Grèves, scandale sur ses dépenses, convocation au ministère de la Culture : en une semaine, Mathieu Gallet, qui avait pris la tête de Radio France en mai 2014, est lâché de toutes parts, à tel point que sa démission semble aujourd’hui inéluctable. Dans cette affaire, une question se pose : comment, à seulement 37 ans, avec un CV tout à fait ordinaire, Mathieu Gallet a-t-il pu se hisser comme PDG d’une entreprise publique de 4 300 salariés ?
Lors de sa nomination à la tête de Radio France, Le Monde (11 mai 2014) décrivait Mathieu Gallet comme un « cas intéressant d’ascension contemporaine » et précisait :
« Le soir, Mathieu Gallet mène une deuxième vie, le théâtre, les garçons, les sorties […] D’humeur toujours égale, impeccable d’élégance avec ses chemises brodées à ses initiales. »
Diplômé de Sciences-Po Bordeaux et d’un DEA « analyse économique des décisions politiques » obtenu à Paris I, Mathieu Gallet a commencé sa carrière comme secrétaire particulier du metteur en scène homosexuel américain Robert « Bob » Wilson, avant de rejoindre Studio Canal comme lobbyiste, puis le ministère de la Culture en 2007. C’est là qu’il est rapidement devenu le « chouchou » de Frédéric Mitterrand, qui, hypnotisé, décrira à peine implicitement son jeune conseiller dans La Récréation (Robert Laffont, 2013) :
« Tancrède [nom du personnage incarné par Alain Delon dans Le Guépard, NDLR] séduit tout le monde et je n’échappe pas à la règle. On s’épuiserait à dresser la liste des raisons qui expliquent ce succès ; mettons que ses qualité intellectuelles sont à la mesure de l’attirance qu’exerce son physique. [ …] Tancrède se prête à chacun et ne se donne à personne. »
En 2010, à seulement 33 ans, « Tancrède » est propulsé à la tête de l’INA par l’entremise de « Frédo » : « les compliments de Mitterrand ont laissé supposer qu’il était in love », expliquera Mathieu Gallet dans Le Monde. Après avoir dirigé l’INA, soit un millier de salariés et 120 millions d’euros de budget, Mathieu Gallet a succédé à Jean-Luc Hees à la tête de Radio France il y a dix mois : une ascension aussi fulgurante que symptomatique de notre époque…
Mais depuis deux semaines, la machine s’est enrayée. Tout a commencé à la fin du mois de janvier quand Radio France a adopté un budget 2015 déficitaire de 21,3 millions d’euros. Dans la foulée, lors d’un comité central d’entreprise extraordinaire, la direction annonce qu’elle travaille sur un plan de départs volontaires de deux cents à trois cents salariés, au grand dam des syndicats, qui, après une première journée de grève en février, puis une deuxième le 10 mars dernier, avaient déposé un préavis de grève pour le 19 mars.
La veille du début de la grève, des révélations du Canard enchaîné sur les frais de rénovation du bureau de Mathieu Gallet (105 000 euros contre 34 500 prévus initialement) mettent le feu aux poudres, bien que l’intéressé assure que le marché a été passé avant son arrivée. Par ailleurs Libération l’accuse d’avoir, à son arrivée à Radio France, voulu changer les sièges en cuir beige de la Citroën C6 de fonction, avant de finalement faire acquérir une Peugeot 508 neuve. Toujours le 19 mars, les ministères de la Culture et des Finances diligentent une enquête pour vérifier les dépenses de la présidence, de la direction et du comité directeur de Radio France avec un périmètre étendu aux frais de réception, voitures de fonction et frais de mission.
Le 25 mars, Le Canard enchaîné enfonce le clou : Mathieu Gallet s’est octroyé, sans appel d’offres, les services d’un expert en communication, Denis Pingaud, ancien d’Euro RSCG, rémunéré 90 000 euros par an afin de gérer l’image de Mathieu Gallet et de l’« accompagner stratégiquement », alors même que Radio France dispose déjà d’un gros contrat de communication. Le jour même, alors qu’il est convoqué chez Fleur Pellerin, Mathieu Gallet apprend que le CSA, présidé par Olivier Schrameck, lui demande à son tour des comptes. Au matin du 27 mars, Manuel Valls lui demande d’« assumer ses responsabilités »…
Si le dossier peut paraître accablant, l’ « affaire Mathieu Gallet » reste toutefois anecdotique, comparée aux scandales qui ont émaillé les carrières de puissants toujours en poste, Serge Dassault ou les Balkany, par exemple. Avec son physique pour seul réseau, ce Bel-Ami du XXIème siècle n’aura rien pu faire face aux tirs nourris de la grande presse, alliée aux fonctionnaires bobos de Radio France jaloux de leur prébende. En moins d’une semaine, tous auront eu la peau de « Tancrède ».