Cet article est la deuxième partie d’une série de deux, consacrée à la déification de la science dans le domaine de la santé. Deux ans de covidisme ont été l’occasion de mettre en lumière de bien des façons la tromperie généralisée en matière de politique de santé. Elle a l’appui des gouvernements et de l’Organisation mondiale de la santé. Elle bénéficie du relais sans distance ni mise en perspective, tant des médias que de Wikipédia. C’est entendu. Mais cela n’est que la partie visible de l’iceberg à éviter. Il sera plus difficile de déloger à la fois chez les médecins et chez les malades :
une certaine tournure d’esprit, après des décennies, voire des siècles (le pluriel est permis) de matérialisme et de réductionnisme.
le postulat que la science dit vrai, et que l’on peut donc s’y soumettre en confiance.
Pour illustrer le chantier en cours, qui est un défi immense tout autant qu’une nécessité, voici la deuxième vidéo promise. Il ne s’agit plus de la promotion d’un laboratoire par lui-même, mais de la célébration d’une découverte médicale. Les lauréats du Nobel de médecine 2018, James Allison et Tasuku Honjo, ont en effet été encensés à l’époque par les médias, ce qui est bien compréhensible et mérité. On pouvait entendre que les deux chercheurs avaient – selon la formule consacrée – révolutionné l’approche du traitements des cancers, en trouvant le moyen d’activer la réponse du système immunitaire. Ils pouvaient se prévaloir de la paternité d’une approche totalement innovante – toujours les mêmes formules – ayant abouti à une technique en plein essor – re – appelée immunothérapie.
Écoutez le ton enthousiaste, et très certainement sincère, de David Kahyat :
Une belle illustration de la tournure d’esprit dont je parlais plus haut ! Le génie des chercheurs n’est pas en cause, et il faut bien sûr continuer de chercher. Mais ce dithyrambe constitue en lui-même un des ressorts psychologiques de l’attente confiante en un progrès médical – et par la même occasion de l’incitation aux dons. Certes, nous ne pouvons pas faire autrement que de continuer à espérer. Il faut seulement rester conscient que ce genre d’annonce alimente le mythe de l’héroïsme médical, celui-là même qui a été mis intentionnellement à l’honneur pendant les confinements. Une dose d’espoir distillé à bon escient permettra de tenir encore un peu, et de se garder de changements trop radicaux, incompatibles avec le commerce.
David Khayat : « Globalement, ils ont découvert l’immunothérapie, c’est-à-dire un nouveau traitement du cancer. Ça change complètement notre façon d’imaginer le traitement du cancer. Jusqu’à maintenant, on avait la chirurgie pour enlever la tumeur, les rayons, la chimiothérapie, les hormones. À partir d’aujourd’hui, on a en plus l’immunothérapie. »
Nous découvrons incidemment que ce ne sont pas des guérisons que l’on fête, mais l’éventualité d’en obtenir bientôt. Nous avons ainsi l’assurance que dans l’arsenal thérapeutique, on disposera d’une technique supplémentaire. Le réconfort vient du nombre, et de l’idée que plus il y a d’outils, plus il y a de chance de guérison. Le raisonnement est un peu juste. Lorsqu’on a besoin d’un tournevis, les scies, marteaux, pinces et clés à molette s’avèrent peu utiles, malgré une profusion apparente. L’histoire du cancer est constellée d’annonces de ce type, non suivies de progrès pour les malades. Nous avions consacré un article entier à cette arlésienne : une façon d’entretenir le mythe de l’imminence de la solution. En général, les formules employées pour annoncer ces progrès à venir sont évasives : les « à condition », et les « peut-être » endorment la vigilance et attendrissent la vérité. David Khayat renouvelle l’exercice avec sa « façon complètement différente d’envisager le traitement du cancer », dont on doit se contenter quand on préférerait des chiffres et des tendances significatives.
David Khayat :« Alors de quoi s’agit-il ? En fait, si vous voulez, dans l’organisme, nous avons des globules blancs qui, à la fois attaquent tous les virus, les bactéries, tout ce qui nous attaque pour nous défendre, soit en attaquant directement la bactérie, le virus, soit en sécrétant des anticorps, qui tuent les bactéries et les virus. Ce système il est fantastiquement efficace puisque nous vivons entouré de germes qui nous attaquent en permanence. Or, nous survivons à ça. Parce que ce système est merveilleusement efficace. »
N’est-ce-pas que cela fait plaisir d’entendre ça ? C’est la reconnaissance que notre corps est parfaitement outillé pour se défendre contre les virus et les bactéries ! Serait-ce l’annonce d’un changement radical de la manière d’envisager la santé ? Ferions-nous machine arrière sur les traitements « palliatifs » pour promouvoir une prévention en bonne et due forme ? Et plutôt qu’attendre la maladie, explorer les voies qui permettent d’entretenir cette incroyable machine intelligente qu’est notre corps ?
David Khayat : « Alors on ne comprenait pas pourquoi ce système qui est là pour nous défendre contre tout ce qui est dangereux pour nous ne nous défendait pas contre le cancer. Quand on regarde au microscope un bout de cancer chez l’homme, on s’aperçoit qu’il y a plein de globules blancs autour. Mais ils dorment. Au lieu d’attaquer les cellules cancéreuses, ils s’endorment. »
Réductionnisme, quand tu nous tiens ! On regarde par le petit bout de la lorgnette, ici « un bout de cancer chez l’homme » et on perd de vue l’homme. Pour emprunter à notre camarade Xavier Moreau un peu de son vocabulaire et faire un parallèle dans le domaine de la santé, la tactique et la stratégie sont à revoir. Il est temps de prendre en compte le corps en tant que système, et non pas comme la juxtaposition d’organes ou de bouts d’organes.
David Khayat : « Et c’est pour ça qu’ils ont dit “réveiller le système”. Parce qu’en fait, on a compris pourquoi ils dormaient. Quand ils s’approchent du cancer, les cellules cancéreuses qui sont d’une intelligence remarquable, leur crachent à la figure un somnifère. Ce somnifère fait qu’ils arrivent pour l’attaquer et ils s’endorment. Ils n’attaquent pas. Eh bien, ces deux chercheurs ont trouvé deux façons de bloquer ce somnifère, qui ont abouti à la fabrication de nouveaux médicaments, extraordinairement efficaces dans plein de cancers. Donc c’est vraiment une nouvelle façon de traiter le cancer. Au début cela a commencé sur le mélanome, c’est-à-dire le grain de beauté, ensuite on a eu le cancer du rein, puis maintenant cancer le poumon. Enfin presque tous les cancers aujourd’hui réagissent. »
Je ne voudrais pas être rabat-joie, mais on déchante déjà : « Les médicaments d’immunothérapie, qui cherchent à déclencher une réponse immunitaire du corps contre les cellules cancéreuses, ont bouleversé la prise en charge des cancers depuis quelques années. Mais ils ne sont souvent efficaces que chez une minorité de patients, avec de fortes disparités d’un type de cancer à l’autre ». [1]
Intervieweuse : « Professeur David Kayat, Jimmy Carter, trente-neuvième président des États-Unis, a été soigné du cancer par ce système justement. »
David Khayat : « Absolument, exactement. C’est... ce, ce président était atteint d’un cancer mortel, hein. Il avait peu de chances de s’en sortir. Et puis, on a découvert l’immunothérapie. Il en a bénéficié sur un mode expérimental. Les médicaments n’étaient pas encore vendus en pharmacie. »
Intervieweuse : « C’est grâce à justement ces deux hommes ? »
David Khayat : « Et c’est ça qui l’a sauvé. Oui, complètement. »
Le biais de représentativité arrive au grand galop. Le cas particulier devient généralité. On a bien le droit de se faire plaisir ! Les sciences comportementales considèrent que parfois une seule occurrence suffit au cerveau pour qu’il en échafaude une généralité, et le secteur publicitaire au sens large ne se prive pas d’utiliser la combine. Si une célébrité, identifiée facilement et capable de mobiliser nos affects, est sauvée par l’immunothérapie, c’est forcément un argument !
David Khayat : « Ces chercheurs ont inventé un truc dingue. Ils réveillent les globules blancs et les globules blancs montrent toute leur efficacité. Ils détruisent les cellules cancéreuses. Donc au lieu que nous, nous tuons les cellules cancéreuses, on donne les médicaments au malade pour que le malade tue ses cellules cancéreuses. C’est fantastique. »
Bien que l’angle de recherche soit le même que d’habitude (la maladie est une bébête à détruire, et le vecteur de guérison est un médicament), il faut admettre que nous progressons, du moins conceptuellement. Il s’agit en effet d’activer le système immunitaire de l’organisme pour l’aider à éliminer lui-même des tumeurs. Mais loin d’être un saut quantique, ce progrès ne profitera pas à tout le monde de la même manière. Il arrive à point nommé pour l’opinion publique contentée, qui y voit à tort les prémices d’un réel changement. Il est surtout parfait pour le système de soin, qui a régulièrement besoin de se refaire une virginité en surfant sur les effets de mode – ici la mode du renforcement de l’immunité – sans que rien ne soit fondamentalement remis en question.
À la décharge des chercheurs, c’est sans doute le maximum qu’ils pouvaient tenter. On pourrait dire que cette découverte est Bigpharma compatible. C’est certainement la raison principale qui a valu aux chercheurs l’obtention de leurs crédits, avec des débouchés potentiellement rentables, qui comme de coutume, devaient rapporter plus que la précédente. Nous sommes encore bernés. Ces auto-persuasions de progrès qui n’en sont pas retardent en réalité l’émergence et la mise en place un nouveau paradigme de soin, ce qui est quand même la chose la plus urgente à faire. Pour se payer d’espoir – dont on ne peut décidément pas se passer – il faut miser sur l’oppression et le dogmatisme accrus ces derniers temps qui pourraient bien, et en vertu du principe de renversement dans les contraires, faire basculer la masse critique.