La petite coterie des dessinateurs de presse est en deuil. Elle a perdu ses membres les plus en vue, ceux qui perpétuaient, contre vents et marées, une tradition qui ne faisait plus trop recette : celle des fonctionnaires bien nourris d’un pseudo contre-pouvoir.
Charlie avait crevé bien avant de mourir sous les balles, abandonné à son sort par Val et ses larbins, qui avaient placé le journal sur des rails indignes de vrais rebelles, les rails de la soumission et de la démagogie. Trahissant en cela le testament de Cavanna. Chier sur le pape ou Sarkozy n’a rien changé et ne changera rien, tout simplement parce qu’ils ne sont pas le vrai pouvoir, mais des leurres pour idiots… ou lâches. Cette profonde imposture, les dessinateurs de presse français n’en sont souvent pas conscients. Ils croient dur comme fer à ce qu’on leur a inculqué : ces enfants de pauvres baignent depuis tout petits dans une gaucherie navrante, qui croit et fait encore croire que les méchants c’est les flics, les beaufs et les curés. De la niaiserie à l’état pur, qui nous fait hésiter entre « ils sont irrémédiablement simplistes », ou « cette bande de cloportes n’a pas assez de couilles pour viser le vrai tabou politique ». Le pire, c’est l’association des deux, ignorance confortable et manque d’audace. Rien de plus normal, la lucidité se marie rarement avec la lâcheté.
Caroline Fourest motive son Éloge du blasphème :
« Parce qu’aujourd’hui c’est la petite lumière qu’on essaye d’éteindre et derrière c’est évidemment tout qui partira avec : la philosophie des Lumières qu’il y a derrière, le droit de moquer le sacré, si on peut pus moquer le sacré on n’est déjà plus en démocratie laïque, donc il fallait défendre les plus audacieux, les plus ambitieux, les plus avant-gardistes, pour, défendre tout le reste derrière. »
(La Cité du Livre, LCP, 23 mai 2015)
L’imposture est là : qui va croire que de se foutre de la gueule des beaufs, des curés, des militaires et des musulmans est encore subversif ? Comment peut-on une seconde croire à cette fable pour collégiens vallaudbelkacemistes analphabètes (double pléonasme) ? Les plus audacieux, les plus ambitieux, les plus avant-gardistes, ils ne sont pas dans les journaux, même dits « subversifs » ! Le vrai pouvoir ne laisse passer que ce qui l’arrange, et ce qui l’arrange, c’est chier sur la France, les petits Blancs (avant on disait les beaufs), les musulmans, les catholiques (les protestants sont épargnés), et un peu moins les militaires depuis que BHL les a autorisés à bombarder la Libye et ratisser le Sahel…
Le vrai pouvoir est antifrançais, comme Charlie ; antimusulman, comme Charlie ; antichrétien, comme Charlie ; il est sioniste, un point c’est tout. Là, tout devient clair. Et ce n’est pas un faux attentat avec de vrais victimes à l’intérieur qui nous fera changer d’avis : exploiter à mort la soumission ou la crédulité de l’équipe de Charlie Hebdo pour désigner l’ennemi, le fondamentalisme musulman, serait à pisser de rire s’il n’y avait pas eu tous ces innocents envoyés dans l’Autre Monde. Et après on va dire que c’est nous les dégueulasses ! Ah, elle est belle, la France hazizée, qui brouille les consciences, déglingue les lucidités, et couine shoah à la moindre impasse logique, quand la tournure des évènements commence à se retourner contre elle. Cette injustice, cette inversion des salauds, au sens sartrien, on la connaît tous, puisqu’on la subit.
Charb devant le jury du Prix de la Laïcité, le 8 octobre 2012 à la mairie de Paris :
« Et je suis content que vous ayez cité l’église catholique, non pas que j’ai une rage particulière contre l’église catholique mais en ce moment l’actualité nous rappelle que les méchants sont les islamistes, alors effectivement ils sont méchants. Mais faudrait rappeler que derrière en embuscade se trouvent des gens beaucoup plus nombreux qui ont beaucoup plus de force, beaucoup plus de puissance, et qui n’attendent qu’une chose, c’est que les musulmans fassent le sale travail, c’est-à-dire écraser la laïcité pour pouvoir s’engouffrer dans la brèche… »
Ce petit discours de Charb devant le milliardaire Bergé devient plus clair lorsqu’on remplace « laïcité » par « sionisme ». C’est de bonne guerre : à la guerre, tous les coups sont permis. Il faut supporter sans mot dire le système qui décore des artistes aux ordres, ces crobardeux calculateurs qui caricaturent en bande Sarko en petit singe et Hollande en patapouf du matin au soir, jusqu’à la nausée. Ras-le-bol de ces fonctionnaires de la révolte molle, qui envoient leur petit dessin politiquement incorrect très correct à des canards boiteux qui font croire à leur public qu’on « tape sur les puissants » pour donner l’illusion de liberté. Tu parles d’une mascarade !
- Le beauf est nazi
Ah les croquis foireux du Canard Enchaîné, le concours du dessin le plus naze, chaque mercredi, où l’on égratigne gentiment avec un microgramme de poil à gratter le faux puissant du jour, en général un tocard de troisième zone ! Ces manipulateurs savent très bien qui il ne faut pas toucher, qui déclencheraient les foudres en cas de dessin vraiment crade, à la Reiser ou à la Vuillemin ! Ils ont de la chance, d’ailleurs, que cette génération de dessinateurs soit si agressive dans la forme, et si servile dans le fond. C’est la formule gagnante : tu envoies du bois dans le trait, pas de concession coco, Hollande à poil avec Valérie, ou Julie, mais au fond, tout le monde s’en branle de ces guignols, tout juste payés à jouer aux rois de France pour les vrais Rois. Ce sont des rois-bouffons, qui dansent pour les vrais boss, comme dans Sons of Anarchy, les Kings de Belfast, les rois de l’IRA, ceux qui décident de tout, et qui ne payent pas de mine. Pas de déjeuner à l’Elysée ni de limousine, pas de protocole et autres salades, non : eux tiennent les cordons de la bourse, et tout le monde par les couilles, avec de vrais emmerdes (médiatiques, fiscaux, physiques) au premier récalcitrant.
Le Premier ministre ne file pas droit ? Une campagne de presse dans la gueule, avec un dossier ficelé comme un rôti refourgué au Canard ou à Mediapart, ces officines déguisées en journaux d’information. Ah elle est belle l’information pour tous ! Le peuple peut aller se rengorger de liberté avec ce mélange d’évènements sans importance, de feuilletons grotesques, de news sans queue ni tête.
- Ha ha ha, mort de lol de rire ! Martine Aubry représentée en éléphante !
Et le dessinateur, sur ce tas de mensonges, qui envoie sa petite obole, ayant bien intégré les sujets interdits, les décideurs intouchables, et qui tire avec son pistolet à bouchon sur le même gros couillon, qui va servir de cible, jusqu’à ce qu’on (le choix du peuple) le remplace, cramé de chez cramé… Ah le lobby a de quoi en brûler, des marionnettes, elles se bousculent au portillon, pas pour la France, ni pour les Français, uniquement pour briller, profiter. La France, le pays, les gens, les pauvres, ils n’en ont rien à branler, ils ne savent d’ailleurs même plus ce que c’est, puisqu’ils viennent tous d’en haut. Le meilleur des dessinateurs peut s’acharner sur Valls ou Sarko, Hollande ou NKM, c’est toujours la même scène, tirée de la même pièce, mille fois jouée et rejouée, usée jusqu’à la corde, et qui use les acteurs de plus en plus vite. Pourquoi croyez-vous que le septennat est passé au quinquennat ? La durée de gestation de la lucidité diminue…
Alors le Plantu, tout gentil qu’il est, avec son esprit de camaraderie internationaliste antiméchants, il peut continuer à dessiner ses mickeys, à faire sourire le rédacteur en chef ou le directeur du Monde, qui regarde d’un œil inquiet les vautours des banques planer au-dessus de sa tête, déjà mise à prix, dès le jour de sa prise de fonction. La peur vient d’en-haut, et dégringole liquide le long de la pyramide hiérarchique.
Les petites émoticônes mitraillées contre les leurres que le pouvoir change à volonté ne sont que des mouches sur le cul d’éléphant du sionisme des médias français.
Caricaturistes, fantassins de la démocratie
C’est une blague, ce titre ?
Canal+ diffuse le 19 mai un hommage aux courageux caricaturistes de plusieurs pays. Un documentaire déjà diffusé par France 3 le 9 janvier, après la tuerie de Charlie Hebdo. Le film, applaudi par Télérama, date pourtant de 2014, et avait même eu les honneurs d’une projection à Cannes. Plantu, la star du Monde, sert de fil rouge entre les pays et leurs dessinateurs vedette, de grands artistes qu’on voit au travail : Zlatkovski en Russie (interdit par le KGB dans les années 70-80), Slim en Algérie, Danziger aux États-Unis, Kichka en Israël… il y en a pour tous les goûts. Mais les dessinateurs ne s’extraient pas de leur contexte national, et tous ont des convictions profondément ancrées, plus ou moins exprimées selon la force répressive du pouvoir en place.
- Rayma Suprani, caricaturiste au journal El Universal à Caracas : « Mes dessins ont toujours critiqué le pouvoir et le gouvernement. »
On découvre qu’en général, le dessinateur de presse se dresse contre le pouvoir en place, ce qui se conçoit. À ce propos, le doc offre une plage d’expression étonnamment longue à Suprani la Vénézuélienne, qui nous explique à quel point le populiste Chavez fut nocif pour son pays. On la croirait spécialisée dans l’antichavisme, rappelant les innombrables dessins de Luz moquant, voire humiliant Sarkozy. Est-ce l’influence de la ligne éditoriale du Monde, antichaviste primaire, sur Plantu ?
Toujours est-il que le public attend de l’humour et de la provocation, avec plus de latitude que dans l’écrit, de la part de ces affranchis que sont les caricaturistes de presse, sortes de bouffons du roi. C’est la noblesse du métier, représenter un certain contre-pouvoir… toléré. Car au final, même si certains nous présentent leurs dessins non diffusables, plutôt que non diffusés, ils savent toujours jusqu’où ils peuvent aller. Ainsi, Kichka le Franco-israélien, dessine-t-il Sharon, qu’il dit détester, sans que ses planches ne déclenchent une convocation au Shin Beth. Il est vrai qu’on peut faire preuve de finesse dans l’attaque du pouvoir, en travaillant sur le double sens. Mais les propos de Kichka ne laissent pas de doute :
« Mes parents sont des rescapés de la Shoah, chacun à sa manière. »
En face, Boukhari le Palestinien, considère, lui, que le Hamas est un groupe terroriste. On reste donc entre gens de bonne compagnie. Il est vrai qu’avec Plantu (de son vrai nom Plantureux) comme guide, il ne faut pas s’attendre à du bolchevisme :
« La démocratie c’est un combat de tous les jours, c’est jamais acquis… En travaillant en France, j’ai quand même la chance de pouvoir m’exprimer sur tous les présidents qui sont passés, pressions ou pas pressions on s’en fout, je dessine tout ce que je ressens. »
Définition de la liberté selon Plantu : faire des petits dessins coquins sur les présidents. Le nec plus ultra en matière d’insoumission : un brassard légèrement nazi sur Sarkozy, qui téléphonera souvent à la direction du Monde, alors tenu par Fottorino. Mais Plantu peut être lucide.
Devant un dessin de Kichka représentant Tzipi Livni, la tueuse du Mossad devenue une des personnalités politiques les plus en vue en Israël, il avoue :
« Si je fais un dessin du nez comme ça, je peux pas terminer la journée. »
Ce à quoi Kichka répond :
« Mais il faut émigrer en Israël, tu auras la vie tranquille. »
Emporté par son élan d’idéalisme extatique, Plantu tente de rapprocher Pérès et Arafat (de leur vivant) en leur faisant dessiner le drapeau du camp d’en face… Sympathique, mais niais. L’invariant entre tous ces virtuoses – leur trait est expressif, reconnaissable et fort – c’est qu’ils savent d’instinct les limites de leur espace de liberté. Mais on se rend compte que même en tapant fort sur les puissants, comme Danziger avec son « Dick » Cheney, eh bien le système ne change pas d’un iota. Conclusion ? La dérision permet juste à une partie du public de se sentir « exprimée » dans sa critique du pouvoir, tout en ne réclamant pas le pouvoir ; ce qui es, in fine, l’important.
Si personne ne demande aux dessinateurs de prendre les armes, ou de se faire sauter avec leurs dirigeants honnis, on comprend qu’ils ne sont que des petites soupapes, autorisées parce qu’utiles au pouvoir. Ils prouvent, premièrement, que le pouvoir est tolérant car l’opposition de rue peut s’exprimer ; et ensuite, que le pouvoir est fort… ou inamovible. Le dessin anti-Sarkozy chaque jour de 2007 à 2012 dans les journaux de gauche a « fait du bien » au peuple de gauche, qui se sentait agressé par les réformes de ce VRP du libéralisme prosioniste. Et puis c’est tout. Une sensation de liberté fugace, un soulagement un peu lâche, une vengeancette sans effet notable sur le pouvoir réel.
Le petit chat de la Tunisienne Nadia Khiari, qui a symbolisé pendant la révolution orange les craintes et espoirs des démocrates tunisiens, n’empêchera pas la montée en puissance des islamistes d’Ennahdha (le dessin représente Hamadi Jebali, islamiste chef du gouvernement de décembre 2011 à février 2013). De là à dire que seuls les bons dessinateurs sont des dessinateurs morts, ou menacés, il y a un pas que nous ne franchirons pas : les talentueux dessinateurs de Charlie ne sont pas morts à cause de leurs caricatures islamophobes (que pas grand monde ne lisait), mais bien comme victimes sacrificielles d’une stratégie du choc de l’opinion. Pour revenir aux vivants, nos gentils guerriers de la plume seront reçus en grappe par Kofi Annan, le boss des Nations unies, dans le cadre de l’association créée avec Plantu, « Cartoonists for peace », en 2006. Appeler à la paix, pourquoi pas, ça ne mange pas de pain. Plantu s’en est d’ailleurs fait le parangon, lui qui eut l’audace d’asseoir sa carrière en dessinant jusqu’à la nausée des innocents du tiers monde assassinés par de méchants dictateurs. La violence du propos ! Le courage de l’artiste ! Pourtant, Plantu sait faire dans le choquant, mais dans le sens du vent.
À la fin du reportage, voulant probablement passer pour une victime de la censure fasciste, le grand dadais, flanqué de son ex-patron, nous explique le problème :
« On est au palais de justice où dans quelques semaines on sera amenés Eric Fottorino et moi-même à s’expliquer… Je ne suis pas au-dessus des lois, je considère que quand y a un groupe de pression comme une association d’extrême droite, c’est la raison pour laquelle les chrétiens d’extrême droite nous volent dans les plumes… »
Fottorino, ex-rédacteur en chef du Monde :
« C’est une planche qui est parue dans le magazine qui s’appelait Le Monde 2 à l’époque… dans laquelle il y a tout un tas de dessins qui racontent une histoire, et donc le dessin incriminé c’est pas celui-là c’est ce petit dessin, alors effectivement on voit le pape sodomiser un enfant… Ce que je dirai aux magistrats le moment venu c’est que, est-ce qu’on doit condamner le dessin, ou est-ce qu’on doit condamner ce qu’il représente ? »
Plantu s’étrangle :
« C’est quoi ce silence de l’Église devant des viols de de de, de mineurs, et pis finalement je me dis mais y a une colère, et le boulot du dessinateur c’est d’exprimer cette colère devant cette église qui n’a rien fait ou qui a laissé faire, ou qui a protégé. Encore plus grave. »
Saluons le courage exceptionnel de Plantu, pourchassé par tous les catholiques néonazis de France et de Navarre (30 000 mails de protestation d’après lui, une véritable fatwa catho), pour avoir évoqué le viol d’enfant par le représentant des chrétiens. On l’a connu moins virulent sur le pouvoir sioniste et les grands rabbins. Au cours du procès, qui eut lieu le 2 juillet 2014, le Victor Hugo des petits mickeys s’est écrié :
« Quelle chance de travailler au Monde pour pouvoir publier et venger ces enfants qui ont été blessés ! »
Et maintenant l’axe de défense de Fottorino :
« Est-ce qu’on doit se choquer de ce dessin, ou est-ce qu’on doit se choquer de ce qu’il exprime ? »
Contrairement à la paire Plantu/Fottorino, Dieudonné avec ses sketchs et Soral avec ses déclarations ne bénéficieront pas de la relaxe des juges (du tribunal correctionnel de Paris en date du 2 juillet 2015) et de la mansuétude des médias. Dieudo et Soral n’ont qu’à apprendre à dessiner !