1.4
Le chapitre politique
Les faits : les conséquences de la crise commencent à apparaître sur le plan social, et les dirigeants politiques occidentaux se préparent à gérer une situation de très grande tension. L’investiture d’Obama a donné lieu en Occident à une opération de propagande d’une intensité sidérante. Objectivement, c’était ridicule, à la limite du grotesque propagandiste, disons, de la RDA d’Honecker. Ce genre de démonstration de propagande est le signe d’une puissance en déclin, entrée profondément en crise, et dont la virtualisation devient sans cesse plus spectaculaire, pour compenser un recul insupportable dans le réel. On remarquera au passage que ce fut la cérémonie d’investiture la plus chère de l’histoire : cinq fois plus coûteuse que celle de Bush en 2005 ! A ce prix-là, Obama pouvait prêcher la rigueur à ses concitoyens, au nom d’une Amérique forte de sa diversité, nous sommes l’Empire du Bien et nous décidons que le Bien est le multiculturalisme, etc.
La prochaine chronique bimensuelle (mi-février) sera consacrée à un zoom sur le programme du président Obama, donc passons tout de suite à ce qui se passe en Europe.
La Grande-Bretagne est peut-être à la veille d’une crise politico-sociale de très grande ampleur. Le peuple anglais commence à prendre conscience de sa situation réelle : ruiné financièrement, désertifié industriellement, déstructuré ethniquement. On se doute que ça ne met pas une bonne ambiance. Il est difficile de jauger à distance les réactions de ce peuple au flegme légendaire, mais ce qu’on peut constater, en tout cas, c’est qu’en apprenant que Northern Rock, banque nationalisée en urgence en 2008 aux frais du contribuable, allait verser 9 millions d’euros de primes à ses dirigeants pour les féliciter d’avoir tondu leurs concitoyens, nos amis anglais ont dû avaler de travers le traditionnel breakfast. En Islande, pays qui pourrait bien préfigurer l’avenir proche de la Grande-Bretagne, la police a dû utiliser des gaz lacrymogènes pour la première fois depuis 60 ans, l’implosion du paradis fiscal arctique provoquant une énorme crise sociale. La suite à Londres, en beaucoup moins anecdotique ? Réponse au prochain épisode.
Par rapport à l’anglosphère, les autres Européens sont généralement moins directement confrontés à la crise - à ce stade du moins. Ce qui est très inquiétant, en revanche, ce sont les manœuvres actuellement en cours chez nous, en France, dans le monde bancaire. Au-delà des effets de manche de Sarko (coup de gueule devant les caméras contre les patrons voyous, mais réalité discrète des non-lieux accordés par une justice mise au pas aux responsables du scandale Vivendi, Messier* et Bronfman), il y a la réforme de la distribution du livret A et la privatisation rampante de La Poste. Il est intéressant de relever que les quotidiens économiques soulignaient, récemment, la « complémentarité » entre les comptes de Dexia (en faillite virtuelle) et la manne de trésorerie représentée par le livret A. Le terme « complémentarité » est assez croustillant. C’est un peu comme si un gangster, en braquant une banque, disait au caissier : « Ton coffre-fort plein et ma poche trouée sont parfaitement complémentaires. Travaillons ensemble pour réaliser nos synergies. »
Notre situation est très simple. Avec un taux d’endettement total des acteurs non financiers égal à environ 160 % / 170 % du PIB, la France est évidemment en faillite collective (quand on n’a que 2 % de taux de croissance en comptant large, on ne peut pas s’autoriser un endettement pareil, car la croissance n’est pas suffisante pour financer les intérêts attendus par les prêteurs). Mais par rapport aux USA ou à la Grande-Bretagne, nous nous portons comme un charme (sur le plan financier, s’entend) - en effet, notre faillite est pour l’instant cachée, notre système de retraite par répartition nous a permis de ne pas comptabiliser nos dettes réelles. La finance mondialisée est, elle, aux abois, et elle va donc forcément nous regarder comme un loup mourant de faim peut regarder un mouton gras. Eux, ils sont plongés dans une crise de solvabilité monstrueuse, et nous, nous faisons partie des très rares pays à disposer encore de réserves de liquidités. Dans ce contexte, il faut observer attentivement toutes les manœuvres qui auraient pour effet de confondre des entités jusque là tenues à distance des marchés spéculatifs et des entités depuis longtemps plongées dans ces marchés. A ce stade de la crise, en politique intérieure et d’un point de vue bassement francocentré, c’est sans doute là que se trouvent les enjeux principaux : dans la défense des petits sous.
* A noter que, note comique dans une actualité plutôt déprimante, Jean-Marie Messier vient de commettre, paraît-il, un ouvrage où il recommande l’éthique comme porte de sortie à la crise. Ça ne s’invente pas.