Monsieur,
J’ai été idiot. Idiot de considérer un instant l’interdiction du spectacle Le Mur comme une avancée démocratique – bien sûr, a écrit Musil, si la bêtise ne ressemblait pas à s’y méprendre au progrès, au talent, à l’espoir et au perfectionnement, personne ne voudrait être bête.
Je m’en veux énormément de n’avoir pas su voir plus tôt en cette affaire les prémices d’une grande épuration « éthique » qui sera vraisemblablement perpétrée dans l’indifférence générale. Les récalcitrants sauvagement isolés, si je puis dire, n’ayant plus le droit, à l’inverse de ce qu’on autorise encore dans les bonnes vieilles dictatures, de prétendre au statut de martyr. Dieudonné, en tout cas, n’en a pas eu le droit.
Et en fin de compte, pourquoi lui a-t-on serré la vis comica à Dieudonné ? Parce qu’il a fait l’éloge du Mal ? Non ! Je crois que ce qu’on lui reproche, c’est d’avoir problématisé le Bien (au sens de cette masse asphyxiante qui nous somme de cesser de penser). Il a ri d’un malheur ; d’un vieux malheur. Il a voulu très légèrement ébrécher cette espèce de monument magico-politique élevé hors des juridictions de la critique et de la comédie qu’est la Shoah. Il a tourné en dérision, et pas méchamment, nos saints modernes dont on pouvait déjà admirer les reliques de leur vivant. Tel fut son crime.
Bientôt, je le pressens, même seuls, dans l’intimité de leur foyer, les gens s’interdiront ne serait-ce que de murmurer le fond de leur pensée. Ils auront peur de la transgression jusque dans leurs chiottes ! Nous redeviendrons des sauvages hagards… non plus hirsutes mais parfaitement épilés.
Cordialement,
Charlot