Bonjour M. Soral,
Ça fait longtemps que je voulais vous écrire, je me décide enfin à le faire. Je suis algérien, né et vivant en Algérie. Je suis architecte, je consulte régulièrement votre site, la publication récente d’une lettre d’un Algérien « Pas très fan de la France » a suscité beaucoup de commentaires, ce qui témoigne de la sincérité des membres d’E&R. Néanmoins, je voulais vous apporter un témoignage (le plus fidèle possible) de l’opinion générale ici en Algérie.
Ça fait presque dix ans que je ne regarde plus la télévision, je vous ai découvert il y a quelques années sur internet par un pur hasard, en visionnant un extrait d’une émission de Taddéï. Il faut dire que ça été directement un véritable électrochoc. C’est difficile de vous rendre justice en parlant de vous face à la médiocrité ambiante, une vieille sagesse arabe dit : « Ne voyez-vous pas que c’est insulter le sabre que de dire que c’est plus aiguisé qu’un bâton », l’émission redevenait brusquement inintéressante dès que vous vous taisiez. La différence était flagrante, vous m’avez fait le même effet que lorsque l’on marche les yeux rivés sur le gazon et que l’on se prend brusquement un arbre.
S’en est rapidement suivi le désormais célébrissime canapé rouge, et ensuite vos ouvrages. J’avais déjà à l’époque écrit à un ami, vous décrivant : « Alain Soral : personnage atypique, parcours atypique, d’une intelligence rare, philosophe, politicien, sociologue, essayiste, critique en art, critique en mode, cinéaste, éditeur … bref, son champ d’expertise donne le tournis, le gars est capable de s’exprimer sur des sujets allant d’une jupe à une multinationale ».
Aujourd’hui, j’aurais simplement dit que l’histoire se souviendrait sûrement de vous, de l’originalité de la ligne E&R, de vos alliances avec la dissidence française, européenne, et extra-européenne (Cheikh Imrane Hosein par exemple) comme l’un des moments historiques les plus significatifs de ce début de siècle.
Je voulais revenir sur quelques commentaires de nos amis français, d’abord ceux qui s’étonnent du fait que vous êtes suivi en Algérie ou au Maghreb, ou que des Algériens puissent s’exprimer sur des questions « françaises . Une question mérite peut-être d’être posée : comment alors des gens de différents horizons arrivent à comprendre les problématiques que vous soulevez, même venant d’un autre continent ou d’une autre religion ? Il se peut que votre objectif final soit de servir les hauts intérêts de votre pays, ce qui est fort louable en soi, mais ceux qui vous cloîtrent dans les seules considérations franco-françaises ôtent toute dimension universelle à votre discours philosophique et aux valeurs que vous défendez. Ceux qui ont lu vos ouvrages comprennent que la menace est globale et que vous parlez de la « révolte des nations » au pluriel. Et si entre nations il n’y a que des alliances d’intérêts, cela n’enlève rien à leur nécessité.
Je voulais aussi vous parler de ces étiquettes de « victimaires » ou « revanchards » qui sont systématiquement collées aux Algériens. Je suis musulman, je suis patriote, j’aime profondément mon pays et j’éprouve un profond respect envers les valeureux martyrs (c’est désolant de devoir se justifier à chaque fois, les temps sont ainsi), tout ça pour dire que cela ne m’a jamais emmené à détester la France ou son peuple ; si j’aime mon pays j’aime aussi ceux qui aiment le leur, je fais raisonnablement la différence entre un discours anti-immigrationiste et un discours raciste, et je reste très sensible à vos arguments quand vous dites que ce n’est pas le paysan français qui a décidé de la colonisation de l’Algérie, mais une élite historiquement bien identifiée. « Les excuses » sont peut-être une demande de l’État algérien, mais ça n’a aucune présence dans le discours quotidien des algériens d’Algérie.
Je ne sais si c’est de culture, de métier ou de caractère, je n’ai jamais trop apprécié les auteurs qui font parler les animaux pour leur faire dire des sagesses humaines, les cinéastes qui habillent des événements historiques avec des valeurs étrangères à leur époque, et de même je n’apprécie guère qu’un intellectuel ou politicien torture l’histoire dans tous les sens pour en extraire de la moralité.
L’histoire est certes faite par des hommes mais l’âge d’une nation n’est pas l’âge d’un homme. Et les nations ne s’excusent pas pour leur histoire. L’Empire Ottoman a été démembré parce qu’il était faible. Et nos martyrs se sont soulevés pour reprendre ce qu’ils considéraient comme étant le « leur », et pour cela ils ont combattu une injustice coloniale et non un peuple.
Je ne suis ni ignorant, ni amnésique, mais point de victimisation, point de « pleurniche », point de demande d’excuses. Je voulais finalement revenir sur les français d’origine algérienne, de la 2ème et la 3ème génération. Dans la famille élargie, j’ai beaucoup de cousins, nés et vivants en France, leurs enfants sont nés et vivent en France. Ni eux ni leurs enfants ne parlent un mot d’arabe ou de tamazight. Ils ne tiennent pas un strict engagement religieux tel qu’il devrait le faire. Ils sont totalement dépendants de leur vie en France, ils ne veulent ni peuvent venir vivre en Algérie, et ne viennent presque plus en vacance, mais ils s’accrochent quand même à l’illusion d’un sentiment « patriotique » à l’égard d’un pays qu’ils ne connaissent pratiquement pas ou plus, avec même un petit sentiment d’avoir à compenser en filigrane, de devoir être plus musulman que les musulmans, ou plus nationaliste qu’un algérien du quotidien.
Je ne suis aucunement dans une démarche d’exclusion, ni dans le jugement, je m’interdis de dire que je suis plus musulman ou algérien que les autres. Mais aux rares occasions qui se présentent, je leur répète souvent qu’il ne s’agit pas d’oublier leurs origines ni de manquer de respect au pays de leurs parents, mais le malaise c’est plutôt de renier l’amour que porte un humain naturellement à la terre qui l’a vu naître et a vu naître ses enfants, et qu’ils ne seraient pas considérés comme traîtres pour autant.
Durant les fêtes ou les grands rassemblements familiaux, jamais je n’ai entendu quelqu’un les traiter de traîtres pour cela. Et les vieux, avec leur bon vieux sens populaire des catégories, même étant les victimes directes des injustices coloniales, je ne les entends parler entre eux que de deux catégories, ceux qui ont réussi leur vie et ont bien éduqué leurs enfants, et ceux qui vivent « volontairement » du RSA et dont les enfants remplissent les prisons.
Je vous prie d’excuser mon manque de maîtrise de la langue par moment, le français étant une deuxième langue, apprise à l’école. Et je vous prie aussi d’excuser l’usage excessif du mot « JE », ce n’est aucunement de mes habitudes. Notre prophète QSSL nous met en garde contre ce mot, qui est le premier pas vers l’égoïsme et l’arrogance, il disait « Qu’Allah me protège du mot MOI », mais JE n’ai su écrire cette lettre autrement. Ce n’est pas de ma petite personne que je voulais parler mais juste essayer de vous faire l’écho des choses que j’entends souvent autour de moi, de la part d’autres Algériens, musulmans, patriotes « du quotidien ».
Je vous souhaite force et courage pour la poursuite de cette noble mission de réconciliation que vous avez entreprise.
D.I.