Le comédien Michel Galabru, rendu célèbre par son second rôle dans la série monstrueusement populaire des Gendarmes, est mort ce 4 janvier 2016 à l’âge de 93 ans.
« Il [le public] est bien obligé de se mettre sous la dent ce qu’il a. L’époque est pauvre. Il n’y a plus de Claudel ! Bon, ça m’emmerde, Claudel, mais c’était un grand bonhomme. Côté acteur, Depardieu serait le seul à avoir cette dimension. Ce sont des symboles. Quand Raimu joue, c’est tout Marseille qui débarque. » (L’Express du 2 février 2012)
Après l’avoir cantonné à des rôles de crétin, le cinéma français de gauche (oxymore suivi d’un pléonasme) comprendra un peu tard qu’il tenait un grand comédien, doublé d’un véritable acteur. Galabru n’aura jamais eu son Tchao Pantin (à part Le Juge et l’assassin en 1976 et quelques solides seconds rôles dans des polars), cadeau que Claude Berri fera à Coluche, expérience qui ne sera d’ailleurs pas renouvelée. Mais Galabru, comme de Funès ou Marielle, ça sentait trop « la France », celle d’en bas, pour intéresser la Nouvelle Vague et ses descendants psychologistes américanophiles. Les nouvaux cinéastes comme il y avait les nouveaux philosophes, avec leur dessein bien particulier.
« Je les [les nanars] ai faits parce que j’avais besoin de travailler. Je tourne dans ce qu’on me donne. Donnez-moi quelque chose de mieux, je le ferai. »
N’empêche, le gros pépère qui singeait Marlon Brando dans Bienvenue chez les Ch’tis (2008), aura été de toutes les aventures – théâtre, mise en scène, cinéma, télévision, édition –, et sa filmographie est tout simplement impressionnante (200 films environ, sans compter les téléfilms, mais « il n’y en a qu’une dizaine dans lesquels mon rôle était important. Les autres, c’est un jour de tournage »). Impossible de mettre en cage ou en mots ce Raimu des années 70, qui aura eu la chance de vivre les années les plus populaires du cinéma national, tout en souffrant de sa mise à l’écart par le lobby des César. Qui lui fera l’honneur de quelques statuettes, histoire de se faire pardonner sa discrimination « politique ».
« Nous ne sommes que des intermittents. Je suis resté sans travail pendant huit mois. On attend que le téléphone sonne comme des putes ! C’est une mort lente. Je tourne en ce moment [2007] pour le cinéma mais ça fait six ans que je n’avais rien. »
Ce qui restera de Galabru, au-delà de ses grognements plaintifs – il incarnait le Français mécontent et méfiant, ce paysan profond – c’est sa faculté à tout jouer, comme un enfant. Justement, Michel était à la ville comme il était à la scène. Conscient d’être en bout de carrière, à 80 ans passés, il se lâchera en exprimant sa pensée sur le « nouveau cinéma français » (l’expression et les guillemets sont de nous), dans un extrait qui a tordu le rictus du landerneau médiatique :
Ici, Michel, qui était tout sauf con, évoque les déterminismes humains et l’absence de liberté, ce qui choque tout le plateau. Le Parisien parlera même d’un « dérapage » :
Galabru, ou le fossé grandissant entre les vrais comédiens français (le théâtre en produit toujours de très bons), et un cinéma qui n’en avait plus que le nom. Le fossé aussi entre le public français, et le cinéma du même nom. Qui impose de jeunes acteurs aussi mignons que creux (Galabru a toujours souffert de sa pseudo-laideur), qui n’ont pas le droit de vieillir et de (mal)penser, à un public de plus en plus jeune et de moins en moins cultivé.
Ce symbole résiduel d’un cinéma national, sorte de résistant malgré lui à l’américanisation du 7ème art, trouvera dans le théâtre de quoi satisfaire son instinct du jeu. Pour le voir au théâtre, c’est foutu. Donc allez au théâtre, tant que les acteurs sont vivants ! Et merde au cinéma et aux médias méprisants !