Dans toutes les manips de grande envergure, il faut un socle de vérité, sinon rien ne tient. Et puis une certaine dose de mensonge, orienté bien entendu, mieux, d’omission. L’avantage de l’omission par rapport au mensonge (on dira que l’omission est un mensonge par défaut, ou un mensonge passif, tandis que le mensonge est lui actif), c’est qu’elle est par définition indétectable, sauf par les gens qui connaissent la musique.
Par exemple, BHL peut pérorer au gala de l’ABSI (la réunion annuelle de centaines d’officiers et de représentants d’Israël en France), et raconter que Tsahal est l’armée la plus « humaine » ou « démocratique » du monde, il faut avoir vu les destructions de quartiers entiers et de familles pour comprendre le mensonge. On peut donc émettre une vérité, et en omettre une autre. Dire un bout de vérité, et omettre la partie gênante. C’est de bonne guerre : on appelle ça la « communication ». Les publicitaires le font, les hommes politiques le font, les grands patrons le font. Dès qu’un intérêt majeur est en jeu, on voit pointer le museau de l’omission. Rien de nouveau.
Mais dans la manip mondiale qui nous occupe, et qui occupe tout l’espace médiatique, malgré les contre-feux authentiques allumés par une poignée de fouineurs (les « Panama Papers » sont originaires des États-Unis et visent principalement la Russie et l’Asie), il reste un impact majeur sur le grand public, selon la loi des 80/20. Les premiers à frapper, les premiers à arriver sur un « marché », se goinfrent la part majoritaire. Un retournement de tendance est alors très difficile à effectuer. Résister à une information, qui a la puissance de ses tuyaux, c’est comme essayer de bloquer un obus au lancement avec la main. On est emporté par le souffle. Plus les tuyaux sont larges, plus l’obus est énorme. Et quand tous les grands fûts du monde envoient la sauce en chœur, mieux vaut attendre la fin de la la canonnade. On était habitués à une sympathique propagande française, moyennement bruyante. Là, on a passé la surmultipliée, le niveau supérieur.
Il y a donc non pas à prendre et à laisser, dans toutes ces révélations, mais à prendre et à deviner. Deviner ce qui n’a pas été divulgué. Comme c’est presque impossible, il reste à deviner l’intention derrière le choix dont on a hérité. Nous recevons une information pré-filtrée, et devons la reconstituer. C’est un travail de paléontologue, que les outils modernes permettent de faire de mieux en mieux. On a ainsi (c’est un « on » général ; en réalité, il s’agit de quelques individus, passionnés, c’est toujours comme ça, la majorité s’approprie le travail ou les découvertes de quelques uns) découvert une vertèbre fossilisée de titanoboa.
Le titanoboa n’est pas un animal de légende, mais pourrait l’être : un serpent préhistorique de 12 à 20 mètres qui, après l’extinction des grands sauriens, est devenu le plus grand prédateur terrestre. Et pas seulement en Amazonie, où vit toujours son « petit » descendant anaconda, mais aussi autour du Nil, quand la vallée était plus qu’humide. Bien avant Néfertiti, donc, dont on vient peut-être de découvrir la tombe grâce à l’infrarouge et aux muons. « On », toujours. Le titanoboa, sommet de la chaîne alimentaire pendant des millions d’années. Reconstitué par des paléo-informaticiens (ça n’existe pas mais c’est pour les besoins de la démonstration), à partir, donc, d’une seule vertèbre. Grâce à des simulations et des homothéties partant de squelettes d’animaux connus, d’hier et d’aujourd’hui.
On n’aura jamais la liste complète des profiteurs du système « off-shore », mais ça changerait quoi ? On sait tous que l’écrasante majorité des vrais riches planque son fric par peur du fisc. C’est comme ça : le Christ disait qu’il y aura toujours des riches, et les riches ne sont pas près de s’appauvrir, ou de partager. C’est pas encore dans la mentalité humaine.
Pour cela, il faut la force de l’État. Mais ça, c’est quand l’État est « pur », non corrompu. En général, il s’accommode de la défiscalisation, puisque ses membres mêmes, par exemple en France, le pays des allers-retours entre public et privé, planquent leur argent dans les banques suisses, pour faire simple. On l’a vu avec le porteur de valises du PS, le pauvre Cahuzac. D’autres avant lui ont fait ce job, et ont été récompensés par des ministères, si si, dans les années 90, sous Mitterrand. En général, tous les trésoriers, officiels ou officieux, des partis politiques, finissent par se faire balancer. On vous rassure, la justice finit tout autant par les blanchir, parce que la justice, c’est aussi leurs copains. Ça sert à ça, d’être à la tête de l’État.
On ne va pas vous faire le coup des loges maçonniques où tout ce petit monde fripouille, magouille et gargouille, mais ça revient un peu à ça. Donc oublions la justice populaire, qui n’a quasiment jamais existé, sauf pendant quelques périodes très courtes et très violentes de l’Histoire, celle de notre pays, pour prendre un exemple sous la main. Pendant la Révolution, et pendant les régimes un peu hardcore. Car la justice populaire, c’est un concept plutôt simple : ça se résume à la corde, si on a le temps, ou au lynchage, si on est pressé, ou très en colère.
- Il est 7h10, ce 8 février 1899, le jour se lève. Ses restes sont amenés au cimetière où une fosse a été creusée loin des autres sépultures. Le cercueil est descendu dans le trou qui est immédiatement comblé. Aucun signe n’en marquera la place. Aucun tertre ne subsistera. Aucun monument n’indiquera l’endroit où repose le corps du supplicié.
Voilà pourquoi une justice très populaire ne pourra jamais s’installer durablement. Le peuple est bien trop accroché à ses lubies : il déteste les voleurs, les menteurs, les violeurs et les glandeurs. Si on lui lâchait la bride, il les enverrait direct en enfer. Quand on voit ce que les réseaux sociaux promettent aux criminels de tout poils... terroristes, voleurs, Panaméens... ça fait dresser les poils, justement.
Hier, le professeur Romain Farina (peut-on encore appeler « ça » un prof ?) qui a violé des dizaines d’enfants s’est pendu dans sa cellule. Il a fait le boulot. Ou alors on l’a aidé, on ne saura jamais. Souvent, de l’extérieur, on pense que les gens se pendent en prison par remord, mais il s’agit d’autre chose. Quand un pédophile se fait appréhender chez lui, un cordon de police se forme aussitôt autour du criminel pour l’arracher à la foule et lui éviter le lynchage. C’est la justice, disons, impopulaire, par opposition à populaire. Dans le même ordre d’idée, mais en moins barbare, la préfecture du Cher a été condamnée à proposer un hébergement à un demandeur d’asile. On vous laisse imaginer les dégâts dans l’opinion d’une telle décision. Une gifle pour les Français qui ne peuvent pas se loger.
Le juge des référés a enjoint le préfet du Cher d’indiquer au demandeur, de nationalité russe, « une solution d’hébergement (…) dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance et jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande d’asile »
« La loi fait obligation à l’État d’héberger les demandeurs d’asile, le temps que leur dossier soit traité », dixit Christiane Carlut, de la section du Cher du Comité de vigilance pour la défense des droits des étrangers
Déclenchement immédiat de la colère des gens honnêtes. De manière tout à fait paradoxale, les paradis fiscaux dont bénéficient les riches, ceux qui exploitent les autres (on raccourcit, là encore), sont si éloignés mentalement qu’il ne viendrait à l’idée de personne de lyncher des titulaires de comptes off-shore. Le pauvre Jacques Glénat, multimillionnaire enrichi dans la BD, pendant qu’il sous-payait au lance-pierre les journalistes de L’Écho des Savanes en 2008-2009, achetait pour 4 millions d’euros de toiles de maîtres, destinées à mettre ses enfants à l’abri. Et fourrant le tout dans un compte panaméen. C’est dur de partager, des fois... Même un petit peu. Heureusement, il a beau se défendre, la main sur le cœur (ou sur le portefeuille), il ne risquera ni la prison ni le lynchage.
- Jacques Glénat crie au scandale
Car contrairement au criminel de base, là, tout est dématérialisé, impalpable, la finance mondiale se fout joyeusement des frontières et des lois. Qui sont faites pour les gens obéissants, qui ont de la morale. Le migrant qui franchit en 2016 nos frontières en toute impunité (c’est la Turquie qui ouvre les vannes du migroduc) est à l’image du capital qui l’a amené là : naturellement vorace, prédateur, prêt à tout bouffer dans un pays de cocagne. Là aussi, petit parallèle éthologique : nos rivières, qui traversent plaines, montagnes et forêts, dont Colbert prit tant soin, sont désormais peuplées d’espèces mutantes qui ont dévoré les espèces locales. C’est valable pour les crapauds, les écrevisses et même les écureuils, certains arbres colonisant leurs « frères ». De là à faire un parallèle avec le Grand Remplacement, il y a un pas gigantesque… que nous ne franchirons pas : la loi des Hommes n’est pas celle de la Nature, ou de Dieu.
L’homme, s’il est devenu une force de la nature, tombe encore sous le coup des lois naturelles ou divines. Qu’il les enfreigne, il en payera le prix. En général plus tard, et sans faire forcément le lien avec sa transgression.