Chaque période électorale devient un moment supérieur de crétinisme, un spectacle de pur abrutissement pendant lequel on constate une extinction généralisée de la conscience. Les meilleurs n’en sont pas exemptés.
On nous a desserré un peu la camisole totalitaire pour qu’on choisisse dans une collection de fripouilles laquelle va continuer l’œuvre de corruption, de pourrissement et de terreur !
Je ne vote plus depuis si longtemps que je me demande si j’ai jamais voté. Ah, si, je me souviens : j’ai voté Non à Maastricht et au traité constitutionnel, et Oui au Fâchisme en 2002.
« Élections, piège à con » : ce graffiti de Mai 68 fut pour moi une révélation qui instinctivement me ravit, même si j’étais encore trop enfantin pour le comprendre. Or j’étais très conformiste. Je croyais dans les fondements de la société. Je pensais qu’on devenait ouvrier si l’on travaillait mal à l’école, qu’un Grand général gouvernait la France parce qu’on l’avait choisi….Pas imaginable pour moi à cette date de comprendre la critique politique du graffiti.
Que des jeunes gens de l’Université, de futurs Messieurs, pussent formuler ce qui m’eût paru une insanité proférée par l’épicier ou le ramoneur, voilà qui passait mon entendement, aussi je cherchais dans cette maxime un fondement supérieur.
Auparavant, j’avais interrogé mon père : – Qu’est ce que c’est, maoïste ? – Des jeunes types qui voudraient qu’on devienne comme les Chinois, tous habillés pareil, le communisme absolu !
Je ne pouvais pas croire que ces types, mes aînés qui en étaient aux études supérieures, pussent désirer vraiment le nivellement par le bas.
Absolu ! voilà le mot clé. Tant j’étais socialement conformiste que je ne pouvais imaginer de leur part une volonté de communisme absolu autrement que métaphysique. Leur communisme devait être une sorte d’ascèse monastique. La Bure prolétaire et la Bible rouge à psalmodier.
Esclaves de l’absolu, ils en devenaient inhumains ! Ce mépris pour les contingences me semblait mystique et féroce. Avec la touche d’irrévérence et de dédain d’aristocrates de l’esprit qui prônaient l’effacement de toutes les plates distinctions sociales. Je ne jurais plus que par les prochinois, avec de tels arguments que ma mère parlait de me faire examiner.
Je n’imaginais pas un instant que des ouvriers auraient pu vouloir cela. Je connaissais des ouvriers, ils étaient honnêtes et polis, ils avaient un bleu du dimanche bien repassé, ils n’allaient pas à la messe parce qu’ils étaient du Parti communiste, mais Jésus leur pardonnerait, les pauvres. Jamais, au grand jamais, ils n’auraient voulu tous nous obliger à porter le bleu et à méditer le livre rouge, la pensée de Jacques Duclos. D’ailleurs tout le monde savait que le parti détestait les maoïstes.
Élections, piège à cons renforça en moi cet enthousiasme. Le Suffrage universel, le fondement de notre meilleur des mondes possibles, ils le rejetaient sans doute parce qu’il y avait Sheila, Guy Lux, Henrico Macias, enfants de tous pays, cet infantilisme yéyé qui ravissait mes sœurs.
Quel mépris des idées reçues ! Ce graffiti, contre lui, boursouflait les imbéciles : « Que c’est con de dire "élections, piège à cons" ! Qu’est ce qu’ils veulent, la dictature ? »
Qu’il est loin le temps. Plus tard, je compris qu’il s’agissait de railler la participation des esclaves à leur servitude.
Mais aujourd’hui je pense à nouveau que j’avais eu un peu raison dans mon intuition, plus profonde que je ne l’ai cru jusqu’alors.
Aujourd’hui, même sans connaître l’histoire ni la généalogie politique du pouvoir, même sans un atome de conscience politique, il est à la portée du premier convenu de comprendre le caractère mondial, global, multinational, du pouvoir des grands vautours du capital. Et personne ne peut croire sérieusement qu’une de ces mouches à merde qui bourdonnent autour de ce morceau de roi qu’est l’Élysée, serait en mesure de clouer le bec de vautours. Ce qu’elles veulent, ces mouches véreuses, c’est aspirer avec leur petite trompe les sucs délicieux du pouvoir absolu.
En France on élit son dictateur !
Le suffrage universel français renforce la dictature universelle.
Participer à cette farce, dans sa plus abjecte aliénation qui est l’élection d’un autocrate méprisable, comme le sont d’une manière croissante tous les présidents français, revient à une volonté de continuer la dictature. Avec des variants insignifiants, genre plus de théorie du genre avec l’ex-sénateur, ou moins d’Arabes avec le juif-arabe. Mais ne varietur.
« Nous sommes en guerre », certes !, et la guerre ça simplifie. Y en a-t-il un seul parmi ces prétendants qui se poussent sur le devant de la scène, qui ait osé dire « si je suis élu, retrait de l’OTAN, alliance avec la Russie » ?
Alors qu’est ce qui pourra bien changer ?
Annexe
1848, suffrage universel mâle. Il fut octroyé par la rusée bourgeoisie pour vaincre la tentative révolutionnaire de cette époque. La révolution n’étant présente que dans les grands centres industriels, le suffrage universel noya la poudre des fusils des ouvriers sous les flots des bulletins paysans et boutiquiers. Puis les dirigeants socialistes devinrent eux mêmes des boutiquiers et des ploucs.
1944, droit de vote des femmes, par l’ordonnance du 21 avril 1944, parce le capital crut, à juste raison, que leurs suffrages iraient aux partis bourgeois conventionnels plutôt qu’au Parti communiste. Ensuite le Parti communiste et ses avortons gauchistes devinrent féministes, évidemment.
PS du 30 mars :
Afin que les commentaires n’aient pas l’air d’être tombés ici accidentellement, j’ai demandé à la Rédaction de remplacer tout l’article par :
Élection étant piège à con ! Abstention révolutionnaire !
Sinon de préciser que celui-ci dit plus modestement :
que le suffrage universel est un suffrage au monde
que l’essence du monde est la médiocrité.