Cher Alain,
Ça fait bien longtemps que j’ai envie de vous écrire ces quelques mots.
J’ai 37 ans. Il me semble que je représente, bien malgré moi et malheureusement, tout ce que vous exécrez : à savoir juif ashkénaze 100 % (polonais par mon père et hongrois par ma mère) et avocat.
Mon père était pédiatre (né en 1939 et décédé aujourd’hui) et fils de tailleur à Saint-Ouen.
Toute ma famille paternelle s’est cachée dans la cave de leur immeuble à Saint-Ouen pendant la guerre, protégée par une concierge belge, pour échapper aux rafles de la Gestapo et de la police française. Pendant la rafle du Vel’ d’Hiv du 16 juillet 1942, la police est venue chercher à l’école une cousine de mon père, âgée de 6 ans environ, gazée et brûlée quelques jours plus tard.
Mon père a conservé son étoile jaune avec laquelle je jouais enfant... Il a changé son nom dans les années 70 en raison de la judéophobie qu’il ressentait pendant ses études de médecine.
Ma mère est née à Budapest en 1947, ses parents ont été déportés à Auschwitz, Bergen Belsen et Mathausen. Ils en sont revenus pour rester en Hongrie. Puis ils se sont enfuis de Hongrie en 1956 pour s’établir en France. Mon grand-père maternel était menuisier dans le 12e arrondissement.
Je ne fais pas toute une histoire avec la Shoah, mais je ne peux effacer cette histoire familiale de mon cerveau. Mon prof de philo disait d’ailleurs que celui qui n’a pas de passé n’a pas d’avenir.
J’habite dans le 11e à Nation et mon cabinet est dans le 14e, porte d’Orléans.
Je suis réellement un petit avocat qui travaille beaucoup, je ne roule pas sur l’or et j’exerce une activité en droit public pour le compte de collectivités locales. Je ne me sens pas bobo, et d’ailleurs je vote à droite depuis toujours.
Je voudrais simplement vous dire que je passe de très longues heures la nuit à regarder vos vidéos, vos interventions et vos conférences et que je me sens réellement et sincèrement très triste de m’en prendre autant dans la gueule en tant que juif alors que j’adhère pleinement à un grand nombre de vos analyses, telles celles, par exemples, relatives au sport, à l’handisport, aux bobos, à Merluchon, à Hollande, aux rapports humains en général, à la drague de rue, à l’amitié, la virilité, le respect, la courtoisie, la politesse, la gentillesse, etc.
Toutes vos analyses sociétales, et souvent politiques, sont à mes yeux extrêmement brillantes, fluides, justes et de bon sens. Vous trouvez les mots que je ne trouve pas, vous les prononcez avec force, sincérité, conviction et violence légitime.
Mais je me sens extrêmement perturbé par mon adhésion à toutes ces analyses tout en étant horrifié par le torrent de haine que vous déversez sur la « communauté organisée » ou le « clan tribal », parfois non sans raison sans doute. C’est la raison pour laquelle je continue de vous écouter et vous regarder en prenant les analyses qui me parlent sur les sujets de société et en essayant de ne pas prêter attention à vos harangues sur les juifs.
Je ne suis pas communautariste, je mange du porc, je ne suis absolument pas pratiquant, je suis au degré extrême de l’intégration, je ne suis lié à aucun mouvement juif (UEJF, B’nai Brrith ou LDJ), je ne fais pas de politique, je ne fréquente que très peu de juifs. Mais en vous écoutant, je me sens malgré tout extrêmement exclu de la société française ou gauloise que vous décrivez alors que je pense y mériter ma place.
Votre sœur disait que vous disiez beaucoup de conneries de façon très intelligente. Je ne partage pas son point de vue car je considère que vous énoncez beaucoup de choses intelligentes de façon brillante. Alors que je devrais vous haïr, je ne peux m’empêcher de vous trouver sympathique et attachant.
Je ne sais pas si j’ai réussi à résumer ma pensée mais je tenais à vous faire passer ce message. J’espère en tout cas, par ce message, ne pas relever de l’infamie du « con du mois »...
Bien à vous et en toute sincérité.