe qui aurait été élu à sa place. Le système de domination a compris tout ça. Et il faut bien comprendre aussi, c’est important par rapport aux comiques et aux critiques d’institutionnels qui tapent tout le temps sur les politiques. Les politiques, finalement, sont des animateurs qui aujourd’hui servent de tampons entre le pouvoir occulte et la colère populaire. Donc finalement, agresser les politiques est devenu une stratégie facile et assez lâche. C’est pour ça que c’est fait par tous les comiques d’extrême gauche et les Porte, les Guillon, etc. C’est facile de se payer le politique. Finalement, il est là pour prendre les coups et finalement, ce n’est peut-être plus très stratégique, très intelligent et très courageux de s’en prendre à lui. Mais en revanche, ce pouvoir réel sait très bien que ces politiques qui sont disqualifiés mais qui sont là parce que la nature politique et sociale a horreur du vide, il va falloir créer de l’espoir. En Italie, on laisse monter un individu marginal, en général avec une espèce de conscience profonde libertaire, ce qui veut dire en général que ça n’aboutira jamais à rien, et c’est Beppe Grillo. Et là, la France a une certaine avance sur l’Italie, parce que nous, on a eu à l’époque Coluche. Coluche, c’était ça. Coluche, que j’ai connu – et j’ai bien étudié le phénomène Coluche –, qui est mort d’ailleurs de façon étrange, au moment où il y a eu le virage de la rigueur en France, c’est-à-dire que le Parti socialiste a décidé de passer au thatchérisme à la française et ça remonte du passage de Quinquin à Fabius, il a fallu accompagner cette poussée vers la misère de tout un pan du prolétariat français, qui a été l’abandon de l’industrie du Nord de la France, les industries lourdes, etc. Il a fallu accompagner cette stratégie de la misère faite par un gouvernement de gauche par une compensation dans l’espoir. Et c’est là où les réseaux trotskistes, via Romain Goupil et Attali, sont allés voir Coluche, qui était un mégalomane, politiquement inculte, parce que c’est toujours comme ça que ça fonctionne.
Dieudonné aujourd’hui est beaucoup plus cultivé qu’était un Coluche parce que Dieudonné a fait des rencontres que Coluche n’a pas eu le temps de faire à l’époque, et en fait ils sont allés flatter finalement un populiste sans culture politique pour lui faire faire les « Restos du cœur », c’est-à-dire, finalement, le régime politique socialiste, par des mutations économiques, pousse des prolétaires dans la misère et le chômage de longue durée, mais Coluche va leur donner à manger grâce à un système de substitution parfaitement apolitique, qui est la charité. C’est vous qui allez nourrir les prolétaires au chômage, que le Capital a mis au chômage. Finalement, c’est à vous de les nourrir, et ça a été le rôle objectif de Coluche. Il a fait les « Restos du cœur » avec la petite chanson avec Jean-Jacques Goldman, avec tout le système du charity business, et puis, à un moment donné, [il] a commencé à comprendre qu’il avait été manipulé et pris pour un imbécile, et là il a commencé à réfléchir et il a commencé à parler. J’ai écouté les bandes magnétiques du spectacle qu’il préparait avant de mourir au mois d’août, et qui devait être joué au mois de septembre, et il y parlait notamment de l’attentat de Bologne, et de la manière dont on manipulait les gens comme lui. Il avait pris cette conscience-là, et il voulait rentrer dans un vrai combat politique, qui aurait ressemblé, à mon avis, beaucoup plus au combat politique d’un homme comme Dieudonné aujourd’hui. Et bizarrement, il est mort, percuté par un camion conduit par un gendarme, sur une route fermée à la population, et les bandes magnétiques de ses répétitions de spectacles ont été volées, notamment par son ancien manager et mentor. Donc le Beppe Grillo, à un moment donné, s’il prend conscience qu’il est peut-être manipulé par des gens et qu’il veut réellement faire de la politique et tenter quelque chose de sérieux, il est possible, à un moment donné, que soit on lui coupe le robinet des médias et qu’on le diabolise sur des affaires de mœurs. C’est très facile de détruire quelqu’un par le travail médiatique, parce qu’il y a des gens dont on révèle les maîtresses et les activités pédophiles et puis d’autres pas.
Donc il peut être détruit par un système qui, au lieu de le flatter, le diabolisera, et il se rendra compte de la disproportion du rapport de force, parce que beaucoup de leaders populistes quand ils ont un charisme, on se rappelle notamment de le Pen en France, on leur donne un jour une émission qui s’appelle « L’Heure de vérité », et ils passent de 1,72 % à 15 % en quelques mois, parce que réellement, ils sont très performants, et très légitimes. Et là le pouvoir qui ouvre des robinets, c’est un peu comme une table de mixage, pour indiquer que ce niveau-là est monté trop vite, et hop, on va faire Carpentras. Les services vont déterrer un cadavre de monsieur Germon – j’ai étudié tout ça quand j’étais journaliste –, qui votait Front national comme tous les Juifs de la Côte d’Azur pour des raisons de nostalgie OAS, et on se dit qu’en déterrant un cadavre de juif, on va mettre à dos la communauté juive contre le Front national puisqu’ils votaient trop Front national. On va le diaboliser en disant que c’est l’extrême droite qui déterre des cadavres de juifs… on a donc réactivé toute la mystique de la Shoah, Mitterrand lui-même va organiser la manif où il y a 1,5 millions de gens dans la rue portant des poupées de le Pen pendu. Le Pen prend conscience qu’il a beau être un tribun doué avec un énorme potentiel, c’est l’ingénierie politique de domination qui fait de lui ce qu’elle veut. C’est-à-dire, là tu montes, comme un animal dans une cage dorée, et là on peut te faire tuer, parce qu’effectivement, on te met en danger de mort. Et là, c’est l’État français qui décide de le sécuriser ou pas. Quand je me retrouve dans les manifs, des fois, là il y a un cordon de CRS qui se met là pour me protéger de l’agresseur et c’est le préfet qui décide s’ils enlèvent le cordon ou pas. Et s’ils enlèvent le cordon, je me fais massacrer, donc je suis totalement à la merci du pouvoir politique. Et là, vous comprenez que vous n’existez pas. Vous êtes un jouet, et c’est un « mixeur » qui décide de pousser plus ou moins tel ou tel bouton sur une table de mixage, ou un artiste qui dit, je vais mettre un peu de rouge, un peu de bleu, etc. C’est comme ça qu’il faut comprendre la montée rapide de Le Pen, la manière dont il a été circonscrit entre 15 et 20 %, qui sont des seuils tout à fait acceptables par la gestion politique. Le seuil critique, c’est 35 %.
Ce système très puissant est beaucoup plus puissant qu’on croit. Un individu charismatique, qui a un moment donné peut être accompagné et même un peu aidé, et même avoir un peu de chance, le système, très très vite peut le contrôler, s’en servir, et lui appliquer ce qu’on appelle la stratégie de la carotte et du bâton. C’est-à-dire là tu as une vie politique confortable d’opposant institutionnalisé, et puis là tu veux te radicaliser, essayer d’aller au pouvoir réel, et là ce sera la mort : la diabolisation, la ruine et la mort, et en général, ça se fait sur des durées assez longues, de 10/15 ans. Et en général, on arrive comme ça à faire rentrer l’animal sauvage dans une cage. Il devient non plus un prédateur de premier ordre, mais un animal de zoo, c’est-à-dire que vous allez visiter et écouter rugir avec un ticket payant à l’entrée, et vous avez le droit de lui lancer des cacahuètes, et c’est un peu ça l’histoire de la politique française depuis trente ans, avec notamment le phénomène Front national. Et ce n’est pas du tout injurieux ou irrespectueux. C’est-à-dire que même le meilleur d’entre tous ne peut pas faire plus que de pratiquer un témoignage de contestation sous contrôle, parce qu’en plus, à un moment donné, il y a des problèmes de point de détail. On lui reproche dans sa carrière… la vox populi lui reproche d’avoir fait un dérapage dans sa vie, et on justifie pour ça qu’il n’ait pas pu aller plus loin dans la marche vers le pouvoir. Je peux vous relire les citations d’un Chirac sur le bruit et les odeurs, ou le discours de Cochin, qui est un discours national-socialiste, et ça, on leur pardonne tout, à ces gens-là. Dévier les colères, choisir des champions de l’espoir qu’on contrôle à distance et qu’on sait à la fois récupérer, diaboliser ou détruire, cette ingénierie politique de la domination du contrôle est bien au-dessus de ce que vous avez compris ou que vous croyez. Et c’est pour ça que l’opposition au pouvoir, à un moment donné, vient presque créer un pouvoir ailleurs. Donc ça crée des logiques d’autonomie, et surtout pas – je m’adresse à des jeunes –, des logiques de radicalité, d’opposition violente. Ce destin-là, c’est la manipulation et la prison, le malheur. Et en plus, pour découvrir à la fin que la bombe que vous avez posée, c’est la police qui vous l’avait donnée. Donc c’est toujours des logiques d’autonomie, de solidarité, de prise de conscience.
Avant même de prendre le pouvoir, il faut échapper à la dépression et à la misère économico-sociale, qui est le chômage, et à la dépression nerveuse, ce qui est un peu le destin qui est voué aux gens qui ont une conscience dans ce système, parce qu’ils ont un boulot de merde qu’ils ne supportent pas, ils se sentent marginaux au niveau des conversations permanentes avec les gens qui effectivement croient au système, parce qu’on ne peut pas le leur reprocher, et donc ils sont à la fois pauvres et dépressifs. Et déjà dans un premier temps une démarche d’autonomie, c’est d’échapper à cette violence symbolique du système, qui est de faire de vous un précaire permanent mal payé, et en plus en permanence au bord de la dépression. Déjà ce sont des réactions, comme ici, de solidarité. On se sent moins mal et moins fou quand on est avec des gens qui pensent un peu comme vous et qui vous font comprendre par un partage d’idées que vous n’êtes pas fou, parce que moi pendant des années, on m’a dit que j’étais fou. Ces solidarités affectives et intellectuelles peuvent créer aussi des solidarités économiques, puisque, effectivement, quand on met des forces en commun, on génère de l’économie sans avoir besoin de recourir au prêt. Ça existe au niveau macroéconomique mais ça existe aussi au niveau microéconomique. C’est un peu ça les logiques actuelles. C’est plutôt de rêver au grand soir et à cette vision de la politique très verbeuse. C’est la politique modeste qui est en réalité la politique la plus orgueilleuse. C’est finalement de fonctionner hors du système mais sans tomber dans une marginalité spectaculaire. C’est un peu ce que l’on fait avec E&R. C’est ce que Dieudonné fait avec sa logique à lui. Il a été mis à mort par le système.
Vous avez vu d’ailleurs comment ça s’est passé historiquement. Il a fait un sketch antisioniste. BHL a déclaré qu’il était mort, et comme il avait une certaine autonomie puisqu’il avait son théâtre et du courage, il a survécu malgré la fin du robinet des médias. Quand vous n’existez que par les médias ça veut dire que vous n’existez pas. Il faut le comprendre. Finalement, en ce moment, il est en train de montrer un combat politique très moderne et qui est vraiment de la politique. Le plus politique de tous, à mon avis, c’est lui. Et ça donne des pistes, et surtout ça rompt avec toute la mythologie gauchiste d’extrême droite, ce mythe du grand soir, ce mythe du pouvoir par l’action violente. Vous pensez que c’est parce qu’on va attaquer physiquement un lieu symbolique de pouvoir qu’on va prendre le pouvoir. C’est absurde et moi j’interdis toujours ce genre de démarches et je vire les gens qui sont dans ce genre de démarches de chez moi, parce que ça conduit à la prison, à la misère, à la mort, etc. Et surtout, il y a toujours derrière des manipulateurs pour pousser des gens à ces actions totalement stériles et contre-productives.
Présentateur : Justement, tu parles de Dieudonné, on voit qu’il remplit des salles de plus en plus grosses. À quel moment le système pourrait considérer qu’il devient vraiment un problème et décider de s’en débarrasser ?
Alain Soral : Quand il faisait des salles de 300 personnes, le système le diabolisait. Là, il fait des salles de 30 00 personnes, et en plus, il pourrait faire beaucoup plus. Je pense qu’effectivement, il rentre dans la zone dangereuse. Il a gagné un combat par des stratégies très nouvelles qui sont l’humour, la dérision, l’humour, la chanson, et non pas la phraséologie politique traditionnelle. Et c’est vrai que ce combat assez nouveau, assez différent, qui est à mon avis pas du tout le combat de Coluche – parce que le Coluche, on lui induisait son positionnement –, alors que Dieudonné c’est un positionnement de rupture. C’est un comique qui a la main. C’est lui qui impose à l’ennemi le terrain du combat, etc., alors que Coluche en réalité tout lui était imposé. C’est pour ça que les gens qui prétendent que Dieudonné c’est pas Coluche, j’ai bien connu les deux, Dieudonné est très très au-dessus en termes d’intelligence politique, et même en termes de comique. L’Histoire sans doute le vérifiera. Mais on peut s’inquiéter effectivement que le système commence à se dire on n’arrive plus par le baratin de l’antiracisme institutionnel, par la culpabilité sur la Shoah, à faire en sorte de le couper de la population. Au contraire, il y a une adhésion spontanée, intuitive, qui se fait du peuple vers lui, et ça commence à poser un problème au niveau des officines qui nous dirigent. Et je peux vous balancer une information de première main : il lui a été proposé avant-hier beaucoup d’argent pour qu’il arrête de lui-même sa tournée. Donc vous voyez jusqu’où ça va le système. Donc effectivement toujours la carotte, le bâton. C’est finalement un mec qu’on n’a pas réussi à mettre à mort, on peut discuter. Et qu’est-ce qu’on peut proposer quand on a le pouvoir ? La violence institutionnelle évidemment, et aussi beaucoup d’argent pour se retirer. Et ça, c’est très intéressant politiquement parce que c’est au jour le jour. C’était il y a deux jours.
Présentateur : Quelles sont les pistes pour construire quelque chose ? Construire un « lobby populaire » ? Dans quelle direction on doit aller un minimum pour orienter les gens ?
Alain Soral : Dans Comprendre l’Empire, j’avais bien écrit que finalement le point commun du socialisme et du capitalisme, c’était de détruire la classe moyenne, par le salariat généralisé, ce qui veut dire que si ces deux systèmes de domination verticaux pointent du doigt la classe moyenne comme l’ennemi à détruire, c’est que la classe moyenne, finalement, est la classe dangereuse pour le pouvoir de domination. Et la classe dangereuse, qu’on désigne d’habitude, qu’est le sous-prolétariat, n’est dangereuse que pour elle-même, il faut le savoir. En fait on est dans l’auto-eugénisme, qui sont des systèmes que les Américains maîtrisent très bien. On arme les bandes ethniques aux États-Unis et ils s’entre-tuent entre eux, et ça règle le problème, sauf pour ceux qui vivent à proximité, et qui eux sont en colère, mais tout ça est négligeable en termes de domination. Et en fait qu’est-ce que c’est que les classes moyennes ? J’en parle régulièrement parce que la sociologie journalistique vous ment sur la définition des classes moyennes. Les classes moyennes ce ne sont pas les gens moyen riches.
On confond toujours ce qu’on appelle les couches moyennes salariées, qui sont les cadres, qui sont les alliés objectifs du système, puisque ce sont des salariés, et qu’ils dépendent finalement de la hiérarchie du capital, dans sa forme de métiers de services, etc., ce qui donne d’ailleurs les bobos et les abonnés à Canal +, et puis il y a ce qu’on appelle la classe moyenne, qui sont les propriétaires de leurs moyens de production : les artisans, les commerçants, les petits patrons. Et eux, ce sont la cible en général de tous les pouvoirs de domination parce que quand on a une réflexion politique qui rejoint celle un peu d’Orwell, la conscience politique est liée à la maîtrise de sa propre économie. Et il faut bien comprendre, même si ce n’est pas très respectueux, qu’un salarié est un enfant. C’est-à-dire que c’est quelqu’un qui renonce à son autonomie en renonçant à la propriété de ses moyens de production, qui à la fois accède à un confort de passivité mais en même temps est neutralisé. Il faut bien voir que finalement si on pense à la démocratie grecque, c’est une démocratie d’hoplites, ce sont des petits propriétaires terriens soldats. C’est-à-dire que ce sont des types propriétaires de leurs moyens de production, qui sont armés et formés au combat. Et en fait, c’est le noyau d’une démocratie authentique. Ce n’est pas pour rien qu’aux États-Unis, il y a le deuxième amendement et qu’on veut les désarmer. Et ce qui veut dire aujourd’hui que dans cette logique de capitalisme financier mondialisé, qui est une logique de concentration de capital et de digestion des petits par les gros au niveau de ce qui se passe depuis trente ans, si vous regardez ce qui se passe dans le BTP, ce qui se passe, tout ce qui est les sociétés, y compris les sociétés de services, où systématiquement bouffent les petits, et d’ailleurs maintiennent l’illusion de leur performance économique en détruisant les petits. En général, quand ils les absorbent, ils détruisent aussi leur capacité créative et leur capacité de création d’emplois. La richesse créative et la création d’emplois ce sont les petites structures. Elles sont inventives et créatrices de beaucoup d’emplois.
Les grosses structures, les multinationales qu’on nous vend comme le parangon de l’efficacité libérale, et de la gestion optimum, ressemblent exactement aux apparatchiks de l’ex-URSS. Ce sont d’énormes structures où toute l’énergie des cadres et des cadres supérieurs est dépensée en luttes internes pour monter dans la hiérarchie, avec une production en réalité très faible. Il faut le savoir. Donc l’efficacité de production des mégastructures est une escroquerie en réalité. C’est pour ça que quand j’entends des gens du Medef vous dire qu’ils méritent leur salaire parce qu’ils créent des emplois, ils ne créent rien du tout. Un type qui est parachuté comme techno gestionnaire à la tête de Peugeot et qui vit sur quelque chose qu’il n’a pas créé, qui est le génie des ingénieurs Peugeot et une aventure de capitalistes à l’époque où c’étaient des ingénieurs couplés à des investisseurs, dans un domaine où il y a de la création de valeur ajoutée réelle, aujourd’hui finalement ces techno gestionnaires liquidateurs sont payés par le noyau dur des actionnaires pour faire des profits à court terme en détruisant l’entreprise. Le gros profit à court terme dans une entreprise est toujours un travail de destruction. Produire réellement de la valeur ajoutée est toujours un travail de rentabilité à long terme. C’est toujours à trop long terme pour les actionnaires. Il ne faut pas oublier que la logique capitaliste, pour ceux qui lisent Weber, c’est le compte d’exploitation annuel. Quand vous dites : « Voilà ce que ça va rapporter dans trois mois », tout le monde est d’accord pour vous. Quand vous dites : « Ça va rapporter dans douze ans », vous êtes viré le lendemain, parce que personne n’a douze ans à attendre dans cette logique-là, sauf si vous avez une vision politique, une vision humaniste, et ça, il n’y a qu’un État qui peut l’avoir. Il faut un Chavez, mais il ne faut pas un Attali.
Et donc, pour finir ce raisonnement, la classe moyenne, qui sont les gens propriétaires de leurs moyens de production, ont une vraie conscience politique, qui ne passe pas par le baratin de l’idéologie, parce qu’ils savent comment fonctionne la fiscalité, la feuille de paie, un compte d’exploitation annuel et ils ont une indépendance parce qu’ils sont propriétaires de leurs moyens de production. Ils sont dans un danger parce qu’ils sont peu protégés par la couverture sociale, donc ils sont réellement impliqués dans le politique et en ligne directe. Et c’est en général les plus durs à manipuler, parce que ce n’est pas une structure hiérarchique, c’est une structure atomisée horizontale. Le plus dur à manipuler ce sont les classes moyennes. Le plus dur à faire bouger politiquement ce sont les classes moyennes. Ceux qui croient le moins aux mensonges des idéologies, etc., ce sont les classes moyennes. Donc c’est la classe à détruire. Et le communisme soviétique a détruit la classe moyenne par un salariat généralisé, et le capitalisme à l’américaine a fait la même chose.
C’est pour ça d’ailleurs qu’il était très facile de passer de l’URSS à l’effondrement de l’URSS et à l’époque Eltsine, parce qu’en fait, vous avez un système vertical hiérarchique avec un petit nombre d’apparatchiks qui deviennent des oligarques, et à la base des salariés qui voient simplement que là où il y a une étoile rouge, il y a Coca-Cola, et finalement que leur condition quotidienne est à peu près la même, c’est la passivité de la feuille de salaire. Ce qui veut bien dire que ça rejoint que l’autonomie politique et le combat révolutionnaire c’est finalement non seulement de résister à la passivité des classes moyennes, mais de devenir soi-même un membre de la classe moyenne, un résistant, c’est-à-dire d’être propriétaire de ses moyens de production, et donc un citoyen autonome et conscient politiquement de ce que c’est les enjeux de la politique. Et ça veut dire donc effectivement monter des petites structures, qui d’ailleurs manquent énormément. On manque de plombiers, on manque d’électriciens… Le problème c’est la lutte avec l’administration, qui fait tout pour vous pénaliser, la fiscalité qui fait tout pour vous pénaliser. On voit bien qu’il y a un projet politique de s’opposer à l’autonomie des petits producteurs pour qu’ils se fassent bouffer par les gros et qu’ils acceptent le salariat, c’est une logique politique. Et donc, effectivement, ce combat révolutionnaire ce n’est pas d’aller balancer des cailloux, de défiler pour rien dans la rue.
Comme je dis, marcher dans la rue entre pauvres, qui s’insultent pour un rien, on a vérifié depuis trente ans de manifs. Effectivement c’est se dire comment accéder à l’autonomie en devenant un producteur de quelque chose, qui produit de la valeur ajoutée, qui crée de l’emploi et qui crée du réseau d’interdépendance économique. C’est fondamental. Et là vous rentrez dans la subversion réelle, dans l’autonomie réelle, dans la politique réelle. Et d’une certaine manière, ça consiste à un moment donné à se dire qu’est-ce que je pourrais créer comme emploi productif, dont je garderai la maîtrise. Et nous, c’est ce à quoi on travaille de plus en plus à E&R, puisqu’on a monté Kontre Kulture, on a monté Au Bon Sens, Sanguis Terra, Instinct de Survie, qui sont des petites unités de production, que nous finançons parce que ce sont nos militants qui le font, et qui dégagent assez vite du profit, parce qu’on travaille mieux quand on travaille pour soi-même, c’est quelque chose de vérifié, et qui permettent à des militants de devenir aussi des travailleurs actionnaires et propriétaires en partie du capital de leur SARL, ou ce qui est… on peut le remplacer. Et en général, quand on accède à ce genre de pratiques, on arrête de baratiner dans la politique inutile. On passe à la politique sérieuse, où il y a peu de baratin et de la production réelle, ce qu’on comprend bien quand on regarde ce que c’est que le Parlement. La première profession des parlementaires, c’est avocat. Parlement, ça veut dire ce que ça veut dire : Parle-ment. Et là, on commence à faire de la politique. C’est pour ça que, finalement, moins on a l’air de faire de la politique et plus on en fait. Et le piège, c’est quand vous croyez que vous faites de la politique, comme tous les petits c… d’extrême gauche étudiants qui vont dans les manifs, qui collent des affiches à la c…, et dont le symbole absolu est le NPA, dont d’ailleurs le symbole est en lui-même un aveu puisqu’on n’est même plus dans la faucille et le marteau. Qu’est-ce que c’était que le symbole du NPA ? Un mégaphone. Tout est en fait clair quand on sait lire. Et donc cette réflexion : faites de la politique, créez des entreprises. C’est ce que je dis aux jeunes de banlieues. Arrêtez d’essayer de devenir animateurs de quartiers, rappeurs, footballeurs, montez, faites des apprentissages de plombiers, d’électriciens, etc., et devenez autonomes économiquement, petits patrons. Vous serez votre propre maître, vous vous enrichirez, vous offrirez un service, ce qui fait que vous serez respectés par la population, parce qu’on est contents quand il y a un plombier qui vient. Si on voit que c’est un Maghrébin bien élevé, qui fait bien son boulot, d’un seul coup, on change sa vision sur l’immigration, parce qu’on n’est plus dans un truc de parasitisme, mais dans un truc où l’on apporte quelque chose, etc., et tout ça est totalement vertueux. Vous verrez que tout ça, on ne nous en parle jamais au niveau du débat politique officiel. Ce sont des pistes qu’on ne veut absolument pas vous montrer. Donc ça veut dire que si c’est caché et qu’on ne l’aborde pas, c’est que forcément, ça peut être intéressant.
Présentateur : On peut continuer sur un axe géopolitique de résistance…
Alain Soral : Ce que je voudrais rajouter en tant que Français, c’est que dans ce jeu de destruction que l’Amérique joue, la France est en première ligne comme modèle à détruire, parce qu’il ne faut pas oublier qu’historiquement, contrairement à ce que dit Éric Zemmour, dans son bouquin où il met un aigle au milieu du drapeau français, moi je crois beaucoup plus à la théorie d’Asselineau, la France est historiquement le modèle alternatif au modèle anglo-saxon. J’ai un très grand respect pour l’Italie, pour l’Espagne, etc., mais la France était le dernier pays historiquement qui a tenu tête à l’Angleterre, et la défaite de la France s’est jouée de très peu face à l’Angleterre. Elle s’est jouée sous Louis XV, elle s’est jouée sous Napoléon. Et la France est, là on va parler d’alternative culturelle, parce que ça existe aussi, la France est le modèle alternatif au modèle anglo-saxon, ce que j’appelle le « génie français ». On voit aujourd’hui que malheureusement toutes nos élites sont des traîtres au génie français et sont là pour accélérer son éradication pour qu’on oublie, chez nous et à l’étranger, que la France peut être un modèle alternatif de la situation et un modèle moderne, pas un modèle qui renverrait à, comme chez Guénon, à dire l’Orient contre l’Occident, mais un modèle à l’intérieur de l’Occident, qui était en réalité à la pointe au niveau de droit, au niveau du droit des affaires, au niveau du droit des propriétés culturelles, etc. Et ça, pour le comprendre, il faut comprendre un peu le dernier de Gaulle, le de Gaulle qui s’est mis à dos les Américains. Il a d’ailleurs été chassé par mai 68, par des jeunes idiots qui l’ont chassé au nom de la lutte contre l’impérialisme américain, alors qu’il était, de l’aveu même de Fidel Castro, le seul opposant sérieux à l’impérialisme américain en Europe. Et là, on voit les manipulations. On prend toujours la bêtise adolescente. Il faut toujours se méfier des politiques qui s’appuient sur les femmes et les jeunes. En général, ce sont pire que des démagogues, ce sont des manipulateurs.
Car historiquement, c’est facile à démontrer, ce n’est pas de l’agressivité, les jeunes et les femmes étant les plus loin de l’appareil de production et de l’Histoire de production, les jeunes par leur âge et les femmes par leur entrée récente dans le monde du travail plus d’autres aspects de psychologie que j’ai développés dans Vers la féminisation, sont les plus manipulables politiquement. Rappelez-vous que c’est Giscard qui a baissé l’âge électoral – ce sont toujours les réactionnaires qui le font – et qu’on s’est très longtemps opposé au vote des femmes en France parce qu’on savait qu’à l’époque où la femme était encore sous le contrôle de son curé de village par la confession, ça maintiendrait le pouvoir par la droite catholique de province, et que c’est la Gauche qui en fait ne voulait pas du vote des femmes parce que ça gênait la prise du pouvoir par la gauche urbaine. C’est l’ancêtre du… ce qui amène le boboisme et le libéralisme libertaire. Donc on a ce combat culturel de fond qui est mené aujourd’hui contre le génie français, qu’on peut comprendre effectivement par de Gaulle, quand de Gaulle a fait le discours de Phnom Penh, le discours de Québec, qui rappellent qu’effectivement, à l’époque, ce n’étaient ni l’URSS ni les États-Unis, ni socialisme ni Amérique, mais la troisième voie française, qui était montrée comme modèle d’émancipation pour les pays du Tiers-Monde, pour les pays d’Amérique du Sud. D’où encore un certain prestige résiduel dans le Monde arabe et en Amérique du Sud, à cause de la manière dont de Gaulle a su remagnifier, après la IVe République, qui était déjà une période de trahison totale du génie français, des élites totalement passées sous contrôle, on va dire, anglosioniste. Il y a eu ce petit rebond de de Gaulle, qui est le de Gaulle que je respecte plus que celui de 40, qui est plus de la stratégie de communication, ce de Gaulle qui effectivement a essayé de chasser les bases américaines de l’OTAN, sortir de l’OTAN, et proposé ce modèle de troisième voie, qui est un modèle je dirais contre-impérial, c’est-à-dire que la France historiquement a toujours résisté à l’Empire romain germanique ou à l’Empire anglais, c’est-à-dire à ceux qui ont vocation à régner sur le nomos de la Terre, c’est-à-dire l’Europe, et ceux qui ont vocation à régner sur le monde des mers, l’Angleterre. Et la France a toujours été ce pays qui a un pied dans l’eau et un pied dans l’Europe, en plus un pied dans la Méditerranée.
La géographie explique la géopolitique. Un pays se comprend par sa géographie, qui a toujours été cette chose étrange et fragile mais qui était une alternative. Et je pense qu’aujourd’hui, ce n’est pas pour rien que dans les programmes d’Histoire on essaye de faire oublier que la France a existé, en supprimant Napoléon, Louis XIV, etc. On essaye de nous éduquer un peu dans une culpabilité totale du génie français par la diabolisation de la colonisation, etc., la collaboration, etc., parce qu’on a besoin de tuer en nous-même cette fierté d’être français et d’avoir conscience que nous représentons une alternative à cette domination anglo-saxonne sur le plan culturel, ce qui est fondamental. Et n’oubliez pas que la langue diplomatique jusqu’au Traité de Versailles était la langue française, qu’à l’époque nous étions la Grande Nation, c’est-à-dire l’ironie française était le code d’intelligence des Cours européennes, que jusqu’à la mise à mort de Nicolas II par les bolcheviques, la langue de la Cour de Russie était le français, c’est-à-dire que nous jouissions d’un très très grand prestige, qui a été détruit jour après jour, malgré une certaine résistance, par cette éternelle perfide Albion. Et malheureusement, aujourd’hui, nous sommes passés à une phase où nos élites, soit traîtres, ont intégré cette soumission. Moi, on me reproche de parler mal anglais et aujourd’hui nos jeunes font des Masters, ils vont faire leurs diplômes aux États-Unis, et on est en train d’accepter cette soumission, avec, effectivement, des petits rebonds, des prises de conscience quand on découvre que les Français sont les meilleurs en mathématiques pures et que finalement, les traders français sont très recherchés à l’étranger et dans le monde anglo-saxon parce qu’ils ont cette maîtrise des mathématiques, qu’il y avait quand même l’école française d’Orient, qu’on a fait les trains les plus rapides du monde, qu’on sait faire des avions, des voitures et des trains. C’est pour qu’on sait tout faire. Il y a peu de nations au monde aujourd’hui qui sont capables de tout faire. Nous savons tout faire, et nous sommes en grave danger à cause de ça, car nous avons un génie spécifique qui représente une alternative dans la modernité à la domination anglo-saxonne. Et dans cette mise au pas du monde, il y a les ennemis lointains comme la Chine et la Russie, mais il y a cette mise à mort quotidienne, violente et perverse de la France, de son génie alternatif par la domination anglo-saxonne, qui passe aussi d’ailleurs par la communauté juive.
Un juif est un type qui est en France et qui regarde entre Tel Aviv et New York et qui pense que la France c’est de la merde. Ils nous ont bien éduqués dans cette honte au niveau notamment de la production du spectacle et du show business. La destruction du génie musical français qu’était la chanson française de Brel, Brassens et d’autres, remplacée par les yéyés qui est déjà une mise au pas américaine et ridicule, faite d’ailleurs par Filipacchi, quelqu’un effectivement dont les intérêts sont à New York. On sait aujourd’hui que la CIA a favorisé l’action painting des peintres américains pour que Paris cesse d’être la place de l’Art qu’elle était encore jusqu’en 45, et pour que ça devienne New York. Sans ça, on ne peut pas comprendre l’incroyable réussite d’un Andy Warhol, totalement accompagné par le pouvoir américain, pour que New York devienne le phare, et que le Français pense que pour être quelqu’un, ne pas être un ringard, il doit avoir un pied à Londres et un pied à New York. Je parlais récemment, dans une conférence, de problèmes de la disparition de la maîtrise de la langue française par les Français eux-mêmes, et qu’il fallait sauver la langue française.
Aujourd’hui, si les Français abandonnent leur langue, c’est parce qu’ils pensent qu’être français, c’est de la merde. Si on ne renoue pas avec la fierté de ce qu’est l’Histoire de France comme production de génie, etc., on ne peut pas vouloir non plus vouloir défendre sa langue qui exprime ce génie. Et ça, c’est un combat fondamental parce que c’est un combat culturel, c’est que les élites françaises doivent aujourd’hui mener ce combat qui n’est pas du tout un combat d’arrière-garde ou un combat narcissique. Il faut dire que la France est une très grande nation, avec une très grande culture. Elle a produit aux XVIIe et XVIIIe siècles un modèle alternatif au modèle anglo-saxon, qui a été vaincu militairement, mais elle est toujours une alternative à ce monde anglo-saxon du mercantilisme, d’une certaine laideur, d’une certaine vulgarité, et il ne faut pas l’oublier. Or, effectivement, toutes nos élites sont payées pour nous le faire oublier, payées pour liquider cette chose. Et aux jeunes souvent qui se croient révolutionnaires et qui veulent être subversifs, au lieu de s’allier sur le plan génie propre et génie français, vont chercher systématiquement leur modèle ailleurs. Rappelons-nous le travail très destructeur des maoïstes. Ce n’est pas pour rien que les maoïstes étaient pro-chinois. C’est parce qu’il fallait toujours chercher les modèles ailleurs. Et quand de Gaulle disait : « Finalement, je suis un révolutionnaire français qui s’appuie sur une tradition révolutionnaire française aux Empires », parce que la France a toujours résisté par des alliances inédites, notamment quand François Ier s’allie à Soliman Le Magnifique. La France a toujours été le modèle de la Nation, c’est pour ça que je suis très nationaliste, qui essaye toujours de résister à la domination de l’Empire allemand ou de l’Empire anglais. Et quelque part, cette histoire se répète, à part qu’il y a des hauts et des bas, et aujourd’hui nous sommes très très près de l’abdication totale, pas par le peuple mais par les élites évidemment élargies. Et c’est un combat fondamental à mener, qui est un combat culturel et de défense.
Et moi, c’est ce que je fais en banlieue. Je fais redécouvrir aux jeunes de banlieue l’amour de la France par la découverte du génie et de la grandeur française, pas de toute la France et de tous les Français, mais que la France a produit Bayard, elle a produit le Grand Condé, elle a produit Éric Tabarly. Et vous arrivez à faire aimer la France comme ça, pas en menaçant de botter le cul des jeunes qui se tiennent mal, parce que souvent les jeunes se tiennent mal en France, parce qu’ils méprisent la France, parce qu’on les a éduqués au mépris de la France, via les éducateurs trotskistes, et qu’effectivement il est normal qu’ils n’aiment pas le pays tel qu’on le leur présente. Et ce que je dis d’ailleurs à ces jeunes, c’est : « La France que vous n’aimez pas, nous ne l’aimons pas non plus. » Il y en a une autre, qu’on vous a cachée, et c’est la vraie, la Grande France, etc. Et là, d’un seul coup, tout change. Et c’est fondamental. Évidemment, ce n’est pas italien, mais je pense que les Italiens peuvent avoir le même combat d’une certaine façon.
Je suis plus nationaliste qu’européiste. (À Gabriele Adinolfi :) Chaque fois que la France s’est prise pour un Empire, elle s’est cassée la gueule, elle est tombée plus bas qu’avant le début de son épopée. Et l’aigle n’est pas du tout le symbole de la France. Quand on met un aigle au milieu du drapeau français, c’est qu’on sort du logiciel français. Et il est évident que quand je dis que la France doit reprendre conscience de son génie, c’est dans le but d’une coopération des nations européennes, qui sont de grandes nations. L’Espagne est une très grande nation, qui a dominé le monde au XVIe siècle. L’Italie est une très grande nation, qui a dominé le monde pendant des siècles, c’est l’Empire romain. La France a été la grande nation du XVIIe et du XVIIIe, l’Allemagne du XIXe et du début du XXe, et on parle bien effectivement d’une coalition de nations qui ne sont plus en rivalité de domination, d’écrasement, parce que l’Empire dont tu parles, c’est l’Empire où ce sont des nations qui coexistent, des nations où on ne nie jamais leur spécificité culturelle, leur spécificité religieuse, etc. Ce n’est pas un écrasement impérialiste mais c’est, effectivement, cette idée d’Empire. Et effectivement, si la France toute seule voulait mener une espèce de guerre avec cet impérialisme qui s’est d’ailleurs appelé « l’universalisme français » et qui a été l’issue de la Révolution française où on a voulu faire adhérer les autres nations d’Europe par la force et par la violence à l’universalisme français, qu’on peut appeler le « panfrancisme », évidemment, la conséquence est catastrophique puisque c’est la coalition au bout de quinze ans de tous les peuples d’Europe contre la France. Ça donne effectivement la France d’après Waterloo, qui est le début de notre déclin en termes démographique et en termes d’affluence, etc. Donc je suis tout à fait d’accord qu’il n’y a pas du tout à opposer, de même que dans une logique française j’ai toujours dit : « Des régions fortes, une France forte » ; il n’y a pas à opposer l’échelle régionale à l’échelle nationale. Ce sont des nations fortes, conscientes de leur culture et de leur histoire, pour une Europe authentiquement autonome.
Vous voyez, ce ne sont pas des oppositions à faire de dire : « La France contre l’Europe. » C’est sûr que l’Union européenne n’est pas l’Europe. Ça n’a rien à voir. L’Europe existe, elle est historique, elle est incontestable. Moi, j’aime aller en Italie, j’aime aller en Allemagne, j’aime même aller en Angleterre, pour laquelle j’ai un très grand respect, même si je sais que c’est notre ennemi éternel et historique. Et ce qui me fait peur dans la marche du mondialisme, c’est qu’effectivement, plus je voyage loin, moins je vois de différences quand j’atterris. C’est-à-dire que je vois finalement une uniformité culturelle mondiale, qui est toujours d’ailleurs le modèle. C’est toujours une adhésion par le plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire le jean, la basket, la grande surface, et la world music. Donc c’est une destruction de culture. C’est pour ça qu’il faut, même au nom d’une renaissance continentale, défendre les nations, et même les frontières. Il est très agréable de changer de pays et de voir que quand on passe de la France à l’Allemagne tout est différent, et c’est ce que j’aime. Et c’est d’ailleurs même pour ça que j’ai déploré à une époque la chute de l’URSS, car j’aimais aussi qu’il y ait un autre continent moral possible en Europe, un monde différent où l’on pouvait aller se cacher si l’on avait des ennuis, etc. ; et en réalité, au nom de la culture de la différence, qui est la grande mode des écologistes, il faut défendre effectivement les différences, et les différences culturelles, les alternatives de gestion, les continents moraux différents, etc. Et ce combat-là, à la limite, est le combat écologique authentique contre l’uniformisation, qui renvoie à l’élevage en batterie des poulets et à toutes les saloperies qu’on voit en ce moment, avec les raviolis à la viande de cheval frelatée, etc.
Donc ce combat en plus est facile à mener face à nos opposants stupides, qui prétendent être des écologistes, qui défendent soi-disant la diversité, etc., et qui sont en fait des agents souvent non sus et idiots de l’uniformisation mondialiste, qui est une destruction de toutes les spécificités. C’est ce que je disais d’ailleurs comme exemple pour les banlieues. Quand on est un Maghrébin musulman avec un Français de souche, on ne crée pas un apport des qualités de deux civilisations, ça donne un sous-prolétaire américain de ghetto, le résultat. Ça ne donne pas un type qui a à la fois un béret, une baguette et des babouches, ça donne un type en survêtement avec des baskets con comme un balai, ce qui veut bien dire qu’il faut bien comprendre ce peuvent être deux cultures qui se rapportent ou deux cultures qui se détruisent. Et la logique impériale actuelle, c’est de télescoper et de mettre en confrontation des cultures pour qu’elles se détruisent elles deux pour se soumettre à une culture tierce, qui est la culture mondialiste américaine du sous-prolétariat de ghetto, dont l’exemple maximal aujourd’hui est le rap. C’est pour cela que je viens d’éditer un bouquin qui s’appelle L’Effroyable imposture du rap, parce qu’il est important aujourd’hui de comprendre que ce qu’on pense être un moyen d’émancipation et un vecteur pour le combat est en réalité un outil qu’on vous donne pour annuler toute possibilité d’indépendance, d’autonomie et de prise de conscience.
Présentateur : Sur cette idée un peu impériale continentale, on a vu en France, on a parlé de Depardieu. Est-ce que ce n’est pas quelque chose comme ça ? Est-ce que ça n’illustre pas cette logique-là, qu’on passe d’une sphère d’influence à une autre ou que certaines de nos élites ont compris qu’il faut s’orienter ailleurs ?
Alain Soral : Je réponds en tant que Français. Moi, j’ai défendu Depardieu dans ma dernière vidéo parce que :
1) Depardieu est un Gaulois typique. C’est un type du peuple qui a réussi et qui est devenu une vedette mondiale. C’est-à-dire que c’est quelque chose.
2) Surtout, on voit à un moment donné qu’il quitte la France. Et ça veut dire qu’aujourd’hui, un Gaulois qui aime la bouffe et le pinard et qui a une espèce de truculence, en est réduit à quitter le pays pour aller en Russie, ce qui est intéressant, c’est-à-dire un pays où l’on peut encore retrouver quelque chose qui ressemble à la France des années soixante, vous voyez, puisqu’il y a ce décalage. Et on voit toutes les élites au pouvoir lui cracher à la gueule alors que toutes se réclament de l’Amérique et d’Israël.
Donc c’est un vraiment un marqueur qu’on a passé un seuil critique. C’est qu’aujourd’hui, on a Depardieu qui veut se barrer, Brigitte Bardot qui veut se barrer. C’est-à-dire que ceux qui sont des symboles de la France aujourd’hui se sentent tellement mal dans leur pays et tellement détestés par les élites en place qu’ils en sont réduits à se barrer. Et ça veut dire qu’on a atteint effectivement un seuil critique. C’était pas encore ça il y a dix ans. On y est aujourd’hui. Moi, je vois que beaucoup de gens avec qui je communique sont des expatriés. Ils me disent : « Moi, j’adore tellement la France que j’étais obligé de partir. »
Présentateur : Ça, ça nous amène aussi à un cadre plus général. Donc on avait reçu Pierre Hillard à Nice il y a quelques mois, vous deux, dans vos livres, vous développez un peu l’arrière-fond du mondialisme, c’est-à-dire une mystique du mondialisme, alors peut-être qu’on pourrait aller vers ce sujet-là, et ensuite on passera peut-être aux questions du public ? Est-ce que derrière l’aspect technocratique il y a une mystique, un projet à long terme qui est mené ?
Alain Soral : Alors moi qui viens de l’École marxiste, dans un premier temps, je vais dire que oui, en fait il y a un monde qui fuit vers une direction, et cette direction lui est imposée par ce qu’on appelle la logique du capital, par la dérive de l’accumulation. Et c’est vrai que techniquement, c’est vrai aussi, parce qu’en fait le profit, pour surmonter ses contradictions, est obligé d’avoir une intelligence pratiquement autonome, et donc impose une espèce de ligne de fuite qui s’impose aux élites, qui y adhèrent effectivement pour la rente, et effectivement qui les amène presque je dirais malgré leur volonté objective, dans une direction qui est justifiée effectivement par les bas instincts matériels. Et c’est vrai que cette analyse fonctionne. Mais l’analyse totalement inverse, c’est-à-dire magico-mystique, fonctionne aussi très bien parce qu’il y a des élites qui ne sont pas seulement capitalistes, et historiquement ont imposé le capitalisme par l’ingénierie effectivement des comptables et des banquiers venus du talmudisme et du cabalisme, pour comprendre ça, il faut lire Werner Sombart, Les Juifs et la vie économique. Ce sont eux qui ont monté toute cette ingénierie, et qui à la fois imposent une logique d’ordre mathématique, et en même temps qui est hantée par une vision du monde, qui est celle de l’Ancien Testament, c’est-à-dire un prophétisme, un messianisme, une logique de la fuite en avant, c’est-à-dire que la promesse est toujours demain, la transformation est la clé permanente du sens, c’est-à-dire que rien ne doit durer, donc tout doit être détruit, avec cette idée aussi de nomadisme, c’est-à-dire de mouvement, etc. Et on voit aujourd’hui effectivement que le capitalisme est à la fois une machinerie économico-mathématique qui a une relative logique interne, et en même temps est portée par une oligarchie qui, elle, effectivement, est une oligarchie, je le dis, anglo-américanosioniste, judéoprotestante, et dont effectivement la matrice sacrée est l’Ancien Testament, qui d’ailleurs ne s’oppose pas seulement au monde païen, mais s’oppose aussi aux Évangiles, si l’on comprend bien que Jésus est un helléno-chrétien et qu’effectivement, il y a une rupture très violente entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, notamment sur la notion d’élection, ce qui est très important.
Donc quand on pense qu’on est un élu, c’est-à-dire que l’on n’a pas de valeurs à acquérir par une démarche du type de celle d’Ulysse, et qu’on est a priori supérieurs par la grâce de Dieu, et que le monde nous est promis sans qu’on ait besoin de le mériter ou de le gagner en recourant aux valeurs morales, on a vraiment le monde juif opposé totalement au monde grec dans cette histoire. La figure d’Ulysse, c’est la figure totalement opposée puisque tout vient de son mérite et de ses combats, et au début, il n’est qu’un homme, et il s’élève à la dimension de héros par une praxis et une souffrance, alors que l’autre est prédestiné pour. On voit très bien d’ailleurs que dans l’épopée capitaliste européenne, il y a un substrat juif au niveau de toute l’ingénierie capitaliste, et aussi pour accéder à une certaine échelle, l’épopée protestante est un retour, quand on réfléchit bien, à la ligne de fond, notamment le protestantisme quand il évolue à travers l’Angleterre par le puritanisme puis par l’évangélisme américain, un retour à l’idée de prédestination, d’élection. Donc nous sommes face à des gens qui pensent qu’ils sont des élus, que le monde leur est promis, qu’ils ont le droit de conquérir des territoires qui ne sont pas les leurs pour apporter leur vision du monde, et que les autres doivent s’y soumettre et penser que c’est un bien. Que ce soit la colonisation des Palestiniens ou des Indiens d’Amérique, on le voit très bien.
Donc, on voit très bien que cette coalition américano-anglo-judéo-protestante, qui est aussi l’épopée capitaliste, qui est aussi l’épopée thalassocratique, c’est-à-dire effectivement ce monde qui n’est pas le monde de la terre et de l’enracinement et du producteur sédentaire, mais le monde effectivement qui a à voir avec la mer, qui est le monde de la mobilité et de l’absence de frontières et des espaces sans limitations. On voit bien qu’on a ce monde de la domination qui est à la fois une oligarchie bancaire et une oligarchie religieuse. Et on voit très bien que quand on gratte et qu’on va au-delà des marxistes ou des trouillards comme Michel Collon, que ce ne sont pas juste des techno-gestionnaires du capital, qui produisent des produits financiers. Ils sont aussi des mystiques d’une religion précise, qu’on appelle, excusez-moi, dans les années trente, la religion judéo-maçonnique. Et on sait très bien que la religion de la République et de la laïcité est la pensée maçonnique ; que cette pensée maçonnique n’a pu exister que contre le catholicisme et par la médiation du protestantisme, et qu’aujourd’hui, si on regarde les élites françaises, elles sont toutes maçonniques, et spécifiquement de la maçonnerie du Grand Orient, et très souvent très teintées de sionisme inconditionnel, et bien souvent dans une vision très méprisante du travailleur productif et enraciné. Donc on voit bien qu’il y a une cohérence globale au niveau idéologico-technico-religieux, et c’est même tellement visible que même nos propres élites d’aujourd’hui ont du mal à nous apporter la controverse. Et qu’est-ce qu’ils font ? De la reductio ad hitlerum. Oui, bien sûr, ça nous rappelle les années trente. Peut-être que ça rappelle les années trente, oui, et alors ? Je n’y peux rien, je fais un constat. Et on y est.
D’ailleurs, on voit qu’un des moyens de la manipulation subtile, c’est d’opposer toujours ces deux visions. C’est ce dualisme, alors qu’en réalité, souvent, l’opposition est par l’unité dialectique. Est-ce que c’est la structure ou est-ce que c’est le sujet ? La réalité est une dialectique de la structure et du sujet. Le sujet est structuré par la structure, et il rétroagit sur la structure par son autonomie de sujet. Et de dire que tout est sujet, comme le faisait d’ailleurs Sartre – il était payé pour ça –, avec ce concept très creux de la liberté absolue qui pouvait effectivement nier les rapports de classes, etc., ou de l’autre côté ce déterminisme matérialiste intégral. En fait, en nous faisant toujours choisir entre deux camps, c’est un peu comme si vous deviez choisir entre l’OM et le PSG, de comprendre seulement que vous êtes abrutis par le football. À un moment donné, il faut refuser ce dualisme imposé, car en général, c’est une stratégie justement pour que vous échappiez à la conscience. La conscience est très souvent tierce et dialectique, et d’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le symbole absolu de la domination est le triangle. Je pense que c’est une des fonctions de domination du sport. Le sport est toujours basé sur le fait qu’il y a deux équipes. Et vous êtes tout le temps en train de penser qu’il y a la Gauche, la Droite, l’équipe de l’OM, etc. En réalité, le monde ne fonctionne pas comme ça.
On voit très bien, avec le recul historique, que finalement il n’y avait pas seulement l’URSS opposée à l’Amérique, mais il y avait aussi des gens qui finalement étaient à la tête de ces deux trucs et qui, à Yalta, s’étaient partagés le monde, quand un tiers exclu est mis à mort, etc. Et dès qu’on arrive à sortir de cette logique binaire : « Est-ce que tu es de Gauche, est-ce que tu es de Droite ? », la phrase la plus insupportablement stupide dans laquelle on est tous enfermés en permanence, est : « Est-ce que c’est le capitalisme ou est-ce que c’est la religion ? » « Est-ce que c’est le bourgeois ou est-ce que c’est le Juif ? » Par exemple, pour oser dire ça, ben qu’est-ce que c’est qu’un Juif ? C’est un bourgeois qui croit en Dieu, ce qui lui fait un atout de plus, alors que le bourgeois ne croit qu’en sa rente. Donc à un moment donné, il faut échapper à ces exclusives binaires qui sont, à mon avis, un des moyens les plus subtiles de la domination. C’est d’ailleurs – moi j’ai réfléchi pour ça – une des raisons, à mon avis, du sport de masse. Le sport de masse vous oblige à croire qu’il n’y a toujours que deux équipes. Et dès qu’on arrive à échapper à ce choix : « Est-ce que tu es de Gauche, est-ce que tu es de Droite ? » « Est-ce que tu es pour l’OM, est-ce que tu es pour le PSG ? » ; on commence à créer la possibilité d’accéder à la conscience du réel tel qu’il fonctionne. Et donc, c’est très important. Et vous verrez que toute la violence politique permanente, c’est de vous obliger à dire si vous êtes de gauche ou de droite, si vous préférez l’OM au PSG, si vous préférez l’Amérique à la Russie. À une époque, c’était : « Est-ce que tu es communiste ou capitaliste ? » « Est-ce que tu es pour la Russie ou est-ce que tu es pour l’Amérique ? », etc. Et là, quand on parle de Chavez : « Est-ce qu’il était un bon dirigeant ou est-ce qu’il était un mauvais dirigeant ? » Il y en a qui trouvent que c’était bien, d’autres que ce n’était pas bien. Souvent, en réalité c’est : « Pour qui c’était bien ? Pour qui c’était moins bien ? » Mieux pour certains, moins bien pour d’autres. On est toujours en train de nous empêcher l’intelligence de la complexité. Et tout l’appareillage de domination idéologique est là pour produire des catégories binaires : « Est-ce qu’il faut que ce soient les femmes ou les hommes ? » On le voit très bien. Et ça, dès que vous êtes là-dedans, vous avez déjà renoncé à l’intelligence.
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