Le produit manufacturé – pire, industriel – n’a plus la cote. Sain retour en arrière, à une époque pas si lointaine où l’on s’occupait pêle-mêle de faire le jardin, la pâte à tarte, la robe des filles et les réparations de la toiture, l’éclosion depuis quelques années du mouvement « à faire soi-même » n’a échappé à personne. Il profite à la cuisine, aux produits d’entretien, aux produits de beauté et à la maison. C’est une très bonne chose : autant d’excipients, de conservateurs, de nanoparticules, et de perturbateurs endocriniens en moins. Cet élan devait, en toute logique, atteindre la sphère de la gestion de notre santé. Mais le sujet est légèrement plus complexe que de réapprendre à cuisiner. Si faire sa cuisine avec des produits frais est une ambition utile et réaliste, vous verrez vite émerger la friction entre aspirations légitimes et limites concrètes de l’idée même de « faire sa santé ». Car notre rapport à la santé est la conséquence d’un mélange entre des vecteurs contradictoires, mais bien actifs en nous : besoin d’être soigné et constat d’échec, contraintes subies et techniques d’évitement, propagande et réflexes culturels, médecine officielle et fausse concurrence.
Besoin d’être soigné et constat d’échec
Échec, parce que nous sommes collectivement de plus en plus malades. Le constat objectif du manque d’effet sur l’amélioration globale de la santé des populations par les politiques de santé du monde moderne est désormais extrêmement visible. La médecine moderne ne guérit pas, et les médications chroniques dégradent la santé. Il y a moins de dix ans, il fallait marteler sans relâche ce grand paradoxe, tant il était contre-intuitif. Mais les années covid ont secoué les préjugés et permis quelques prises de conscience. Le travail de l’oncologue et statisticien Gérard Délepine, qui s’appuit sur la publication en ligne Our World in Data, dirigée par l’université d’Oxford – et dont Wikipédia écrit qu’elle est entièrement financée par des dons individuels – permet d’affirmer que depuis l’apparition des pseudo-vaccins, la mortalité a presque quadruplé dans les pays les plus vaccinés [1]. Même travail sourcé pour l’analyste et statisticien Pierre Chaillot qui a réuni tout au long de la crise du covid les très officielles données d’EUROSTAT, de l’INSEE, de la DREES et autres ministères [2]. Cette évolution inquiétante, dévoilée au grand jour, est à l’origine d’un changement d’attitude d’une part non négligeable de la population vis-à-vis de la prise en charge médicale. Les perspectives du devenir des injections géniques ont servi de leçon. Le prix qu’auront certainement à en payer les générations futures effrayent secrètement ceux qui, en absence de conscience et de connaissance, ont fait – ou ont subi – ce choix. Et, peut-être, ne s’y laisseront-ils pas prendre deux fois.
Les médecins s’y mettent également. Dans une lettre ouverte adressée au conseil de l’ordre, un collectif de médecins belges écrit :
« Des milliers de médecins ont accepté, jusqu’à aujourd’hui, de se conformer à la doxa et à la censure imposées par des autorités de santé manifestement sous emprise des grands laboratoires pharmaceutiques et de leurs "experts". Par prudence, par soumission, pour éviter des ennuis, nous avons longtemps accepté de nous taire et d’obéir. Mais avec nos patients, dans la discrétion de nos cabinets, prudemment, à demi mot, nous étions déjà nombreux à émettre des doutes et des nuances par rapport au discours officiel que ces autorités tentent de nous imposer. » [3]
En d’autres termes, la part des patients éclairés et des médecins conscients grandit. L’idée d’une multitude de voies possibles – autre que la Doxa – pour soigner ou rester en bonne santé émerge pour certains et s’affirment pour d’autres.
Contraintes et techniques d’évitement
De moins en moins nombreux sont ceux qui se précipitent chez le médecin à la première occasion. On banalise son rhume, on prend des bonbons au miel, et on se dit que cela va passer tout seul. Les motifs principaux du « renoncement aux soins », largement mis en avant dans les sites officiels, sont un pouvoir d’achat en baisse et l’augmentation de la participation financière des patients [4]. Il y a en effet dans le mot renoncement cette notion très réelle d’abandon, faute d’argent ou de médecins disponibles. Mais l’étymologie du verbe renoncer renvoie aussi à l’idée d’acte volontaire faisant suite à une délibération intérieure. Car, oui, on peut choisir de renoncer aux soins ! Il faut donc comprendre qu’il existe deux catégories de renoncement. Le classique « renoncement barrière », par exemple un obstacle financier qui complique le parcours de soins. Mais également le « renoncement refus », qui témoigne « de l’expression d’une préférence – préférer se traiter par soi-même ou solliciter d’autres types de soins que ceux qui sont légitimes dans notre système de santé » [5].
Quelle que soit sa cause, le renoncement devient avec le temps une norme, ou du moins une habitude, pas seulement chez les pauvres ou dans les déserts médicaux. Ce serait passer sous silence des facteurs intrasubjectifs, comme la baisse de confiance dans le système médical ou dans le panel des solutions conventionnelles proposées. Échapper aux mesures coercitives est une autre grande motivation, puisque les décisions de santé imposées en haut lieux se traduisent par un entonnoir de prises en charge contraignantes, doublées d’obligations, auxquelles il est devenu extrêmement difficile de résister. Ainsi, se faire discret auprès de l’autorité médicale en se traitant soi-même est une façon de lutter contre une contrainte grandissante.
Propagande et réflexes culturels
Mais c’est plus facile à dire qu’à faire ! On ne s’affranchit pas si facilement d’habitudes et de peurs bien ancrées. Il s’est instauré avec le temps et l’habitude, une dépendance aux professionnels, dont on croit qu’ils ont toujours été là. Cette évolution vers une délégation des actes de santé s’est traduite par l’abandon de savoir-faire personnel au profit d’un « prêt-à-soigner », et le recours ultime et systématique à l’avis médical. Avis qui malheureusement prend l’allure, en médecine également, d’une pensée unique sans équivoque.
Dans la série « comment faisait-on avant ? », il serait bon de se souvenir que, jusqu’à une période récente, l’acte de soigner a rarement été le fait d’une profession. Bien avant Illich, Alexis Carrel dénonçait déjà « une santé artificielle qui repose sur […] des examens médicaux périodiques et sur la protection coûteuse des médecins, des hôpitaux et des nurses » [6].
Ce positionnement passif a mené à une forme d’acceptation consentie aux diktats médicaux en vigueur, puis à une infantilisation grandissante du sujet malade, devenu objet de soin.
Dans ce contexte ultranormé et technicien, reprendre son autonomie est un chemin long et difficile. Car – nous l’avons vu sans rien pouvoir y faire – les vieux réflexes réapparaissent en période de crise ou de doute. Ainsi, la plupart du temps, le désir d’émancipation du système est inversement proportionnel à la peur réelle ou imaginaire du pronostic, et à la gravité du problème de santé auquel on a à faire face. Avec toujours la bonne vieille distinction – c’est intuitif – entre petite et grande maladie. Si on lâche du lest sur les petits bobos, on revient vite au bercail de l’hôpital pour ce que l’on nomme pudiquement et presque par superstition les « longues maladies ». Mais si tel est le cas, le concept de prise en charge personnelle de sa santé ne pèse pas bien lourd. Si nous nous confrontions là à une limite infranchissable, alors il faudrait remettre en question la faisabilité d’un projet d’autonomie en santé. À moins de la considérer comme une coquetterie, juste bonne à se faire plaisir avec des mots.
Concurrence tous azimuts
Le désir d’une approche moins nocive, plus naturelle, pourtant déjà bien présent – et évidemment déjà investi par le monde marchand –, s’intensifie. Il y en a pour tous les goûts ! Le besoin et la demande font fleurir tout un échantillon de thérapies diverses et variées, de toutes les durées, de tous les prix et pour tous les problèmes. Mais cette offre qui semble sans limite est autant un frein au discernement, qu’une impression de liberté. Cette variété d’approches fournit à première vue la preuve d’une multipolarité et l’expression d’une ouverture. En réalité, il n’y a assez souvent que l’emballage qui change. L’offre de traitements anti-symptomatiques peut même être quasi identique, si ce n’était la mise en avant de molécules issues de la nature. On ne va pas bouder ce mieux relatif, mais nous sommes loin de la révolution. Le moins que l’on puisse dire est que cela reste extrêmement compatible avec le système et ses exigences libérales.
Cette apparente diversité est un parfait exemple du fait qu’il existe une opposition contrôlée, en santé comme ailleurs. En effet, contrôler l’opposition pour la diriger soi-même – soit la formule de Vladimir Lénine – fonctionne très bien pour le sujet qui nous occupe. Car en revanche, ce foisonnement de propositions peut devenir à tout moment un prétexte à la chasse aux charlatans, pour ceux qui deviendraient trop gênants. Ceux qui réellement proposeraient un changement radical dans la manière de soigner, que ce soit au niveau des coûts, ou d’une approche réellement plus démocratique du soin. Le discrédit systématique de l’homéopathie dans les médias, appuyé par de vrais mensonges, candidement énoncés sous couvert de science en est le symbole.
Ainsi, la promotion de la « santé naturelle » offre une rébellion acceptable, que l’on peut investir face aux insuffisances du système de soin. Donner l’illusion du choix, en mettant en avant des propositions voisines par essence, passe comme une lettre à la poste auprès du grand public qui ne s’aperçoit pas que sa résistance est parfaitement conforme au système en place. En réalité, nous restons sagement dans les rets du système, tout en payant de notre poche. Cette stratégie de tolérance – jusqu’à un certain point – pour les médecines dites alternatives permet de donner l’illusion du choix et la possibilité d’une fausse résistance.
Conclusion
La santé « fait maison » n’est encore aujourd’hui qu’un mirage. Parce qu’elle n’est que partielle, parce qu’elle sert à vendre des huiles essentielles, parce qu’elle est un contrepoint charmant qui n’existe que parce qu’on la laisse exister. Pourtant, le chantier pour parvenir à une véritable autonomie en matière de santé est indispensable. Et il est possible.
Pour y parvenir, il sera nécessaire de se poser les bonnes questions, et de considérer les trois conditions minimum préalables à l’exercice réel d’une santé artisanale autonome. À savoir, la question de la qualité, la question de la compétence, et la question du pouvoir. Autrement dit ma « santé maison » sera-t-elle efficace pour tout type de maladie, durable et sans mauvaises surprises ? Est-ce je pourrai apprendre à la faire mieux qu’un professionnel « industriel » ? Et surtout, est-ce qu’on me laissera faire ?