Dans une chanson de rap, si tu tapes pas un peu sur la France, t’es mort. Le « kouffars » adressé par le chanteur Black M aux Français (qui l’écoutent, soit moins de 1% d’après ses stats de ventes de disques, les autres 99% s’en foutant) est donc plus un truc pour son public que contre les Français. Faut pas tout prendre au premier degré. Ça rappelle ce coquin de Bouteflika, qui flingue la France quand il est en campagne électorale, et qui court se faire soigner chez nous, parce que la France est un grand pays avec de grands médecins. Il n’y a contradiction que pour les naïfs. On peut tout à fait être un pur écolo et harceler les gonzesses de son parti.
Le billard est une sorte d’art mineur mêlant dynamique (qui inclut les forces de frottement) et géométrie (qui inclut les courbes). Un commentateur sportif disait de Zidane qu’il maîtrisait la science de la géométrie, avec ses passes calculées, qui s’inscrivaient dans les déplacements croisés des adversaires et partenaires. Intégrer dans son calcul les mouvements complexes des coéquipiers et des adversaires, pour délivrer la passe ultime, celle qui se transforme en but grâce à un « tueur » qui termine le boulot, ça frise l’art. La qualité de la vidéo est immonde, mais ce qui compte, ce sont les tracés :
Aujourd’hui Zidane est l’entraîneur du Real de Madrid, et il va « jouer » sa première finale de Ligue des Champions sur le banc. Mais nous ne sommes pas là pour parler de Madrid contre Madrid, le 28 mai à Milan. On va rester sur la métaphore du billard pour évoquer un coup à trois bandes – au moins – de François Hollande, le Zizou de la politique tordue. N’en déplaise aux antisocialistes. Démonstration.
Le dimanche 29 mai, le rappeur Black M va donc, sur invitation de l’Élysée, très important, clôturer en chansons la journée de cérémonie du centenaire de la bataille de Verdun. Aucun observateur sérieux ne pourra imaginer qu’un événement aussi symbolique ait pu échapper à la sagacité d’un président qui est tout sauf idiot. Le coup « Black M à Verdun » est un coup qui a déclenché, comme prévu, les réactions du jour.
Les leaders de la droite nationale ont marché à fond, le FN a joué sa partition, en tirant à boulets rouges sur le méchant rappeur. La droite républicaine, sentant le piège, est paralysée par une accusation éventuelle de racisme (qui ne fonctionne plus à la droite de la droite), tandis que la gauche est censée soutenir le choix de la « diversité », avec un gros clin d’œil vers le « vote des banlieues ». On met des guillemets un peu partout non par prudence, mais pour montrer sur quels clichés agissent les leviers en question. N’oublions pas que Black M a vendu 530 000 albums dès son premier coup en solo, après Sexion d’Assaut.
L’art de la passe pour soi-même
Le coup de billard hollandais est destiné à faire éclater le jeu politique, et à le recomposer à son avantage dans l’optique de 2017. Première bande réussie puisque la droite dite extrême monte au créneau et marque des points, ce qui arrange le président, qui rêve encore d’un second tour gagnant face à Marine Le Pen. Une montée du FN dont le corollaire est la baisse de la droite républicaine. Hollande y croit – ne jamais négliger la combativité d’une bête blessée, qui n’a plus rien à perdre. Les chasseurs de sangliers vous le confirmeront.
Le sanglier, malgré son impopularité (ouais mais les Français sont versatiles), a toutes les cartes en main, et il a déjà commencé à éliminer Valls, avec l’arme Macron. Qui a pour mission de déborder Valls sur sa droite libérale, et ramener les troupes du centre vers Hollande. Le prix à payer ? L’extrême gauche, dont Hollande se fout royalement. Même si les petites révoltes en cours (bien entretenues) nourrissent Mélenchon. Oui mais contre ça, y a la politique des petits cadeaux. Hé hé. On rappelle la popularité de Macron à droite : 75% et des brouettes. La « fausse » candidature (Mediapart l’annonce en vrai au 10 juin) du sémillant ministre de Rothschild est destinée à envoyer un message au MEDEF et aux électeurs de droite, ravis de voir un si brillant sujet leur faire de l’œil. Et puis, à droite, faut voir les candidats en lice ! Que des chevaux de retour !
« Je demande à tous ceux dont un ancêtre est mort dans cette guerre de protester contre cette profanation de la mémoire et, symboliquement, ce viol de l’histoire. Il y a des limites au supportable que la France française peut accepter. »
Objectivement, d’un pur point de vue politique, le coup tactique est donc en train de réussir. Les Poilus auront beau se retourner dans leur tombe, leur nécropole géante, Hollande vise 2017, et pas 1917. Ménard, auteur de la vibrante citation ci-dessus, peut gueuler, il joue le jeu, le FN et l’Élysée ayant le même intérêt commun : l’affaiblissement des Républicains, dits aussi « droite molle ». Hollande a encore un an pour jouer au Père Fouettard et au Père Noël, faire du clientélisme électoral, et remonter dans les sondages. Il a le curseur de la contestation d’extrême gauche (Nuit Debout) entre les doigts, qui énerve les Français – merde, viens voir cette chienlit sur la une, Simone ! – qui déglingue l’image de Mélenchon dans le public et qui fait encore monter Marine. Double bingo ! Car la menace pour Hollande, c’est le premier tour, et la crise sociale qui peut placer le PS derrière le Front de Gauche. Les jeunes paumés de Nuit Debout servent ainsi les intérêts du président, qui est théoriquement leur repoussoir ! Le cynisme politique est un art.
Black M le « patsy »
Et Denis main-au-cul Baupin, qui figure sur la photo du jour ? Eh bien lui, balancé par les jalouses des deux sexes de son parti, il est là pour flinguer l’image des écolos, dont le florentin de président n’a plus besoin. Pour parfaire le coup, Hollande a été choisir Black M pour une raison encore plus vicelarde : ce dernier a été interdit de médias par la LICRA belge pour avoir repris une chanson de Doc Gynéco, où figurait le mot « youpin ». Un mot a suffi à faire du chanteur un « antisémite », et la victime expiatoire du coup hollandais. On peut même aller jusqu’à comparer sa fonction inconsciente, dans ce jeu qui le dépasse, à celle des « terroristes » du 13 novembre. Une bande de droits communs radicalisés qui ont peut-être été doublés par une équipe plus professionnelle. Un schéma commun se dessine, pour les amateurs de complexité post-JFK. Zemmour sait que Hollande est le spécialiste des coups, qui lui ont permis de dominer le PS pendant 10 ans. Aujourd’hui, il applique son art de la rouerie à la France, qui est en morceaux, et dont il utilise savamment l’énergie d’éclatement.
Dans cette pièce de théâtre vivant, chacun joue sa partition sans forcément connaître le deus ex machina. Lors des attentats, les commanditaires ont monté un coup et en ont tiré un avantage politique, pendant que les commandités se sacrifiaient pour une cause qu’on leur avait fait miroiter, après avoir tué des innocents. Black M pensait monter au ciel de la notoriété en acceptant le contrat « Verdun » (comme son collègue Maître Gims, qui s’est fait siffler pour 50 000 euros au Stade de France), il finira sacrifié sur l’autel d’un tacticien hors pair. On remarquera que la presse présente désormais Black M comme un quasi-terroriste, puisqu’il en a les stigmates : antisémitisme, homophobie, racisme antifrançais… On lui a déjà déniché une accointance idéologique avec Dieudonné, pour ces quelques rimes dans la chanson Ils appellent ça… :
Et Amir, le chanteur franco-israélien qui va représenter la France au concours de l’Eurovision ? Lui, c’est pas le choix de François, parce son pedigree ne l’arrange pas vraiment ! C’est le talon d’Achille du président : parfois, il n’a pas le choix, il doit appliquer les consignes du lobby. Quand elles correspondent à son intérêt, ça va. Sinon, ça le met en porte-à-faux avec le peuple français, et c’est plus dommageable.
Quand on aperçoit le marionnettiste, le spectacle devient moins drôle.
On ne peut pas tout réussir.