Grâce à une guerre de communication savamment orchestrée, nos gouvernements et leurs relais médiatiques tentent de nous faire croire que la rébellion a conquis les cœurs de l’entièreté du peuple syrien contre un « clan qui s’accroche au pouvoir ». Les messages de la rébellion et son drapeau inondent nos écrans tandis que les symboles du gouvernement se sont évaporés de même que les dizaines de milliers de soldats de l’armée. La grande muette syrienne, l’ombre d’elle-même ?
Durant mes visites en Syrie, du temps où les autorités m’y autorisaient, je croisais souvent de jeunes soldats en permission déambulant de manière insouciante dans les rues de Damas, Homs ou Alep.
Le contraste entre l’iconographie officielle glorifiant une armée syrienne invincible et ces jeunes hommes en treillis se baladant en se tenant par la main (une coutume fort répandue dans la société syrienne) ne manquait pas de me faire sourire.
Je ne doutais nullement de sa capacité à être brutale dans sa mission de défense de la patrie (comme d’ailleurs toute armée en guerre), mais en tant qu’armée de conscrits pouvant aligner plus de 300 000 femmes et hommes du peuple, elle était une institution fortement respectée voire fanatiquement défendue par des millions de citoyens comme on a pu le voir dans les cortèges gigantesques l’année dernière avant que le pays ne plonge dans le chaos.
Aujourd’hui, grâce à une bonne dose de désinformation inoculée chaque jour depuis 22 mois, les médias occidentaux ont réussi à réduire la réalité plurielle et ambivalente de cette armée à son expression la plus repoussante : tueuse d’enfants. Comme si les groupes terroristes ne s’en prenaient pas délibérément aux enfants en les égorgeant, en les envoyant au front comme chair à canon, en occupant des écoles, en faisant exploser des bus et des quartiers populeux.
L’attentat terroriste qui a ravagé hier le quartier de Qatana dans la banlieue de Damas en est une triste illustration : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=5wSH7_spGIw# !.
Pour cultiver la haine et le dégoût à son égard, nos médias ont boycotté toute image de cette armée, espérant ainsi étouffer toute compassion de l’opinion occidentale envers ses 12 000 martyrs et son combat patriotique.
D’ailleurs, face aux accusations qui l’accablent, l’armée n’a jamais de droit de réponse.
Pire, sur nos écrans, les soldats qui la composent n’ont ni visage, ni famille, ni sentiments, ni espoirs. Ils sont tenus collectivement responsables des actes de vengeance commis par certains soudards.
Pour avoir une idée du degré de censure que l’armée syrienne subit en Occident, osons une comparaison entre la couverture médiatique concernant la lutte syrienne contre le terrorisme et celle dont bénéficie l’État raciste d’Israël, bourreau du peuple palestinien.
Avant cela, il convient de rappeler que contrairement à Tsahal qui est une force d’occupation, l’armée syrienne est une institution légitime d’un État souverain qui défend son pays contre une agression étrangère dans le chef de mercenaires payés et entraînés par les forces de l’OTAN et les royaumes du Golfe.
Notons ensuite que les rares soldats israéliens qui meurent dans un combat inégal contre des Palestiniens soumis à une asphyxie et une terreur digne du ghetto de Varsovie (et que personne dans la région n’appelle à armer à l’exception de la Syrie, de la résistance libanaise et de l’Iran) ont droit à des obsèques retransmises dans le monde entier.
En revanche, jamais nos médias ne montrent les funérailles d’un soldat syrien tué. C’est à se demander s’il a une cause à défendre ou s’il existe vraiment. Est-ce vraiment un hasard que les seuls militaires syriens visibles sur nos écrans sont ceux qui brutalisent les opposants et ceux qui font défection ? Est-ce par pure coïncidence que nos journalistes ne sont « embedded » que dans le camp rebelle ? Tout porte à croire que nous ne verrons jamais l’envers du décor comme a osé le montrer le journaliste russe Alexander Pushin pour la chaîne Russia 24 (cf. http://www.youtube.com/watch?v=R8SWzWtf8G8).
Sur nos antennes, l’armée israélienne, elle, a droit à toutes les faveurs et toutes les flatteries. Même ses points presse les plus furtifs sont retransmis en direct et parfois dans leur intégralité. Les visages de ses hauts gradés sont connus et même familiers. Leurs objectifs aussi. Ils peuvent déblatérer à longueur de conférences de presse leur propagande terroriste et coloniale. Après avoir « phosphorisé » les enfants de Gaza, le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères Ygal Palmor se permettait de plaisanter avec les journalistes français présentant le JT. Ainsi, quand il s’agit d’Israël, le cynisme des médias, surtout français et américains, devient la norme. Imagine-t-on le porte-parole des Affaires étrangères Jihad Makdessi ou le chef d’État-major Fahd Al Freij invités à parler en direct et plaisanter sur nos antennes ?
Il n’est pas exagéré d’affirmer que tout est calculé pour nous faire croire que l’armée syrienne est impopulaire et honnie.
Mais une fois encore, la réalité vient contredire les propagandistes de notre « grande » presse.
L’armée syrienne, de plus en plus sollicitée par la population
Aux quatre coins de la Syrie, les victimes de la rébellion se plaignent de l’absence de l’armée. Comme Georgia Jamal, la mère de Sari Saoud, ce petit enfant chrétien tué à Hayy al Bayada dans la ville de Homs alors qu’il mangeait des biscuits à la porte d’un petit magasin : http://www.youtube.com/watch?v=7knYa0S8ZNo
On objectera que ce drame date de l’année dernière. Mais l’année 2012 aussi a été marquée par l’appel à l’aide de foules prises en otages par la rébellion.
Parfois même des citoyens syriens en colère se sont plaints que Bachar n’était pas assez ferme contre le terrorisme et l’ont sommé de retourner à son ancien métier, celui d’ophtalmologue. « Bachar à la clinique, Maher à la direction du pays » (Bachar alal iyada, Maher alal qiyada) pouvait-on entendre dans certaines manifestations patriotiques.
Dans un article du 9 décembre 2012 intitulé « Syrie : Quand la révolution dérive », le Journal du dimanche (JDD) nous apprend que des civils dont de nombreux opposants au régime fuient les rebelles qui se comportent comme des pillards.
En mai dernier, soit il y a à peine six mois, l’agence chrétienne d’information Fides annonçait que des familles chrétiennes ont « abandonné le village de Dmeyneh, entièrement chrétien, se trouvant sur la route reliant Qusayr à Homs. (…) Le village est protégé par l’armée syrienne mais il a été touché ces jours derniers par des tirs de mortier effectués par des milices rebelles, tirs qui ont fait trois morts parmi les civils chrétiens : Hanna Skandafi, âgée de 60 ans, son petit-fils, George Skandafi, de 14 ans, et Jessica Layyous, 13 ans. » Quelques jours plus tôt, la même agence annonçait que plusieurs familles chrétiennes chassées du village d’Al Borj Al Qastal, dans la province de Hama ont pu regagner leur village. « L’Armée syrienne a en effet pris le contrôle de la zone et les habitants chrétiens ont pu rentrer en possession de leurs maisons », ajoute Fides.
L’armée protège donc bien des civils contre des bandes armées pratiquant un terrorisme aveugle.
On objectera que l’armée ne défend que les minorités menacées par des fanatiques rêvant d’imposer l’Islam puritain à l’ensemble de la société syrienne.
Or, pas plus tard que cette semaine, des habitants de la ville de Tarik al Bab au Nord d’Alep majoritairement sunnite, sont descendus dans la rue pour réclamer la libération de leur ville par l’armée régulière aux cris de « ASL voleuse, nous voulons l’armée régulière » (Jaych al Hor harami, bedna jaych al nizami) et « (Nous formons) une seule main » (Iyd wahdé, iyd wahdé ». En voici les images : http://www.liveleak.com/view?i=518_1355325968
Lorsque l’armée libère une zone, elle est souvent acclamée par une foule en liesse comme ce 8 décembre 2012 à Homs : http://www.liveleak.com/view?i=be7_1354969120
Cette fois, les « Allahu Akbar » saluent l’arrivée de l’armée…
Civils et militaires victimes de la désinformation
Chaque fois que nos yeux franchissent le mur de la censure qui nous sépare du camp loyaliste, nous découvrons une toute autre réalité, celle de civils ou de soldats doublement victimes, à la fois de la rébellion et de la propagande occidentale comme à Darayya, Houla ou à Jisr Al Choghour.
On se souviendra du reportage de Robert Fisk à Darayya dans lequel il expliquait que l’Armée syrienne libre (ASL) avait abattu de nombreux otages avant même l’entrée de l’armée dans la ville (« How a failed prisoner swap turned into a massacre » dans The Independent, 29 août 2012).
À Houla, 108 personnes dont 47 enfants périrent le 25 mai 2012 dans une opération « false flag » comme l’a révélé le journaliste russe d’ANNA-News Marat Musin. Ce massacre continue d’être arbitrairement attribué à l’armée syrienne et aux milices pro-régime.
À Jisr Al Choughour dans le Nord de la Syrie., 120 militaires loyalistes ont été massacrés les 6 et 7 juin 2011 après de violents incidents entre militants armés, soldats conjurés et forces de sécurité.
Les corps des militaires tués ont ensuite été enterrés dans des fosses communes aux abords de cette ville réputée être un bastion des Frères musulmans et du prédicateur antichiite Adnane Arour.
À l’époque, ce massacre avait été déguisé en « exécution de soldats refusant de tirer sur des manifestants pacifiques ». Le lieutenant-colonel félon Hussein Harmouche avouera plus tard avoir planifié l’opération de Jisr Al Choghour avant de fuir en Turquie. Selon de nombreux témoins oculaires, certains camps de réfugiés devant accueillir les familles des terroristes en territoire turc étaient déjà prêts avant l’attaque, notamment celui de Yayladagi ! (CNN, State TV : « 120 security forces killed in Northern Syria », 6 juin 2011.)
Dans l’enregistrement téléphonique intercepté par les autorités et retransmis au JT de la chaîne nationale syrienne au début du mois de juin 2011, un certain Ahmad prévient son interlocuteur Assaad de « ne surtout pas dire aux médias que vous étiez armés pour ne pas que vous soyez dépeints comme des terroristes et des militants armés (sic) » (0 min, 48 sec.) http://www.youtube.com/watch?v=J0cwLeMX8MA
Cette consigne sera donnée à tous les réfugiés interrogés par les médias dans les camps turcs installés dans la province du Hatay. Il faudra attendre dix mois avant que les premières langues ne se délient (Andrea Glioti, « Secret from Jisr Al Shugour dans The Majalla », 5 avril 2012. Dans l’un de ces témoignages, il est question d’un massacre obscur de 15 ouvriers par les forces de sécurité ayant mis le feu aux poudres, un crime pouvant lui aussi avoir été perpétré par des terroristes revêtus d’uniformes militaires pour inciter les foules à l’insurrection.)
Dans une autre conversation téléphonique, un inconnu prévient un certain Mohamed d’évacuer les familles vers la frontière turque. Mais Mohamed se veut rassurant et prévient que l’évacuation des familles est terminée (3 min. 37 sec.)
Dans un enregistrement suivant, une femme paniquée téléphone à Hussein Harmouche pour le prévenir que la télévision nationale a retransmis les enregistrements de ses appels téléphoniques compromettants. Elle le supplie de ne rien dire par téléphone. Il sera livré par des agents turcs à leurs homologues syriens dans une opération rocambolesque (9 min, 43 sec.).
Les incidents sanglants qui ont conduit au massacre de Jisr Al Choghour nous rappellent que dans le conflit syrien, il y a dès le début de la révolte une répression brutale des forces militaires mais également complot, ruse, sabotage et désinformation de la part de l’opposition armée et surtout des massacres de civils et de militaires injustement imputés à l’armée régulière.
Malgré les apparences, l’armée syrienne tente d’épargner la population civile
Faisant fausse route à la ligne éditoriale de son agence, un journaliste d’AFP égaré dans les lignes loyalistes nous apprend le 6 septembre 2012 que l’armée tente tout de même d’épargner la population civile de dommages collatéraux.
« Crâne dégarni, flegmatique, ce général de la garde républicaine, une unité d’élite, est chargé d’une partie des quartiers les plus difficiles de la ville. « Nous devons reprendre aux terroristes les secteurs qu’ils détiennent en évitant au maximum de détruire la ville et de toucher la population civile pour qu’elle reste de notre côté. Cela nécessite du doigté », explique cet officier supérieur de 53 ans.
Si nous pouvons légitimement douter de l’efficacité de l’armée syrienne à épargner les civils et le patrimoine, sa volonté d’éviter un maximum de dommages collatéraux est en partie vérifiable à travers le nombre relativement faible de civils tués comparé à l’intensité des raids.
En effet, malgré l’utilisation systématique de l’armement lourd par l’armée régulière, le nombre de victimes civiles et rebelles reste relativement faible. Et très souvent, le nombre de soldats de l’armée syrienne tués est supérieur à celui du nombre de rebelles et de civils tués.
Lorsque l’on parle de 42.000 morts depuis le début de la révolte en mars 2011, nos médias oublient souvent de nous dire que près du tiers des victimes est composé de militaires loyalistes dont 12.000 soldats et plusieurs milliers de miliciens pro-régime. Sans compter les milliers de victimes civiles loyalistes.
Deux raisons peuvent expliquer cet équilibre macabre :
La première est que l’aviation syrienne mène des frappes mais ne pilonne pas comme nos médias le disent. Six mois de bombardements intensifs des zones urbaines n’auraient pas tué mille ni dix mille civils mais des centaines de milliers de civils.
La deuxième est que dans la plupart des cas, l’armée syrienne tente d’évacuer les civils avant d’entrer en action. Ce fut le cas l’an dernier à Baba Amr, le quartier de Homs occupé pendant plusieurs mois par les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) sans que l’armée régulière n’intervienne. Entre-temps, une filiale de l’ASL appelée « brigade d’enterrement » a profité de l’inaction de l’armée pour exécuter près de 300 personnes dans le quartier (cf. Ulrike Putz, « The Burial Brigade of Homs » dans le Spiegel, 29 mars 2012).
Il semblerait en outre que l’aviation dispose elle aussi d’un service de propagande qui s’adresse en particulier aux combattants étrangers et indirectement à la population civile. Avant d’entrer en action, les avions larguent des tracts en arabe où il est écrit :
« Réveillez-vous ! Vous, qui êtes venus chez nous en Syrie nous combattre au nom de l’islam, rentrez chez vous avant qu’il ne soit trop tard. Personne dans le monde ne viendra à votre secours. Vos amis brûlent même votre corps après votre mort (pour ne pas être identifiés comme combattants étrangers, NDT). Nous sommes sur nos terres et nous la défendrons jusqu’à la dernière goutte de notre sang (…) Les Américains et les sionistes se moquent de vous, de l’islam, des Arabes et de votre prophète. Ils veulent que vous vous entretuiez. Votre place naturelle se trouve chez vous pour défendre votre pays s’il venait à être attaqué. »
Voir : http://www.youtube.com/watch?v=7GmohWYzKN8&feature=share
Sans doute que ce type d’avertissements pousse les civils à évacuer les zones de combat et diminue de manière significative le nombre de victimes innocentes.
Idéalement, dans le meilleur des mondes, il aurait fallu que personne ne meure.
Mais notre monde tel qu’il est fait aujourd’hui ne permet pas à la Syrie de vivre en paix.
C’est à se demander à qui profite la destruction programmée du pays. Certainement pas aux Syriens…
Conclusion
Héritière de la guerre de libération nationale qui mit fin au colonialisme français, l’armée syrienne est malgré les innombrables exactions commises en son nom un acteur politique de poids jouissant d’un soutien populaire non négligeable.
Malgré les nombreuses défections et les revers militaires qu’elle a endurés, l’armée reste solide et continue de défendre les principales villes du pays. Il lui arrive encore de reconquérir des zones tenues par les rebelles comme certains quartiers d’Alep, de Maaret el Nomane, de Homs ainsi que certaines villes et villages entourant Idlib ou Deir Ezzor.
Nombreux sont les Syriens qui préfèrent rester sous la protection de l’armée car la stabilité leur assure des moyens de subsistance : un salaire, une retraite, des soins hospitaliers, une instruction.
La plupart des partisans du régime et même des rebelles savent que même si le président Bachar el-Assad venait à être assassiné, la guerre ne finirait pour autant. Les journaux abondent de témoignages de commandants rebelles lucides avouant la difficulté de conquérir le pouvoir parce que, contrairement à la rumeur djihadiste et occidentale, celui-ci ne repose ni sur un individu, ni sur un clan, ni sur une « secte » mais sur des institutions capables de se régénérer.
Malgré ses succès militaires, la rébellion n’offre à court terme, aucune alternative viable pour la population qu’elle contrôle. Elle semble plus soucieuse d’imposer un mode de vie austère étranger aux Syriens que d’organiser une administration et d’offrir des services. Il y a quelques jours, de nombreux internautes syriens s’étaient indignés de voir les rebelles acheminer vers la Turquie des outils de forage pétrolier syriens, une usine de sucre et même des stocks de farine.
La Syrie est doté d’un tissu ethnique et social complexe où les « gentils » et les « méchants » ne sont séparés par aucune barrière étanche. La guerre en cours est aussi inutile qu’absurde car elle offre au mieux une victoire à la Pyrrhus à l’un des deux camps.
Cette réalité doit nous pousser, nous citoyens du monde, à privilégier le dialogue inter-syrien pour éviter un maximum de souffrances à la population.
Bahar Kimyongür, le 14 décembre 2012