Il y a dix ans, au mois de février 2011, éclatait la guerre civile de Libye. Le 10 mars Nicolas Sarkozy s’immisça dans ce conflit interne en reconnaissant une délégation de rebelles comme représentant la légalité libyenne !!!
La France entra ensuite dans un conflit dans lequel ses intérêts n’étaient aucunement en jeu. Le 19 mars, elle obtint de l’ONU l’autorisation d’emploi de l’aviation afin de « protéger les civils », en réalité, les milices islamistes de Cyrénaïque et les Frères musulmans de Misrata…
Le but officiel de la guerre décidée par Nicolas Sarkozy était l’établissement d’un État de droit. Son résultat fut que les structures étatiques libyennes disparurent, cédant la place à des affrontements de milices islamo-mafieuses. Quant au vide libyen, il eut des conséquences sur toute la zone tchado-nigériane et sur une partie de la BSS [bande sahélo-saharienne, NDLR]. Sans parler de la création d’une pompe aspirante migratoire.
Cette intervention fit éclater les alliances tribales sur lesquelles reposait la stabilité politique de la Libye. Le régime du colonel Kadhafi avait en effet réussi à faire cohabiter centre et périphérie, en articulant les pouvoirs et la rente des hydrocarbures sur les réalités locales.
Politiquement, la Libye se caractérise en effet par la faiblesse du pouvoir central par rapport aux permanences tribales. Véritables « fendeurs d’horizons », les tribus les plus fortes contrôlent ces couloirs de nomadisation reliant la Méditerranée à la région tchadienne à travers lesquels se font les trafics d’aujourd’hui (drogue et migrants) et s’ancrent les solidarités jihadistes.
Faute d’avoir pris en compte ces données, ceux qui, au nom de l’illusion démocratique, déclenchèrent la calamiteuse intervention de 2011, sont les responsables de l’actuel chaos. En effet, les deux clés de la vie politique libyenne sont le tribalisme et le fédéralisme.
1) La Libye est naturellement multi centrée et le renversement du colonel Kadhafi a amplifié cette réalité en donnant naissance à de multiples lieux de pouvoir indépendants et à des rivalités de légitimités nées de la guerre. Stabiliser la Libye ne peut donc se faire qu’en prenant en compte son archéologie tribale. L’échec de l’État islamique aurait pourtant pu servir de leçon. Ce fut en effet la définition tribale du pays qui fut l’obstacle au califat universel prôné par l’EI, les fortes identités tribales ayant rendu impossible la greffe d’un mouvement composé majoritairement d’étrangers. Comment donc prétendre vouloir mettre un terme au conflit actuel quand les tribus, pourtant les seules vraies forces politiques du pays sont écartées des négociations ?
2) La Libye n’a pas de centre unificateur. Les trois provinces la composant n’ont aucun point de soudure et sont séparées par une masse saharienne vide à 95 %, alors que plus de 80 % de la population est concentrée sur une étroite bande côtière.
La solution passe donc par deux impératifs : 1) La reconstitution des alliances tribales forgées par le colonel Kadhafi. 2) Un vrai fédéralisme, car la Cyrénaïque n’acceptera jamais la fiction d’un État libyen dominé par la Tripolitaine… et vice-versa.