La grève des éboueurs, c’est la dernière carte de la CGT, qui a été au bout de son jeu. Officiellement contre la loi Travail, officieusement pour marquer des points face à la CFDT, qui lui grignote des parts de marché. Avec les grèves sectorielles en série, les ouvriers et employés de la France d’en bas se rappellent au bon souvenir de ceux de la France d’en haut, ou d’un peu plus haut. On se rend compte qu’on a besoin de conducteurs de trains, de métro, de bus, etc. Bon, on va pas non plus faire de l’ouvriérisme béat.
Le bras de fer CGT/gouvernement a été jusqu’au bout du bout, avec la menace d’un fiasco de l’Euro de foot. Toute cette opération ressemble à une ingénierie sociale, mais vraiment sociale pour le coup. Les manipulations dont le grand public est l’objet en pays libéral « avancé » peuvent alors être taxées d’ingénierie asociale. L’objectif du capitalisme consiste à créer des nouveaux besoins pour des consommateurs désolidarisés, soumis et apeurés. En actionnant le terrorisme d’un côté, et en valorisant la marchandise-consolation de l’autre, le Système tire bénéfice de la désocialisation. On schématise, bien sûr, mais il y a du vrai. La vie ne se résume pas dans le couple attentats/shopping, il y a des degrés.
Pourtant, les médias ont plongé la plupart des gens – qui sont branchés dessus, littéralement perfusés – dans une peur diffuse et permanente. Peur du chômage, de la souffrance, de la maladie, du futur, de la mort. Tout cela entraîne un besoin de sécurité, que ce soit au niveau affectif, social ou politique : on achète de la sécurité. Ça tombe bien, les politiques vendent de la sécurité ! Sarkozy, Valls, Marine Le Pen, chacun propose sa « sécurité » maison. Certains de ces produits sont carrément de la contrefaçon ou de l’arnaque (Valls et Sarkozy), car il y a encore moins de sécurité après achat !
Alors les Français se tournent vers Marine Le Pen, qui promet une vraie sécurité. Moins de dégâts sociaux, moins d’immigration dévastatrice, moins de délinquance. Sur le papier, tout cela paraît possible, puisque la France a vécu longtemps sans toutes ces insécurités. Cette évolution négative est-elle un effet inévitable de la mondialisation, ou le résultat d’une ingénierie sociale machiavélique ? La nuance est de taille, car dans le second cas, c’est réparable. Mais les Français doivent prendre conscience de la menace. Si certains chocs brouillent la conscience, d’autres la réveillent.
Les éboueurs sont les vrais écolos !
Il faut que les éboueurs salissent la France pour qu’on se rende compte de leur utilité sociale. On les klaxonne quand ils bloquent une rue, quand ils prennent leur temps pour ramasser les poubelles des autres, on les maudit quand ils nous réveillent en balançant des trucs tôt le matin, mais leur fonction sociale est essentielle. Celle des footballeurs de l’équipe national aussi, même si elle semble plus futile. Or rien n’est futile, socialement : les 11 Bleus symbolisent – qu’on aime le foot ou pas – le ciment de la Nation. Ils représentent sa force, sa fierté, ses faiblesses aussi. Parfois les 11 jouent ensemble, et la France gagne (1998). Parfois ils se déchirent, et c’est la cata (2010). Quand la France va mal, son équipe va mal.
Normalement, ça devrait mal se passer pour nous, même dans le groupe de la Vie, avec la Roumanie, la Suisse et l’Albanie. Le groupe de la Mort réunissant l’Espagne, la République tchèque, la Turquie et la Croatie : que des morts de faim avec des baïonnettes dans les chaussettes ! Et encore, on aurait pu avoir Turquie – Kurdistan (entraînés par BHL) – Arménie – Russie ! Là, ça partait en génocide à chaque match, comme à Marseille hier soir : 200 hooligans qui demandaient à la cantonade « où est passé l’État islamique »… Humour British. En plein Vieux-Port !
Et si les Français foutaient le bordel pour intimider leurs adversaires et gagner l’Euro ?
Mais la France est un pays surprenant : même au fond du trou, elle trouve des ressources pour remonter, alors que tout le monde la croit foutue. Le ressort des Français, on le voit dans les moments de crise totale. Autrement, c’est un pays qui se laisse aller, qui laisse le bordel monter. Mais le bordel, qui semble si lointain à nos amis anglo-saxons, ou d’Europe du Nord, n’est pas une notion uniquement négative. Le bordel peut cacher une régénération : on se balance tout à la gueule, on met tout sur la table, on envoie tout valdinguer et on discute. Et puis on range. Les érudits appellent ça « catharsis ». Une purification qui suit un désordre anxiogène.
Le bordel récurrent français est une purge : 1995 (les grandes grèves anti-Juppé), 2005 (les banlieues en feu), 2016 en cours. 2016 est vraiment une année de bordel, même au niveau politique : le PS s’écroule, la gauche ne fait plus rêver (où sont les Nuit Debout ?), le PC disparaît, le FN monte en flèche sans rien faire, la droite libérale n’a pas de solutions. Il faut dire qu’elle prône un Système qui merde systématiquement et elle n’arrive même plus à mentir tellement elle a menti. Au fait, et les écolos ?
À part l’affaire Baupin, on n’en entend plus parler. L’écologie passionne les Français, mais les partis écolos les font chier. Il n’y a que 6 000 militants en tout au parti écologiste (en congrès ce vendredi). Qui s’est rebaptisé depuis peu « EELV », un nom repoussant. Il y a plein d’autres tendances, comme au PS, on ne sait plus trop qui dit quoi, et de toute manière, les Français s’en foutent. Le petit jeu de chantage électoral avec le grand frère socialiste a gavé les militants les plus honnêtes.
L’écologie avait été créée, politiquement, pour « tuer » le PC. C’était une sorte d’excroissance trotskiste, si l’on peut dire. Il s’agissait de capter les voix à gauche pour les refiler au PS, contre conditions, évidemment : un siège de député ici, un maroquin par là. Après 30 ans d’écologie politique, les verts se retrouvent avec Emmanuelle Cosse (ex-présidente d’Act Up-Paris) au gouvernement, un symbole, et un parti en lambeaux. Les dirigeants successifs jouent la carte perso, la tendance révolutionnaire ou anti-impérialiste des débuts (et donc pro-palestinienne) a disparu. Il est loin le temps où l’on pouvait lire dans Le Monde (du 9 avril 1991), à propos du candidat des Verts dans le Rhône, au moment de la première guerre du Golfe :
« Après avoir estimé qu’aux États-Unis, “le poids du lobby juif a été déterminant pour faire pencher la balance en faveur de la guerre”, M. Brière analyse l’attitude des médias et des intellectuels pendant la guerre du Golfe en dressant une liste des “déclarations délirantes des auteurs juifs”, d’Elie Wiesel à Daniel Cohn-Bendit. “Il est impossible de recenser les juifs et les non-juifs des médias, mais pour la télé, il faut citer Bromberger qui, charmant et impeccable avec son nœud papillon, posait ingénument la question : faut-il tuer Saddam ?” »