Fillon 2017, une série française géniale
Les séries télé françaises, avouons-le, sont chiantes, mal foutues, peu crédibles, à l’inverse de leurs consœurs US, qui ont 20 ans d’avance – malheureusement, eh oui, on est patriotes, mais on reconnaît notre infériorité – et qui sont de fait hyper addictives. Chez nous, les meilleurs feuilletons sont politiques. Et le carton du moment, c’est Fillon 2017, une série en on-ne-sait-pas-combien-d’épisodes, mais avec des rebondissements quotidiens imprévisibles.
Plus belle la vie peut aller se rhabiller, avec ses personnages cons à pleurer et sa trame pour attardés mentaux. Au moins, dans Fillon 2017, il y a de la politique, du média, de l’intelligence, du vice, de la saloperie, du coup bas, de la traîtrise, de l’oligarchie, du lobby, du… enfin, tout ce qui fait le sel de notre vie politique.
- 6 800 mètres, l’oxygène commence à manquer...
De l’élimination en milieu cultivé
Aujourd’hui, donc, mercredi 1er février 2017, François (Fillon, pas Hollande, qui s’est heureusement autodissout en début d’année), doit faire face à la double attaque sur ses flancs (Penelope) et à l’intérieur, c’est-à-dire le Parti. Chez Les Républicains, ça complote sévère – le plan B ! – pour trouver un remplaçant au candidat. Les noms de Baroin et de Bertrand circulent. C’est comme si, à la place de Hamon, le PS proposait Cambadélis ou Dray, dont la popularité est relativement... incalculable.
François, au 66ème jour de campagne – qui a commencé, on le rappelle, le 27 novembre 2016 au soir, dans l’allégresse et l’innocence –, a laissé le camp de base loin de lui et de ses porteurs. Des sherpas qui doutent, car le temps est passé au mauvais, très mauvais : tempête de neige médiatique (Le Canard enchaîné et Mediapart), avalanche juridique (Penelope), abominable homme des neiges (Macron) qui lui gravit la pente en hélico et au chaud, les vivres qui commencent à manquer (plus personne ne parle « programme »), l’oxygène qui se fait rare (une communication il est vrai médiocre), bref, on est à 6 800, et ça fait mal. Mais François tient le coup, et promet l’embellie à ses troupes en leur demandant de serrer les dents « pendant 15 jours ».
Prochain épisode, le camp de base numéro 2. Avec la révolte des sherpas matée, la chasse au yéti, et une éclaircie médiatique.
- Des slogans un peu malheureux
Cette entreprise d’élimination oligarchique de Fillon est de plus en plus commentée sur les réseaux sociaux. Ce qui serait il y a 20 ans passé comme une lettre à la poste, bloque aujourd’hui. Et puis, le petit peuple adore déconstruire les manips de son élite. C’est devenu un jeu, un peu cruel même. Un jeu qu’on pourrait appeler « vous avez essayé de nous entuber, eh bien on va vous contre-entuber ». On aurait pu utiliser un verbe plus violent, mais entuber, ça passe.
De l’élimination en milieu moins cultivé
Fillon 2017, ça se passe dans la France d’en haut. Le peuple assiste à la montée du Golgotha d’un peut-être futur président chrétien, mais rien n’est fait. Un sommet, ça se paye. Et en souffrance. Dans la France d’en bas, on souffre aussi.
Fin janvier, dans la nuit du 27 au 28 pour être précis, dans le Morbihan, un homme de 38 ans passait une soirée chez un couple d’« amis ». L’alcool et la drogue aidant, les hôtes ont essayé d’obtenir le nuiméro de la carte bleue de leur invité. Ce dernier n’ayant pas obtempéré, la méthode d’interrogatoire s’est un peu durcie : coups de couteau, coups de latte dans la gueule… Finalement, l’homme à la CB perd la vie. Les deux compères décident alors de le découper, et de brûler les morceaux. C’est la femme qui avertira les gendarmes. Son discours affolé les mettra sur la voie. Ils découvriront « un buste dans un sac poubelle, et des membres calcinés dans la cheminée ».
Oui, et le rapport avec Fillon ? Vous allez pas nous dire que c’est du libéralisme à la sauce d’en bas ? Eh bien, oui et non. Le libéralisme ne déchaîne pas forcément les instincts sauvages de l’homme, même si l’institutionnalisation de la concurrence généralisée n’améliore pas les rapports sociaux. En fait, un fait divers renseigne sur une époque. C’est bateau mais le fait divers est le miroir de l’époque. Dans celui-ci, on peut deviner que l’Argent a pris le pas sur l’Homme. L’argent est devenu plus important que l’homme. L’argent devait servir l’homme, c’est l’homme qui sert l’argent.
Bon, le rapport avec Fillon ? On y vient. Il se peut que les puissances de l’Argent, devant la victoire surprise de Fillon en novembre dernier, aient préparé son élimination. Cela ne fait pas de cet homme le candidat de la résistance à l’oligarchie, mais apparemment, il a à un moment donné marché sur une mine. Le rapprochement avec la Russie ? Le rééquilibrage de la politique extérieure française au Proche-Orient ? La non-condamnation de l’Iran ? On dirait que son programme de politique étrangère a été pris très au sérieux… Pourtant, sur le reste (Europe, libéralisme), c’est loin d’être un bolchevique !
Dany Boon contre le FN
Un qui s’est rapproché de la gauche – pas du bolchevisme, c’est presque l’inverse – depuis qu’il est richissime, c’est Dany Boon. Le comique qui faisait un peu pitié il y a 20 ans avec ses sketches sur l’enfant-chèvre a bien changé. Désormais, sa parole est d’or. Et ses films marchent, 3 millions d’entrées en moyenne. Ils ne sont d’ailleurs pas tous mauvais, loin de là. L’argent offre cette possibilité de monter en qualité à tous points de vue : technique, scénaristique (Dany a « suivi la master class de Robert McKee, le maître du scénario »)… Son dernier film parle de l’intégration d’une femme dans le RAID, cette police d’élite.
Mais si Dany nous intéresse, ce n’est pas pour les vannes antisexistes et son comique de situation ultraprévisibles. Mais pour la fonction nouvelle qu’il occupe dans l’univers médiatico-politique. Il se fait aujourd’hui le chantre du Système, à un moment où ça se casse un peu la gueule de partout. Les artistes célèbres sont les plus réactionnaires d’entre nous, et c’est bien normal, puisqu’ils veulent que rien ne change. Ils deviennent de fait les porte-paroles du Système, sans même qu’on le leur demande. Interrogé par L’Express, Dany s’engage :
Vous vivez à Los Angeles, et pourtant vous êtes l’un des rares réalisateurs français à prendre position dans la vie politique hexagonale, notamment contre le FN...
C’est justement parce que je suis souvent à l’étranger. Je voyage beaucoup avec mes films. Je trouve d’ailleurs que les acteurs devraient plus le faire. Un jour, je tombe sur un article sur le succès des Ch’tis et de son remake en Italie. Le journaliste du « Corriere della Sera » explique que mon film ne reflète pas la réalité du Nord, qui n’est pas une terre d’accueil mais une région en passe de basculer au FN. Ce regard de l’Italie sur la France m’a blessé. Je pense l’inverse. Je ne pouvais pas être d’accord.
Très spontanément, j’ai fait une déclaration qui disait juste « Voter pour l’extrême droite n’est pas une solution », et j’ai ajouté : « À chaque fois qu’un parti d’extrême-droite est arrivé au pouvoir, ça a été plutôt une catastrophe qu’une réussite. » Le point de vue n’était pas très novateur, mais il fallait que je l’exprime. Et je l’ai répété entre les deux tours des élections régionales en décembre dernier.
Après ces prises de positions, Dany Boon (qui s’est rapproché d’Arthur après son succès stratosphérique) a été attaqué sur les réseaux sociaux. Mais il persiste et signe :
Les attaques vous choquent-elles ?
On sent que l’opinion penche de plus en plus vers l’extrême, une parole étrange se libère. Des gens, jusqu’alors modérés, ont des réflexions très choquantes, en réaction à la violence ambiante. Moi, je les arrête tout de suite. Je sais que ce n’est pas une solution de s’attaquer aux minorités en croyant que cela va régler le problème. Je veux garder cette notion de partage, de valeurs humanistes et non pas de repli sur soi. Je suis cohérent avec ce que je raconte dans mes films. Donc, je le referai, s’il faut le refaire. Je continuerai à parler d’altruisme et d’ouverture sur le monde.
Ce qu’il ne comprend peut-être pas, c’est que beaucoup de Français non multimillionnaires ne sont pas contre les étrangers, immigrés ou migrants, mais contre l’immigration, qui représente une charge de plus pour eux. C’est aussi bête que ça. Il ne s’agit donc pas forcément de « racisme », mais d’une réaction contre le durcissement de leurs conditions de vie. Qui elles, sont décidées en haut lieu, par une minorité – l’élite – qui ne veut pas forcément du bien à ceux qu’elle domine.