GAIFFE Germain
15144 / A210
Maison centrale
« La Caserne »
17410 Saint-Martin-de-Ré
Juge de l’application des peines
Tribunal de grande instance
10, rue du Palais
17028 LA ROCHELLE
Objet : permission de sortie sous escorte
Je sollicite de votre bienveillance, une permission de sortie sous escorte, aux fins de pouvoir me rendre à la préfecture de la Charente-Maritime, à La Rochelle, donc, à votre convenance et selon la disponibilité des agents de la force publique ou de l’administration pénitentiaire, n’importe quel jour ouvré de la première semaine de mai 2017, ou au plus tard le jeudi de sa troisième semaine, afin d’y déposer ma déclaration de candidature à l’élection législative, et m’en voir donner reçu, ayant choisi de me présenter dans la circonscription du lieu de mon domicile.
En effet, l’article L. 157 du Code électoral est ainsi rédigé :
« Les déclarations de candidature doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédent le jour du scrutin [1].
La déclaration de candidature EST remise personnellement par le candidat ou son suppléant.
Un reçu provisoire de déclaration est donné au déposant. »
Cette rédaction exclut la possibilité d’expédier la déclaration par la Poste, email ou tout autre moyen de communication, et la remise par une personne mandatée par le candidat ou son suppléant, celle-ci fût-elle assermentée, comme par exemple un huissier, un notaire ou un avocat.
Cette interprétation a été consacrée à l’exhaustif, dirais-je, par le Conseil constitutionnel, celui-ci ayant spécifié ceci à ce sujet :
« La remise personnelle de la déclaration de candidature par le candidat ou son suppléant est une formalité substantielle dont le non respect entache de nullité la candidature. »
En théorie, mon suppléant, Alfredo STRANIERI, pourrait procéder à la remise personnelle de la déclaration de candidature. Hélas, il se trouve qu’il est également détenu, et en exécution, lui, d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. Ceci fait que, pire encore que pour moi, sa date actuelle prévisible de libération est très postérieure au deuxième vendredi de mai 2017.
Alors étant donné que c’est à la Maison centrale de Poissy (78) qu’il est incarcéré, il semble plus logique, et surtout plus arrangeant pour tout le monde, que ça soit moi qui m’y colle.
Derechef, le nombre des « petits » tracas médicaux dont il souffre, le bougre, est si grand, que son bulletin de santé est presque aussi long que son casier judiciaire, à ce point que je dirais, pour reprendre de façon légèrement allongée, adaptée pour l’occasion, la formule de Patrick Timsit, qu’il me coûte plus cher en médicaments qu’en bijoux, cailloux, genoux, hiboux, choux, époux.
« Époux » (pardon Laure Tograf), car mon suppléant n’est autre que mon conjoint.
Oui, nous, la politique, on fait ça en famille, un peu comme chez les De Gaulle.
Non pas que je sois son Charles et lui ma Yvonne (ou inversement) – pas de ça chez nous ! – mais parce que, premièrement, nous sommes, mon conjoint et moi, tous les deux de sexe masculin, et deuxièmement, faire de la politique ensemble, ça nous excite. D’où, donc, les 2 gaules.
À cet égard, je vous saurais infiniment gré de prendre éminemment au sérieux notre action.
En effet, déjà l’exercice des droits civiques est un devoir intrinsèque carrément indispensable à la notion même de citoyenneté, mais c’est aussi et surtout le gage de réinsertion par excellence pour tout détenu à qui une décision de justice judiciaire, administrative ou du Conseil constitutionnel ne les a pas retirés. Et tel est le cas de mon suppléant et de moi-même.
Ensuite, nulle part dans la norme ; pas davantage dans la Constitution et le Code électoral qu’ailleurs ; il n’existe de dispositions qui définissent que le fait d’être détenu interdit à un citoyen qui est titulaire de ses droits civiques, ni de se présenter aux élections législatives, ni, s’il est élu, d’exercer les fonctions de député.
Et il n’en existe pas non plus qui définissent que le fait d’avoir un casier judiciaire non-vierge le lui interdit. Si tel n’était pas le cas, le Parlement ne serait pas en train de débattre actuellement, justement, du sujet, dans le cadre du projet de loi dit « de la moralisation de la vie publique » : députés et sénateurs tentent d’introduire dans la norme une interdiction de se présenter à tout scrutin public, faite à tout citoyen dont le casier judiciaire présente une condamnation à une peine de prison ferme supérieure ou égale à un an.
Cependant, le projet de loi en question précise que les modifications qu’elle apportera, n’entreront en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2018.
Ainsi, jusque là, les seules interdictions qui sont faites par la loi, s’agissant d’être candidat aux élections législatives, procèdent, d’une part du fait d’exercer telles autres fonctions publiques, listées aux articles L. 130 à L. 134 du Code électoral, et d’autre part du fait de ne pas remplir les conditions pour être électeur. Cette règle générale est posée par l’article L. 127 dudit Code :
« TOUTE PERSONNE qui, à la date du premier tour de scrutin, remplit les conditions pour être électeur et n’entre dans aucun des cas d’inéligibilité prévus par le présent livre peut être élu à l’Assemblée nationale. »
Or, mon suppléant et moi-même, nous remplissons toutes les conditions pour être électeurs : nous sommes citoyens français, âgés de plus de 18 ans, titulaires de nos droits civiques, et inscrits sur les listes électorales depuis très avant le 31 décembre 2016 ; nous y figurons depuis 2011.
Et bien entendu, ni lui ni moi n’est placé sous tutelle ou curatelle.
En conséquence, tout acte public s’opposant à ce que ma candidature puisse être effective, au simple motif que mon suppléant et moi sommes détenus, caractériserait autant que faire se peut le délit de mise en échec de l’exécution de la loi, en l’occurrence les dispositions législatives évoquées ici, l’article premier de la Constitution et son article 5 déterminant respectivement que :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. »
et
« Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché. »
Et pour en finir concernant notre pleine et entière satisfaction aux conditions pour pouvoir postuler à être candidat, nous avons l’un et l’autre accompli notre service militaire.
Quant au fait que mon suppléant est inscrit sur les listes électorales de la Mairie de Poissy, il n’est nullement non plus défini par la loi comme étant incompatible avec une candidature faite dans une circonscription autre que celle de Poissy, bien au contraire, puisqu’elle détermine, la loi, d’une part, que « le candidat peut faire acte de candidature dans la circonscription de son choix », et d’autre part, que toute règle qui vaut pour le candidat, vaut pareillement pour son suppléant.
Enfin, et j’en terminerai là pour ce qui est du caractère éminemment sérieux de notre initiative, en ces temps ô combien délicats, difficiles au regard de la crise institutionnelle, politique notamment, que traverse notre pays, et spécialement les attaques virulentes incessantes dont la population pénale est la cible, il est doublement de notre devoir de citoyen de nous mêler hardis à la joute électorale qui va accoucher de la prochaine Assemblée nationale : premièrement en raison du fait qu’en toute objectivité – et la modestie qui m’habite est énorme ! – j’ai de très grandes idées pour la France, et deuxièmement, il faut bien que quelqu’un fasse entendre la voix des citoyens détenus, que diable !
Et concernant la décision de prendre Alfredo STRANIERI, et il a immédiatement accepté, en tant que mon suppléant, et non pas un citoyen non-détenu, ce qui, je vous le concède, aurait fait l’économie d’une permission de sortie sous escorte, ce choix s’est imposé à moi, en premier lieu parce que j’ai pleine et entière confiance en lui : quels que soient les assauts, dénigrements, injures, quolibets et autres calomnies que nous subirons dans les médias, de nos adversaires, des journalistes et compagnie (ne vous inquiétez pas : nous y sommes préparés et 100% rompus à l’exercice) je sais qu’il me restera fidèle (ce n’est pas pour rien que je l’ai choisi pour époux). Et en second lieu parce qu’il m’est apparu logique, pour un candidat à la représentation nationale, qui se présente néanmoins comme étant accessoirement le porte-parole des citoyens détenus, d’avoir pour suppléant un détenu : c’est une question de crédibilité.
La recevabilité et le bien fondé de ma candidature étant démontrés de manière incontestable, je vous saurais infiniment gré de donner droit à ma demande de permission de sortie sous escorte : il en va à la fois du respect de l’exécution de la loi, et du respect de la démocratie.
Et Vive la France !
Je vous en remercie à l’avance.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Juge de l’application des peines, l’expression de mes salutations respectueuses, distinguées et citoyennes.